Non, vraiment. On aurait pu penser que quelque chose d'aussi révolutionnaire que l'open source aurait radicalement changé la manière dont sont développés, vendus et distribués les logiciels. Malheureusement, ceux qui célébreront les 20 ans d'existence de l'open source, initiative lancée le 3 février 1998 chez VA Linux Systems à Mountain View, ne pourront pas dire que l’open source a changé le monde du software. Le plus souvent, pour la plupart des développeurs, les logiciels restent obstinément propriétaires. Néanmoins, en 20 ans, le rapport aux logiciels a changé. Nous acceptons plus facilement l'idée que le logiciel peut, et devrait être open source, sans craindre que le monde s'arrête de tourner. Cependant, il semble que la réalité de ce code ouvert soit vraiment le combat à mener des 20 prochaines années.

L’open source s’est imposé dans l'infrastructure, pas dans le logiciel

En 1999, Eric Raymond soutenait que 95 % des logiciels étaient destinés à être utilisés et non à être vendus, c’est pourquoi ils pouvaient et devaient être open source. Mais ce n'est toujours pas le cas, puisqu’aujourd’hui, la quasi-totalité du code est encore fermée. Dix ans après l’invention officielle du terme « open source » par l'Open Source Initiative, « peu de choses ont changé », comme le faisait remarquer Jim Whitehurst, CEO de Red Hat, lors du Red Hat Summit 2008, et lui-même ancien membre du conseil d’administration de l’association. À l’époque, il dénonçait le gaspillage des logiciels d'entreprise : « La grande majorité des logiciels développés aujourd'hui le sont en entreprise et non pour être vendus. Et la grande majorité de ce code n'est jamais utilisée. Ce gaspillage en développement logiciel est extraordinaire. Finalement, pour que l'open source puisse apporter de la valeur à nos clients partout dans le monde, nous devons faire en sorte que nos clients soient non seulement des utilisateurs de produits open source, mais nous devons aussi nous engager réellement dans l'open source et participer à la communauté du développement ».

Mais certains observateurs ont constaté plus d’avancées. Selon une étude Flossmetrics réalisée en 2009 pour le compte de la Commission européenne, 35 % de l'ensemble du code (vendu ou non) était open source. C’était une estimation très favorable. Et, comme l'a fait valoir Mike Olson, cofondateur de Cloudera en 2013, l'open source domine désormais l'infrastructure des entreprises : « L'infrastructure des entreprises a connu une évolution étonnante et irréversible. Les entreprises gérant un datacenter utilisent presque certainement un système d'exploitation, une base de données, un middleware et d'autres systèmes open source. Au cours des dix dernières années, aucune infrastructure logicielle fermée et propriétaire n’a émergé pour s’imposer au niveau de ces plates-formes ».

L'innovation est portée par l'open source 

Et Mike Olson a raison : l’innovation apparue dans l'infrastructure d’entreprise a été produite essentiellement sous licence open source. Même si nous sommes encore loin de la saturation, la révolution du conteneur a été portée par Docker et Kubernetes, deux solutions open source. Le Big Data ? Hadoop, Kafka et d'autres technologies reposant sur l’open source. L'apprentissage machine et l'intelligence artificielle ? Toujours de l’open source, avec TensorFlow, MXNet et plus encore. Ainsi, les plateformes sont de plus en plus open source alors que les applications restent obstinément fermées et propriétaires. Comment est-il possible qu’une grande partie de notre avenir dépende du code open source, alors que la grande majorité du code reste toujours entravée par des licences propriétaires ? Alors que le meilleur code est de plus en plus open source, pourquoi n’y a-t-il pas plus de code ouvert et plus rapidement ? Comme l’a déclaré John Mark Walker, Open Source Enablement chez ARM, « toutes les innovations importantes actuelles concernent des plates-formes open source. Et pourtant, beaucoup de gens veulent toujours réinventer la roue ». Pourquoi ?

Les entreprises ne savent pas joindre le geste à la parole

Geir Magnusson, l’un des premiers directeurs de la Fondation Apache Software, et directeur technique de Sourcepoint, explique cela de la façon suivante : « L'impact de l'open source a été énorme pour des domaines non différenciant ou pour l'infrastructure. Mais dans les « 95 % de logiciels » pointés par Eric Raymond, on trouve beaucoup de choses inintéressantes destinées à répondre spécifiquement à des besoins particuliers (réels ou perçus) du secteur privé ». En d'autres termes, une grande quantité de code reste fermée, et il n’y a pas lieu de s’en plaindre, parce que ce code s’avèrera inutile au-delà de l'entreprise où il est écrit. Pourrait-il être open source ? Oui, certes. Le devrait-il ? C’est moins sûr…

Il ne faut pas ignorer non plus que la livraison de code en open source représente un coût très réel, comme le souligne Dave Neary, stratège de Red Hat. « En tant qu'utilisateur unique » de ce code, il soutient que « les bénéfices sont faibles ». Sur ce même constat, Jim Jagielski, directeur de la Fondation Apache Software (et ancien directeur senior chez Capital One), affirme que « les entreprises se disent prête à adopter l'open source, mais rechignent à se doter des ressources et à faire les investissements nécessaires pour le faire correctement. Si bien qu’elles échouent dans leurs mises en œuvre, avec des répercussions qui les conduisent à « accuser l'open source, et non à se blâmer elles-mêmes ». Bref, la raison pour laquelle la plupart des logiciels restent enfermés derrière les pare-feu d'entreprise, c’est qu'ils coûtent trop cher et que leur ROI est trop maigre pour justifier un open-sourcing. Du moins, c'est la perception qu’elles en ont. Or, il est impossible de modifier cette perception sans faire un pas dans l'open source. Sauf que les entreprises ne veulent pas avancer dans cette direction sans preuve préalable. On comprend le problème !

Plus d'open source au cours des 20 prochaines années : il y a de l'espoir

Cette histoire de poule et d’œuf commence à se résoudre d'elle-même, grâce aux efforts de Google, Facebook, Amazon et autres géants du Web qui démontrent toujours plus la valeur du code open source. Même s’il est peu probable que des entreprises comme State Farm ou Chevron participent un jour au même titre que Microsoft à la communauté open source, on commence à voir certaines entreprises comme Bloomberg et Capital One s'impliquer dans l'open source à un degré qu'elles n'auraient jamais imaginé quand le terme « open source » a été inventé en 1997, et encore moins en 2007.

N'oublions pas non plus que, même si les entreprises ont utilisé plus de code open source au cours des 20 dernières années, la plus grande réussite de l'open source depuis sa création est d’avoir changé la manière de penser l'innovation dans le software. On commence à croire, et pour de bonnes raisons, que le meilleur, le plus innovant des logiciels est un logiciel open source. Cela ne s’applique pas à tous les logiciels, bien sûr. Comme l'affirme Bertrand Delacretaz, directeur de la Fondation Apache Software et Principal Scientist chez Adobe, « l'Open Source est la meilleure approche de développement possible pour l'infrastructure. Mais il y a moins de chance que ce modèle domine les logiciels applicatifs parce que, comme il le fait remarquer, « au fur et à mesure que l'on remonte les couches de la pile logicielle, il devient plus difficile de s'entendre sur des choix communs ».

Il est vrai aussi que le panel de développeurs ayant un intérêt et une aptitude pour un logiciel donné se réduit au fur et à mesure que l’on remonte dans la pile. Mais pour ce qui est des logiciels fondamentaux, il semble acquis que l'open source est le moteur de l'innovation. Comme le dit John Mark Walker, même si aujourd’hui les entreprises sont en train de « réinventer la roue du logiciel d'infrastructure », il est presque certain que cela cessera au cours des 20 prochaines années et que leur niveau d’implication aux communautés open source ira croissant. Tel est l’apport de l'open source de ces 20 premières années. Et voilà la perspective formidable qu’il offre pour les 20 prochaines années.