Le DSI d'AMD Hasmukh Ranjan se trouve à la croisée des chemins en matière d'informatique cloud. Si d'un côté le designer de puces inonde les hyperscalers en montagnes de puces, il est lui-même un très grand consommateur de ce type de ressources pour soutenir nombre de ses applications d'ingénierie. A un détail près cependant, puisque les plus critiques sont localisées dans... ses propres datacenters loin du cloud. Un an après son entrée en fonction, M. Ranjan estime ainsi à près de 95 % la part des applications d'AMD reposant sur des services cloud public.
« Pour l'ingénierie, dans notre domaine de prédilection, les fournisseurs cloud n'ont pas les systèmes haut de gamme que nous recherchons », explique Hasmukh Ranjan. Et de noter au passage que les applications de conception du groupe nécessitent jusqu'à 64 Go par cœur sachant qu'elles peuvent s'étendre sur des systèmes avec 2 à 4 téraoctets également. Ces besoins colossaux continuent de croître selon trois facteurs : « variété, vitesse et volume », poursuit M. Ranjan, faisant allusion à l'élargissement du portefeuille de produits d'AMD, à la vitesse élevée du travail de conception de l'entreprise, et à l'énorme quantité de données générées dans le processus de design des puces. Pour cette raison, M. Ranjan s'attend à ce que l'infrastructure IT d'AMD reste hybride pendant un certain temps, avec des processus cloud d'un côté et une ingénierie sur site de l'autre. Et pour quelle durée ? A priori jusqu'à ce que les plus grandes charges de travail HPC soient largement prises en charge sur le cloud public, ce qui devrait prendre encore du temps, même si certains observateurs apparaissent plutôt optimistes sur ce point. Sid Nag, analyste chez Gartner, souligne ainsi que les hyperscalers comme AWS proposent des instances allant jusqu'à 224 cœurs, et que des entreprises exécutent déjà des workloads HPC dans le cloud.
La conception des puces en constante évolution
Le processus d'ingénierie des puces d'AMD n'est pas entièrement réalisé sur site, précise M. Ranjan, qui note qu'entre 10 et 15 % des calculs sont effectués dans le cloud, ce qui est représentatif de l'industrie des semi-conducteurs. En raison des exigences en matière d'ingénierie, la plupart de ces fabricants travaillent avec des fournisseurs d'automatisation de la conception électronique (EDA) tels que Cadence Design Systems, Synopsys et Siemens sur site du début à la fin en fournissant les plans finaux de conception directement du datacenter à ses partenaires en production. Ce processus étroitement intégré garantit également l'intégrité et la sécurité des données. Mais la situation est en train de changer. Et M. Ranjan de citer le partenariat de Marvell Semiconductor avec AWS, annoncé en février, comme un indicateur de la volonté des entreprises de semi-conducteurs d'utiliser davantage le cloud dans tous les aspects de leur production. Selon l'annonce, Marvell a choisi Amazon Web Services comme fournisseur cloud pour l'EDA afin d'adopter une approche « cloud first » en matière de conception de puces. « Mais ce secteur a été un peu lent à adopter le cloud public pour des raisons techniques et commerciales », explique M. Ranjan. « Pour les systèmes haut de gamme, la différence de prix entre le on premise et le cloud peut être très, très importante ».
Si la conception et la fabrication des puces n'ont pas beaucoup changé, les analystes affirment que toutes les entreprises de semi-conducteurs ont noué des partenariats étroits avec des fournisseurs de services cloud pour répondre à certaines charges de travail très verticales. George Westerman, maître de conférence à la MIT Sloan School of Management et fondateur de la Global Opportunity Initiative, note que la décision d'exécuter des conceptions techniques sur site ou sur des clouds HPC est la même pour toutes les entreprises : coût d'accès, poids des retards dans la transmission des données, et préoccupations en matière de cybersécurité. Les clouds HPC des fournisseurs classiques et des services de conception de puces tels que Cadence, Synopsis et Marvell, sont par essence des clouds industriels pour l'industrie des semi-conducteurs. La seule différence est que les fournisseurs de puces travaillent directement avec leurs partenaires de production pour déplacer les conceptions d'ingénierie sur site en vue de fabriquer les produits. « Le secteur des semi-conducteurs est plus important que ce que les clouds peuvent gérer aujourd'hui », déclare Risto Puhakka, directeur des produits chez TechInsights, une société de conseil en fabrication de technologies située à San Jose, en Californie. « Ces flux de données sont incroyablement massifs et ils créent un pipeline dédié pour transférer ces données à TSMC afin de créer les masques pour le traitement des plaquettes de silicium ».
La transformation IT au service du business
Parallèlement, alors que M. Ranjan acquiert et développe de nouveaux talents en ingénierie pour fabriquer les meilleurs produits, il transforme également l'infrastructure de l'entreprise pour atteindre les objectifs commerciaux, en utilisant autant que possible le cloud. Par exemple, le DSI d'AMD explique que l'entreprise a récemment transféré ses applications SAP dans le cloud public et veille à ce qu'AMD dispose d'un référentiel de données et d'analyses massives pour fournir des ressources suffisantes à son équipe d'ingénieurs. Le fournisseur de Santa Clara a ainsi mis en œuvre un data lake de premier plan, des applications automatisées et des algorithmes d'IA sur AWS, Microsoft Azure, GCP et Oracle Cloud. Tout cela pour s'aligner sur les aspirations des cadres d'AMD à mieux activer les workloads HPC pour tous les clients du cloud grâce aux progrès des puces. Ce à quoi M. Ranjan s'attaque en fournissant à ses ingénieurs des plateformes hybrides de pointe sur lesquelles concevoir les puces. Tout semble aller dans le bon sens, selon le DSI. « L'essentiel des calculs est effectué dans nos grands datacenters aux États-Unis, un à Atlanta et les autres répartis dans le monde entier », explique-t-il, ajoutant que 54 % du parc de serveurs d'AMD a moins de deux ans. « Nous sommes très modernes. Cela permet non seulement une informatique très efficace, mais c'est aussi un atout pour le développement durable ».
L'IA, un ogre de ressources tous azimuts
En ce qui concerne le business, l'industrie des semi-conducteurs a connu une évolution en dents de scie de l'offre et de la demande au cours de la dernière décennie. Plus récemment, la pandémie a ralenti l'approvisionnement en matériaux, ce qui a entraîné un ralentissement du processus de fabrication et une pénurie importante de puces. Celle-ci s'est atténuée dernièrement (sauf dans l'industrie automobile), car la récession éventuelle a ralenti la demande de terminaux grand public, de PC et de serveurs, explique M. Ranjan. Mais ce qui a maintenu la demande forte pour des entreprises comme AMD, Intel et Nvidia, c'est la croissance continue des hyperviseurs cloud et, plus récemment, des modèles et des plateformes d'apprentissage automatique comme ChatGPT. Les équipes de designers d'AMD sont également de grands consommateurs d'IA, et ces outils sont de plus en plus intégrés dans le processus de conception du groupe. Outre les outils EDA hautement spécialisés de Cadence, Synopsis et Siemens, le flux de travail des semi-conducteurs nécessite des systèmes de gestion du code source et, de plus en plus, de l'IA. « Nous essayons de compléter cet environnement avec les nouvelles technologies et les nouveaux outils d'IA qui sont disponibles », explique-t-il. « Ils en sont à différents stades de déploiement, certains sont développés en interne et d'autres font l'objet d'un partenariat avec différents fournisseurs d'IA ».
Si la relation de M. Ranjan avec l'informatique cloud est atypique, sa tâche principale est la même que celle des DSI de toutes les entreprises : aligner les investissements informatiques sur les besoins et les objectifs commerciaux de l'entreprise dans son ensemble. Pour ce faire, le DSI estime que ses homologues doivent avoir une longueur d'avance sur leur groupe afin d'adapter et de soutenir leurs directives évolutives et de fournir l'infrastructure nécessaire à ses différentes parties prenantes, qu'elles soient commerciales ou techniques. Il s'agit d'un exercice d'équilibriste, mais le rôle du DSI a évolué au même rythme que la transformation numérique globale de l'industrie. Le département informatique n'est plus un simple centre de coûts, bien au contraire. « Le rêve est que vous créez de la valeur pour votre entreprise et que vous soyez aligné sur l'activité de votre entreprise », explique M. Ranjan. « La première chose que je cherche à savoir, c'est si les solutions que je crée s'alignent à 100 % sur l'évolution des besoins de l'entreprise. J'aspire à ce que cela soit le cas tous les jours ».
7. Gérer l'anonymisation des données personnelles sans perdre l'intelligence de l'outil.
Signaler un abus