Les datacenters poussent vite en France. Equinix, qui n’est plus à présenter, a réussi l’exploit de sortir de terre un datacenter en périphérie Nord de Bordeaux, à Bruges, en l’espace de 11 mois. Les travaux avaient débuté fin 2020 et devraient être terminés d’ici le mois de novembre 2021. Initialement, la construction d’un datacenter met entre 4 et 5 ans. Après un investissement initial de 32 millions d’euros, la firme prévoit un coût maximal de 100 millions d’euros. La grande originalité de ce datacenter renommé BX1 réside dans sa structure modulaire qui exploite le câble transatlantique Amitié reliant les Etats-Unis à l’Europe. Réalisé par Orange, ce câble sous-marin a pour principal commanditaire Facebook, qui entend exploiter une route secondaire pour le trafic de ses données entre les deux continents. D’une longueur totale de 6 800 km, il assurera une connexion entre l’Etat du Massachusetts (Etats-Unis), Le Porge (France) et Bude (Angleterre). La mise en service est prévue début 2022.

Dans le détail, le site BX1 de 3 000m² accueille actuellement deux modules de 500 m² - pour une consommation totale d'un MW - et devrait à terme, contenir un total de huit modules. Son premier module est déjà pleinement occupé par un client et le second l’est à 80%. Mystérieux, le client du premier module l’est puisque la firme n’a pas souhaité communiquer à ce sujet lors de la visite mais on peut parier sur Facebook. D'autres spécialistes de la co-location ont été approchés par Facebook pour la construction et la gestion de ce centre, mais ont décliné la proposition : « projet beaucoup trop modeste à court et moyen termes », selon un des concurrents. Des acteurs locaux ont également été écartés, leurs installations n'étant pas au standard des Gafam.

L'ensemble du bâtiment a été construit sur pilotis afin de pallier le problème d'inondation de la zone. (Crédit : Equinix)

Doté de 16 paires de fibre optique avec une capacité maximale de 23 Tb/s chacune, Régis Castagné, directeur général d’Equinix France, annonce que ce câble transatlantique est « plus puissant que les câbles qui arrivent à Marseille ». Un coup d'oeil sur une carte publiée par Interxion, qui opère à Marseille, permet de comparer les deux points d'arrivée.

Les débits des câbles sous-marins arrivant à Marseille. (Crédit Interxion)

Le dirigeant ajoute que « Bordeaux est désormais à 6,2 millisecondes de Paris », une vitesse de transmission impressionnante entre BX1 et ses semblables en Île-de-France. Le centre de données est par ailleurs relié à tous les sites de l’hébergeur en Europe et ailleurs dans le monde. Orange va, dès sa disponibilité, commercialiser l’accès à ce câble Amitié pour attirer des voies supplémentaires vers Paris, Toulouse et l’Espagne. Côté clients, la firme a su recruter de grands noms tels que Orange Business Services, la SNCF, Cheops, Axians, ou encore Outscale, la filiale cloud de Dassault Systèmes. « Au total, une trentaine d’opérateurs télécoms sont en train de s’installer, dont quinze qui n’étaient précédemment pas à Bordeaux, suivis par des opérateurs cloud et d’autres entreprises » précise Régis Castagné.

Un écosystème qui papillonne autour

Cette ancienne zone de fret, complètement rénovée, a pour objectif d’être redynamisée grâce à un écosystème numérique amplifié – du moins c’est ce qu’espère le dirigeant d’Equinix France. Il insiste sur le dynamisme de la région, pris en compte dans le choix de l’implantation du datacenter BX1. « Il s’agit de la seconde région en nombre de créations de start-ups » assure-t-il. De grands noms ont déjà été attirés par le département de la Gironde, à l’exemple de Google et son atelier numérique, Microsoft, son lab expériences et son école IA by Simplon. L’incubateur Darwin – écosystème de start-ups – est également l’un des points sur lesquels le directeur général d’Equinix France compte s’appuyer pour faire valoir la proximité de BX1. Avec un PUE cible annoncé à 1,2, le site parie sur la réduction de consommation énergétique pour séduire des clients et consolider leur datacenter sur BX1. La création de postes pour les bordelais est également un plus, « aujourd’hui 12 emplois sont pourvus par des personnes de la région et on compte une cinquantaine de postes au total ». Reste à savoir si les entreprises locales et régionales suivront le pas et feront le pari d’une implantation dans la métropole de Bordeaux.

Jean-Paul Calès, vice-président de la CCI (Chambre de Commerce et d’Industrie) Bordeaux Gironde, présent à l’occasion de l’inauguration du centre de données, n’hésite pas à revenir sur ce point. « Il est important que des entreprises puissent revenir investir dans ces zones ». En partenariat avec le syndicat Gironde Numérique, la CCI Bordeaux Gironde souhaite en effet fibrer l’ensemble du territoire, soit 30 000km pour rendre le territoire plus attractif. « Nous avons besoin d’entreprises performantes et d’avoir un avantage concurrentiel face à Paris et Marseille », soutient le président de la métropole, Alain Anziani. Régis Castagné souhaite en effet créer un hub numérique européen et contribuer au rayonnement économique de la région.

Régis Castagné, directeur général d'Equinix France, était présent lors de l'inauguration du centre BX1. (Crédit : Equinix)

Redorer son blason vert

L’hébergeur ne cache pas sa fierté lorsqu’il s’agit de parler de réutilisation de la chaleur dégagée par ses datacenters en France. « A Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), nous réutilisons la chaleur pour chauffer la piscine municipale ; ailleurs dans Paris nous l’avons mis à disposition du réseau de ville pour chauffer des immeubles ». Seulement ici, pressé par le temps, cela est impossible, le choix se faisant avant la construction du bâtiment. Régis Castagné sous-entend qu’un second datacenter pourrait voir le jour avec un système de réutilisation de la chaleur.

De fait, le spécialiste de la co-location compte faire la demande d’une ferme solaire à travers le réseau Enedis ou RTE pour « garantir et créer des sources des production proches des endroits où l’énergie est consommée » assure Régis Castagné. Un projet d’école du digital à proximité du BX1 est par ailleurs en cours de réflexion ainsi qu’une pépinière d’entreprises. Par cette « logique de maîtrise de ce trafic sous les mers », Equinix et son datacenter BX1 font le pari de « créer des liaisons entre les différents datacenters du territoire et leurs nouveaux usages afin d’être dans un écosystème plus large », un défi audacieux mais néanmoins risqué. La firme devra faire bien plus que compter sur l’effet magnet des Gafam qui utilisent ses services.