Souvent, les entreprises qui passent au cloud se retrouvent à la croisée des chemins à mi-parcours de leur migration, dépensant plus que prévu et obtenant moins que ce qu'elles espéraient. Et cette situation se retrouve fréquemment quand le service IT n'a pas la culture, l'état d'esprit et les compétences nécessaires pour tirer parti du cloud. Andy Nallappan peut témoigner d’une longue carrière dans l’IT, notamment en tant que DSI, et dans son poste actuel chez Broadcom, il gère la plateforme cloud externe de l'entreprise, les DevOps et les opérations SaaS au sein de plusieurs divisions logicielles. En cours de route, M. Nallappan a développé une expertise approfondie sur les conditions nécessaires pour réussir dans le cloud. Dans cet entretien, il partage beaucoup de choses sur l'architecture dynamique du cloud, la maîtrise des coûts du cloud, le développement d'une culture du cloud et les raisons pour lesquelles il recommande de fixer aux ingénieurs des objectifs financiers quand ils s'approprient leur parc de clouds. Un point intéressant à l’heure où Broadcom est sur le point de mettre la main sur VMware.

Martha Heller : Depuis que vous avez rejoint Broadcom en 2016, vous avez occupé les postes de DSI, puis de directeur des nouvelles technologies et de chef des opérations métiers dans le domaine des logiciels, et maintenant de responsable de la sécurité (CSO), et de responsable de l'ingénierie et des opérations logicielles. Comment a évolué votre fonction dans ces postes successifs ?

Andy Nallappan : J'ai fait des études d'ingénierie mécanique dans les années 1980, alors que les gens commençaient tout juste à utiliser les ordinateurs. Je me suis lancé dans l'ingénierie logicielle et j'ai passé les 30 années suivantes dans l'informatique, notamment en tant que DSI d'Avago Technologies et de Broadcom, ce qui impliquait beaucoup d'intégration d'acquisitions. Il y a quelques années, j'étais d'accord avec Marc Andreessen pour dire que « le logiciel mangeait le monde » dans des secteurs pouvant aller de la banque à l'administration, en passant par le commerce de détail et la santé. Généralement, ces entreprises avaient des relations avec les clients finaux à travers quatre murs. Mais, au cours des trois à cinq dernières années, la situation a changé. Désormais, les clients dictent comment, quand et où ils font des affaires. Le paradigme a changé : Les quatre murs et les fuseaux horaires sont tombés et les clients peuvent effectuer des transactions 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Avec ce changement, la technologie est devenue un élément majeur du chiffre d'affaires, au-delà de la gestion de la relation client et de l'aide à la vente. La technologie s'est déplacée vers le secteur d'activité. Dans chaque secteur d’activité, les dirigeants veulent contrôler leur propre destin et ne pas être à la merci de l’IT. Ils disent : « Donnez-moi le budget technologique et je pourrai décider où innover ». Quant aux CEO et directeurs financiers, ils disent : « Si les dirigeants de chaque secteur d’activité s'engagent à faire des bénéfices, alors, laissons-les être partie prenante». J'ai vu ce changement se produire chez Broadcom, et j'ai donc décidé de quitter l’IT pour m'occuper des opérations logicielles. 

Quel est votre objectif en tant que responsable des opérations métiers dans le domaine des logiciels ?

Dans le secteur du hardware qui est le nôtre, le directeur des opérations gère la chaîne d'approvisionnement. Mon rôle dans l'activité logicielle est similaire. Je gère la plateforme cloud externe en tant que partenaire des entreprises. Mon travail consiste à libérer les ingénieurs des entreprises pour qu'ils réalisent des innovations incrémentales et ne cherchent pas à tenter l’impossible. Chez Broadcom, chaque division logicielle est dirigée par un directeur général qui est responsable des pertes et profits. Je travaille dans toutes les divisions logicielles et je gère trois choses : Le DevOps, les outils utilisés pour créer le logiciel ; la plateforme cloud, sur laquelle les développeurs créent le logiciel ; les opérations SaaS, qui gèrent ce logiciel. Étant donné que les divisions utilisent toutes la même plateforme et les mêmes outils, nous pouvons tirer parti d'opérations logicielles communes afin d’offrir aux clients une expérience semblable. Il y a plusieurs divisions, mais toutes utilisent un ensemble d'outils et une plateforme communs. Un logiciel est un logiciel, et si l'expérience utilisateur et la couche transactionnelle peuvent être différentes dans chaque division, il y a des points communs dans la couche inférieure. En tant que responsable des opérations métiers dans le domaine des logiciels, je gère les éléments non essentiels du logiciel afin que chaque secteur d’activité puisse se consacrer à la gestion des éléments essentiels. Mon rôle est un poste de revenus, pas un poste de coûts.

Vous gérez également le FinOps Cloud pour résoudre le problème des dépenses excessives, auquel sont confrontées de nombreuses entreprises quand elles adoptent le cloud pour la première fois. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Quand le cloud est une nouveauté opérationnelle pour une entreprise, celle-ci dépense trop d'argent sans obtenir les bons résultats. La plus grande erreur qu’une entreprise puisse commettre quand elle passe au cloud, c’est de ne pas changer de culture. Les opérations sur site sont complètement différentes de celles dans le cloud. Si une entreprise gère ses opérations cloud de la même manière qu’elle opérait ses datacenters, alors le cloud lui coûtera trois à cinq fois plus cher. Cela ne fait aucun doute. Dans le modèle « on-premise », la mentalité est axée sur l'allocation et les coûts irrécupérables. Dans ce modèle, les ingénieurs logiciels ne cherchent pas à réduire les coûts parce qu'ils considèrent l'allocation comme une taxe. « Le directeur d’activité a payé la taxe, cela n'a donc pas d'importance si je gaspille de l'argent ». Mais le cloud impose de changer d’état d'esprit. Les ingénieurs logiciels doivent connaître le coût du cloud dans leur domaine, savoir où ils dépensent de l'argent et être équipés pour gérer ces coûts, car le cloud offre beaucoup d'opportunités. L'allocation ne fonctionne pas dans le cloud.

Pouvez-vous nous donner un exemple de FinOps en action ?

Nos laboratoires de test de logiciels sur site utilisaient différents systèmes d'exploitation et combinaisons de matériel, car chaque client est unique. Nous devions tester chaque combinaison et nous imputions ces coûts aux activités logicielles. Quand j'ai transféré les laboratoires dans le cloud, j'ai dit aux ingénieurs de ne transférer que ce sur quoi ils travaillaient actuellement. Et, s'ils ont besoin de plus de services cloud, ils sont habilités à les obtenir sans me demander la permission. Mais, je leur ai aussi donné des objectifs financiers et une visibilité sur les coûts des outils. Je contrôle les coûts. Je régis les coûts. Quand le traitement avait lieu dans des datacenters, les services IT achetaient le matériel, et comme ils savaient qu'ils avaient besoin d'une marge de manœuvre, ils achetaient trop et attribuaient ces coûts aux entreprises. Aujourd'hui, les ingénieurs eux-mêmes sont habilités à n'acheter que ce dont ils ont besoin et à atteindre leurs propres objectifs financiers. Ces économies font partie du compte de résultat et ont un impact positif sur les primes des ingénieurs. Le FinOps a contribué à changer la mentalité des coûts irrécupérables. Les ingénieurs savent que s'ils réduisent les coûts du cloud, ils contribuent au résultat de leur entreprise et leur prime augmente. Ils sont enthousiasmés par le nouveau modèle. « Tant que j'économise de l'argent et que je m'aligne sur mon modèle d'entreprise, je peux utiliser les services intéressants du cloud. Je n'ai pas besoin de demander la permission ». 

Quelles sont les autres erreurs que les entreprises doivent éviter quand elles passent au cloud ?

Les entreprises doivent éviter l'approche « lift-and-shift », aussi appelée réhébergement, et comprendre qu'il n'est pas possible de remanier toutes les applications dès le premier jour. Pour optimiser le passage au cloud, l’entreprise a besoin de personnes ayant des compétences dans le cloud, et ce ne sont pas celles qui ont géré l’environnement sur site au cours des 20 dernières années. Il est également important de comprendre que la première année, les coûts seront plus élevés que la deuxième, la troisième et la quatrième année, mais que l’entreprise pourra procéder à des innovations progressives. Avec les datacenters sur site, l’innovation a lieu une fois tous les cinq ans, parce que c'est ainsi que fonctionne l'actualisation de la technologie des datacenters. Avec le cloud, on peut innover tous les trimestres, tous les mois et toutes les semaines. C'est l’un des grands intérêts du cloud. 

Quel conseil donneriez-vous aux entreprises qui passent au cloud ?

Le passage au cloud implique de changer la culture, de revoir son approche et de disposer d'une feuille de route pour mettre en place une architecture dynamique que l’on peut mettre à l’échelle, par exemple l’augmenter pendant la semaine et la réduire le week-end quand les gens ne travaillent pas. C'est ainsi que l'on peut évoluer. Mais on ne peut pas mettre le même vin dans une nouvelle bouteille et dire qu’il est nouveau. Il faut développer une culture du cloud en recrutant de nouveaux dirigeants ayant un état d'esprit FinOps, qui mettent l'accent sur la sécurité. Il est aussi important de rassembler les groupes de logiciels. Il existe des consortiums pour le DevOps, la sécurité et le cloud, afin que les développeurs puissent se parler et ne pas repartir de zéro à chaque fois. Les développeurs aiment créer leurs propres outils, mais ce n'est pas nécessaire dans le cloud. Nous réunissons les développeurs pour qu'ils puissent être fiers de ce qu'ils font et le partager. Avec le FinOps, nous faisons en sorte qu'ils soient fiers d'économiser de l'argent et de contribuer aux résultats des clients. Il ne s'agit pas de leur montrer une présentation PowerPoint où l’on prône une « culture consciente du cloud », mais de leur montrer les résultats de la mise en œuvre de cette culture. Il s'agit de leur montrer le résultat de leur travail.