Sous le nom de « Blockchain in a box », BIAB, la société de conseil Deloitte vient de présenter une plateforme matérielle mobile destinée à permettre aux entreprises de tester à petite échelle un réseau blockchain. Celle-ci réunit quatre serveurs de petit format, trois affichages vidéo et des composants réseaux pour se connecter à des services externes proposés par exemple par des fournisseurs de clouds. Diverses cartes SD peuvent s’insérer dans les serveurs pour faire la démonstration d’applications blockchain distribuées, voir comment elles peuvent être partagées et comment elles peuvent être adaptées aux exigences d’applications spécifiques. 

« Deloitte a bâti sur mesure cette solution en se basant sur l’intérêt manifesté par les clients pour comprendre les capacités de la blockchain dans les interactions réelles », a expliqué Linda Pawczuk, consultante principale chez Deloitte Consulting LLP, et responsable blockchain du cabinet pour les Etats-Unis. « La confusion qui est souvent faite à propos de la blockchain, c’est de la considérer comme une solution technologique intégrale, alors qu’en réalité, c’est une technologie de composants qui permet d’élargir les applications d’entreprise et les approches », estime-t-elle. « La plateforme mobile de démonstration mise au point par Deloitte est pratique, tactique et, ce qui est encore plus important, concrète pour les clients ». Dans un registre différent, le cabinet d’audit financier et de conseil Ernst & Young (EY) a développé un réseau de blockchain publique pour les transactions commerciales privées à utiliser sur la blockchain Ethereum (accessible sur GitHub, Nightfall intègre un ensemble de smart contrats et de microservices). L'objectif d'EY est de permettre aux entreprises d'effectuer des transactions avec un nombre illimité de partenaires dans un réseau ouvert tout en protégeant la confidentialité et leurs données.

Une approche ancrée dans le réel

La « blockchain in a box » modulaire de Deloitte a déjà été présentée à plusieurs clients qui ont manifesté curiosité et enthousiasme. Elle leur a surtout permis de comprendre précisément la blockchain et la façon dont la technologie pourrait être utilisée dans l’entreprise. « Cela aide à démystifier la blockchain et c’est une approche rafraîchissante et ancrée dans le réel par rapport aux démonstrations traditionnelles basées sur des slides »,  avance de son côté Chih-Wei Yi, consultant principal chez Deloitte. En mai dernier, Deloitte a sorti son enquête annuelle Global Blockchain dont les résultats montrent une hausse des investissements sur blockchain. Celle-ci résulte de l’intérêt des entreprises pour des applications métiers nouvelles et pratiques qui vont au-delà des effets d’annonces autour de la technologie distribuée. Selon cette enquête, 83% des répondants ont cette année indiqué que leurs organisations voient des cas d’usage intéressants pour la blockchain. Et plus de la moitié (53%) ont répondu que la technologie blockchain était devenu une priorité critique pour leur organisation, soit une augmentation de 10% sur un an. 

Les enquêtes menées par d’autres cabinets d’analyse font état d’une courbe d’adoption plus lente. Dans celle de Gartner, par exemple, seul 1% des DSI ayant répondu disent avoir adopté la blockchain sous une forme ou sous une autre. Et seuls 8% d’entre eux ont à court terme des projets ou des pilotes en oeuvre. L’enquête révèle aussi que les DSI des secteurs des télécommunications, de l’assurance et des services financiers tendent à devancer les autres secteurs d’activités dans l’expérimentation et les projets blockchain. Martha Bennett, vice-présidente chez Forrester Research, ne remet pas en question les résultats de l’enquête Deloitte, mais elle note que les questions posées portent sur les cas d’usage et les priorités plutôt que sur les systèmes en production ou sur le point de l’être.

Certaines attentes sont irréalistes sur les projets blockchain

Différents facteurs bloquent une plus large adoption de la blockchain, incluant le fait que de nombreuses organisations sont allergiques au risque et ne veulent pas être les premières à sauter dans l’inconnu. « Nous avons vu un certain nombre de projets prometteurs ne pas aller plus loin pour cette raison », a souligné Martha Bennett dans un mail. Il y a également des attentes irréalistes compte-tenu de ce qu’une solution basée sur blockchain peut réellement délivrer. De nombreux problèmes que souhaiteraient voir résoudre les aspirants à la blockchain sont en fait des problèmes de processus et de marché que la technologie ne peut pas résoudre, explique la vice-présidente chez Forrester Research.

En matière de projets blockchain, la technologie ne fait pas tout, de nombreuses difficultés relèvent de questions métiers, avertit Martha Bennett, vice-présidente et analyste chez Forrester Research. (Crédit : Forrester)

Et les idées fausses prévalent autour des caractéristiques intrinsèques de la technologie. Par exemple, les blockchains sont par essence plus sécurisées que les « grands livres » (ledgers) électroniques traditionnels, comme les bases de données, et si les blockchains peuvent aider à préserver l’intégrité des données, elles dépendent de la saisie de données valides et propres. En d’autres termes, une partie de ce qui motive l’adoption est en même temps un frein à la mise en oeuvre des projets, selon Mme Bennett. Mais, même dans ce contexte, la vice-présidente chez Forrester voit « beaucoup plus de projets qui ont dépassé la phase pilote » par rapport à l’année dernière.

Une approche par étape est la recette la plus sûre

L’adoption de blockchain est aussi tirée par une nouvelle compréhension du potentiel stratégique de la technologie à supporter les processus multi-parties dans de nouvelles voies. « Cela va de pair avec la compréhension que cela ne peut pas se faire du jour au lendemain et qu’une approche par étape est sans doute une meilleure recette pour réussir que de viser une révolution immédiate », expose Mme Bennett. « Ce que propose Deloitte pourrait aider les gens à aborder ces nouvelles idées et concepts auxquels ils n’auraient peut-être pas pensé autrement ». Le démonstrateur blockchain de Deloitte sera un outil utile pour les entreprises intéressées à comprendre réellement les capacités de la technologie, avance-t-elle. « Vous pouvez déterminer très rapidement si un cas d’usage mérite d’être tenté ou non. Le service de Deloitte est peut-être unique dans ces spécificités, mais le concept n’est pas nouveau. Plusieurs fournisseurs de cloud parmi les principaux facilite la mise en route de réseaux de démonstration pour les équipes techniques », rappelle Martha Bennett. Par exemple, Fujitsu a lancé l’an dernier l’offre « Blockchain Proof of Business » qui aide les entreprises à démontrer, avec un MVP (minimum viable product), si le cas d’usage qu’elle explore vaut la peine d’aller plus loin. 

Néanmoins, pour les entreprises envisageant des pilotes ou des PoC (proofs of concept) blockchain, des capacités d’expérimentation rapides offertes par le démonstrateur de Deloitte ne sont pas encore suffisantes, poursuit Mme Bennett. En particulier si l’on arrive à la conclusion que le cas d’usage exploré mérite d’être mis en oeuvre et que l’on veut passer à l’étape suivante. « La composante blockchain ne représente qu’une partie de la solution complète, et la distance est immense entre un PoC et un projet pilote et un système opérationnel », prévient la vice-présidente de Forrester Research. « Les défis technologiques associés - sans compter que la technologie elle-même est encore immature - ne sont pas en fait le problème principal : ainsi que je continue à le répéter, les blockchains sont à 80% liés aux métiers. Définir des données et des processus, se mettre d’accord sur ce que l’on veut partager, concevoir le modèle de gouvernance, se conformer aux réglementations, établir des cadres juridiques, etc. Comme le confirment ceux qui s’y sont engagés en premier, tout cela est très difficile à réaliser ».