Les enquêtes sont toujours utiles, mais lorsqu'il s'agit de définir les priorités de l'IT, elles reflètent davantage le passé qu'elles n'indiquent ce qui va advenir. C'est pourquoi le CIO Survival Guide annuel propose une autre approche aux DSI : dresser la liste des promesses faites à leur PDG pour 2023 ainsi qu'un récapitulatif des sujets abordés dans les revues économiques sur lesquels ce dernier peut solliciter leur expertise. Cet exercice débouchera sur un panel de thèmes sur lesquels les DSI risquent de décevoir leur PDG, qui pourrait ressembler à ce qui suit. Mais la vertu d'un tel inventaire est aussi de savoir quelles mesures prendre en priorité pour éviter les déceptions.

Promesse n° 1 : le cloud va permettre de faire des économies

Ça n'a jamais été le cas, et ça ne le sera toujours pas cette année.
Parce qu'il est possible d'acheter des serveurs aussi bon marché que les fournisseurs de services cloud, et que ceux-ci doivent ajouter une marge bénéficiaire quand ils facturent leur utilisation.

Ce qu'il vaut mieux promettre
Contrairement à l'infrastructure sur site, avec le cloud le département IT peut facilement ajouter de la capacité par petits incréments quand la demande l'exige. Plus important encore, le cloud permet aussi à la DSI de se débarrasser d'une capacité quand elle n'est plus nécessaire. Résultat : quand la demande est saisonnière ou imprévisible, le cloud est vraiment un levier d'économies. Mais quand la demande est stable ou que ses augmentations sont prévisibles, l'infrastructure sur site coûte moins cher. Dans le cloud, les coûts fixes sont faibles, mais les coûts marginaux sont importants. C'est l'inverse avec les coûts des systèmes on-premises.

Si le PDG s'intéresse au sujet
Expliquer également que le « cloud » n'est pas seulement un environnement pour prendre en charge les traitements. C'est aussi une architecture d'application. Il faudra sans doute une conversation beaucoup plus longue et complexe pour dire en quoi c'est important. Mais le PDG n'aura pas forcément le temps et la patience pour cela.

Promesse n° 2 : grâce au dernier système ERP, l'entreprise sera plus efficace et plus efficiente qu'avec le système supposé obsolète que le DSI a convaincu le PDG de remplacer

Ça ne sera pas le cas.
Parce que, pendant 10 ans ou plus, le département IT a profondément et largement personnalisé l'ancien système, et que les processus métiers qu'il prenait en charge sont parfaitement adaptés à ces personnalisations. D'un côté, ces personnalisations ont rendu les opérations métiers très efficaces. Mais d'un autre, elles ont aussi rendu l'ancien système très difficile à remplacer. Bien entendu, l'équipe de direction a convenu que l'IT devait mettre en oeuvre le nouvel ERP pour économiser de l'argent et du temps. Ce que fera l'IT. Mais cela signifie que la plupart des départements de l'entreprise devront adapter leurs processus au nouveau système. En d'autres termes, le système rendra l'IT plus efficace, au détriment du reste de l'entreprise. Ce n'est pas le meilleur argument, et certainement pas le meilleur moyen de se faire des amis et d'influencer les gens.

Ce qu'il vaut mieux promettre
Les analystes métiers de l'IT peuvent et doivent comparer l'efficacité et l'efficience des processus métiers prêts à l'emploi du nouveau système avec les processus utilisés actuellement. Si les processus du nouveau système sont aussi efficaces, voire plus, l'équipe chargée de leur mise en oeuvre créera des programmes de formation pour aider tout le monde à s'adapter. En revanche, s'ils sont moins efficaces, l'équipe chargée de leur mise en oeuvre les adaptera aux processus opérationnels en place en s'appuyant sur ses outils de configuration intégrés ou des applications satellites personnalisées.

Si le PDG s'intéresse au sujet
À long terme, il n'y a pas d'autre choix que de remplacer l'ancien système. Il est obsolète, ce qui signifie qu'il ne sera pas possible de recruter les talents dont l'IT a besoin pour le prendre en charge, et que le DSI ne sera jamais sûr de pouvoir le faire fonctionner sur les plateformes et l'infrastructure disponibles. Le dilemme est de dépenser de l'argent maintenant ou plus tard. Or, reporter à plus tard finit toujours par prendre plus de temps et par coûter plus cher.

Promesse n° 3 : se déclarer comme entreprise « digitale »

Peut-on définir ce que cela signifie en langage clair, s'il vous plaît ?
Le PDG est contrarié parce que le conseil d'administration demande sans cesse si l'entreprise est déjà digitale. Or, il n'est même pas capable de faire la différence entre l'organisation IT actuelle et celle d'il y a cinq ans. Toute la conversation au niveau du conseil d'administration porte sur la capacité de l'IT à réduire les coûts, et le PDG ne peut même pas en fournir la preuve.

Ce qu'il vaut mieux promettre en matière de digital : des revenus
La raison pour laquelle toutes les discussions que peut avoir le PDG avec le conseil d'administration tournent autour de la réduction des coûts, c'est que les seuls projets que le PDG et le conseil d'administration approuveront sont ceux qui contribuent à réduire les coûts. Mais le « digital », devrait mobiliser l'attention stratégique tous sur la création d'un avantage concurrentiel, l'accroissement des revenus grâce à la possibilité de concevoir des produits plus intéressants et l'amélioration de l'expérience des clients travaillant avec l'entreprise. L'IT peut contribuer à ces orientations. Mais c'est toute l'équipe de direction qui doit s'engager dans cette voie.

Si le PDG s'intéresse au sujet
Dresser une liste des technologies digitales potentiellement utiles - celles qui peuvent soutenir les capacités métiers qui génèrent des revenus. Présenter cette liste au PDG, puis à l'ensemble de l'équipe de direction, et ne pas en retenir plus de trois afin de pouvoir mener des recherches plus approfondies sur la manière de les intégrer aux produits et services de l'entreprise.

Promesse n° 4 : « agile » signifie que les grands projets n'échoueront plus

C'est la meilleure façon d'associer le nom du DSI à quelques échecs malheureux de projets agiles cette année.

Ce qui va mal se passer
L'entreprise fera trois erreurs avec l'agile. La première et la pire, c'est qu'elle ne perdra pas l'habitude de fonctionner en multitâche. Elle demandera toujours aux développeurs de jongler avec plusieurs projets concurrents, et leur priorité absolue sera toujours celle dictée par le dernier appel téléphonique. La deuxième erreur sera de croire que les approches agiles peuvent être appliquées à plus grande échelle, c'est-à-dire que les mêmes techniques qui ont fonctionné pour des projets à petite échelle permettront de gérer avec succès des programmes stratégiques à grande échelle. Résultat : personne ne sait comment planifier les gros projets, ce qui conduit à des disputes au lieu d'un consensus sur les priorités. Enfin, la troisième erreur est de reconnaître que les chefs de projets et les membres de l'équipe doivent apprendre le fonctionnement agile dans le cadre de petits projets avant de les intégrer à des équipes agiles pour des programmes de grande envergure, mais de ne pas reconnaître que les donneurs d'ordres doivent également apprendre les ficelles de l'agile avant de parrainer de grands programmes agiles.

Ce qu'il vaut mieux promettre
Agile n'est pas synonyme de désordre. L'approche agile comporte de nombreuses variables, dont le moteur est un changement de culture, et en particulier une façon différente de penser l'organisation et la gestion des projets, qui doit s'étendre au-delà de l'IT à tous ceux qui, dans l'entreprise, sont concernés par les projets gérés en mode agile.

Si le PDG s'intéresse au sujet
Dans la plupart des entreprises, la planification stratégique se traduit par des feuilles de route de transformation de type Waterfall. Celles-ci sont l'antithèse de la planification et de la gestion de projet agile. En d'autres termes, il pourrait être judicieux de trouver comment planifier une stratégie d'entreprise agile plutôt que d'essayer de faire correspondre une stratégie Waterfall avec des projets agiles.

Promesse n° 5 : les objectifs de synergie des fusions et acquisitions

Ils ne seront pas atteints, ni maintenant, ni jamais.
Le problème, c'est que l'équipe qui fixe les objectifs de synergie de l'acquisition - les gains d'efficacité et les économies d'échelle qui ont motivé la transaction - se base uniquement sur des ordres de grandeur. Ces objectifs se révèleront irréalistes au moment même où l'encre aura séché sur l'analyse de rentabilité présentée au conseil d'administration. En particulier, les objectifs présentés dans cette analyse dépendront de l'intégration de l'entreprise acquise dans les opérations métiers de l'acheteur, et l'intégration des opérations métiers dépendra à son tour de la normalisation des processus métiers, afin que chacun puisse utiliser la même suite d'applications. Mais il s'avérera qu'une chose en apparence aussi simple que la normalisation du plan comptable est compliquée, et le reste de la normalisation des processus sera encore pire. Sans processus normalisés, l'IT devra travailler à partir de deux ensembles de spécifications contradictoires. Concernant l'intégration, l'architecture d'intégration IT a été pendant des années un fouillis de programmes batch de synchronisation de données point à point. Après l'acquisition, ce nombre de synchronisations sera quadruplé.

Ce qu'il vaut mieux promettre
En tant que tel, le DSI part déjà avec un handicap, celui de devoir tenir les promesses faites par quelqu'un d'autre. Le mieux est d'avoir des options ouvertes, de faire aussi peu de promesses que possible, et surtout, d'insister pour que tous les objectifs IT soient liés à la normalisation des processus d'entreprise. Si la normalisation des processus d'entreprise n'a pas lieu, il faut s'attendre à ce que toutes les personnes concernées haussent les épaules et reconnaissent que le mieux que l'on puisse faire est de fonctionner comme une holding, en limitant l'intégration aux choses simples, comme les outils de messagerie et de conférence Web. Et peut-être que le service IT pourra économiser quelques euros ici et là en consolidant les datacenters.

Si le PDG s'intéresse au sujet
Le PDG ne va pas s'en soucier. Mais une fois la poussière retombée, l'idéal est de proposer une approche ELT (Extract/ Load/Transform), en suggérant, en guise de leçon tirée de l'acquisition, la création d'un playbook pour les fusions/acquisitions, de façon qu'au lieu de refaire les mêmes erreurs, l'entreprise en trouvera de nouvelles à éviter la fois suivante.