La société Munters, basée à Stockholm et fondée en 1955, travaille pour un large éventail de secteurs afin de fournir des solutions de traitement de l'air et de climatisation innovantes et économes en énergie. Aujourd'hui, l'entreprise, qui compte près de 4 000 employés dans 30 pays et dont le chiffre d'affaires 2022 s'élève à 10,4 milliards de couronnes suédoises [1 milliard de dollars], vend également des produits complémentaires, comme des solutions pour les datacenters et des logiciels spécialisés pour l'élevage d'animaux et les serres.

« Nous nous développons notamment grâce à la numérisation, explique Kenneth Verlage, DSI et CDO du groupe. À l'heure actuelle, notre programme de transformation numérique se déploie selon deux axes : l'un en direction des clients et l'autre vers notre propre production. » L'investissement dans la numérisation de l'entreprise a commencé il y a quatre ans et depuis, son budget a plus que doublé, selon le DSI, recruté il y a trois ans précisément dans le cadre de cet investissement.

Lorsqu'il a rejoint Munters, l'environnement informatique était bien géré et ne présentait pas de dette technique majeure - une aubaine pour tout nouveau DSI. Mais, à l'inverse, l'entreprise n'avait pas construit grand-chose et l'innovation numérique restait faible. Par conséquent, une grande partie des efforts actuels consiste à introduire l'ADN du numérique dans la culture de l'industriel. « Chez Munters, l'informatique peut désormais faire des choses différentes de ce qu'elle faisait il y a trois ans, assure le DSI. Nous soutenons les métiers et les usines, et ils doivent savoir que nous sommes là pour les aider. En même temps, il est important que tous les membres du service IT participent à ce développement, même ceux qui y travaillent depuis longtemps. »

La volonté de démocratiser

Une partie importante de cette volonté d'inclusion consiste à démocratiser l'IT afin que le développement puisse avoir lieu à proximité de des métiers. « Les grandes opportunités se font jour lorsque l'informatique fait partie intégrante de l'activité quotidienne et n'est pas vue un département à part, explique Kenneth Verlage. C'est pourquoi j'essaie de faire de la DSI une sorte de franchise, de la démocratiser et de laisser le développement normal des métiers assurer le travail. Je veux récolter la productivité de ce que l'on appelle le Shadow IT sur une plateforme techniquement viable. »

Cela signifie que le département informatique met en place les systèmes et les régulations, puis permet aux développeurs extérieurs à son organisation de construire ce qu'ils souhaitent à l'intérieur de ces cadres. « Nous devons permettre à nos usines de développer leurs propres solutions, ajoute le DSI. Ce que nous apportons au niveau central, c'est une base de compétences et la fourniture de la technologie et des intégrations nécessaires à la création d'applications. »

Ce degré de liberté apportée aux usines de Munters leur a permis d'employer leurs propres développeurs, ce qui n'était pas le cas auparavant. Et les choses évoluent si vite que même Kenneth Verlage a du mal à suivre le rythme. Par exemple, lors d'une réunion interne l'été dernier, le DSI et CDO a indiqué qu'il lui faudrait encore du temps pour jeter les bases de l'IA générative. « Certains développeurs ont protesté et cela m'a plu, c'était sain », juge-t-il. Et, après la réunion, il a découvert que l'IA était déjà mise en oeuvre dans un portail client. En injectant tous les manuels techniques dans un modèle, quelqu'un avait bâti une interface permettant de recevoir des réponses à une question technique, avec la possibilité d'être dirigé vers la bonne vidéo de tutorat, et même de savoir où se trouvait la réponse dans cette vidéo. « Des choses fantastiques voient le jour lorsque les développeurs ont la possibilité de s'enfuir avec le client », s'amuse le DSI.

Accélérer le passage à l'échelle

Malgré ces fondations permettant d'accroître l'innovation en interne et de proposer des solutions réellement souhaitées par les métiers, Kenneth Verlage estime que Munters a encore beaucoup de progrès à accomplir dans sa transformation. « Nous devons commencer à passer à l'échelle et nous avons passé beaucoup de temps à réfléchir à la manière adéquate d'y parvenir, explique-t-il. Nous ne laissons plus entrer dans nos SI des plates-formes difficiles à mettre en oeuvre sans impliquer nos équipes, faute de quoi ces technologies ne sont pas utilisées. Nous avons également besoin de davantage de données. »

Plusieurs éléments accélèrent le développement. Par exemple, Munters utilise des approche low/no-code dans ses usines. Pour les applications à destination des clients, l'approche du développement est toutefois légèrement différente, afin de proposer des interfaces plus évoluées. Une autre contribution à la démocratisation de l'IT réside dans le concept de microservices, qui permet d'assembler des applications pouvant être partagées entre les secteurs d'activité et les développeurs. « L'organisation est également plus mûre aujourd'hui qu'hier et pense de manière plus numérique, explique Kenneth Verlage. Ces fondations aujourd'hui en place, j'essaie de préparer le terrain, de laisser les choses se faire dans les métiers et de ne contrôler que ce qui doit l'être. »

Création de jumeaux numériques

Pour obtenir les données accélérant la numérisation de ces activités, Munters crée un jumeau numérique pour chaque machine qu'il vend et veille à ce qu'il soit clair qu'il est bien propriétaire des données ainsi générées. Dès qu'une commande de machine est passée, le jumeau numérique est créé et toutes les spécifications y sont intégrées. Ce double numérique suit ensuite la production de son jumeau physique. Il répertorie quel ventilateur et quel moteur sont insérés dans la machine, avec leur numéro de série. Il renferme également des informations sur le lieu de livraison et la date d'arrivée.

« Nous utilisons le jumeau numérique parce qu'il permet de suivre tout ce qui se passe en temps utile et de prévenir en cas de retard, explique Kenneth Verlage. C'est très important pour de nombreux clients. » Le jumeau numérique suit également l'installation du jumeau physique - il sait qui s'en charge, fait ressortir les écarts, etc. - et reçoit ensuite les données relatives à l'exploitation. Selon le DSI, « il suffit dès lors d'appliquer l'intelligence au jumeau, sans avoir besoin de l'intégrer à la machine. Cela simplifie l'installation et la maintenance, et nous pouvons tout gérer confortablement depuis nos locaux, à partir de nos serveurs. »

Optimiser la consommation d'énergie

Le programme de transformation inclut également un volet sécurité. Pour les machines renfermant des informations sensibles, il est ainsi possible de s'assurer que les seuls flux de données sont sortants, à destination du jumeau numérique. « S'il était possible d'arrêter le refroidissement d'un datacenter parce que nous avons été piratés, ce serait une mauvaise journée de travail pour moi », ironise le DSI.

Les données provenant de tous les jumeaux numériques peuvent apporter des gains rapides, comme la possibilité d'économiser de l'énergie en réglant les machines aussi précisément que possible - un domaine où beaucoup reste à faire, selon Kenneth Verlage, qui explique qu'aujourd'hui, l'usage est de ne pas forcément optimiser ce réglage pour assurer la sécurité de fonctionnement. Mais, avec données précises, un réglage fin devient possible, afin qu'aucune énergie supplémentaire ne soit gaspillée.

Trois étoiles directrices pour l'IA

Kenneth Verlage s'appuie sur trois principes directeurs pour travailler avec l'IA. Le premier est l'utilisation de la méthode agile pour développer, mettre en oeuvre et rendre les applications opérationnelles rapidement. Le deuxième est une méthodologie qui vient de Google - le 'prétotypage'. « Ici, le mot "pré" signifie "prétendre" ; au sens où il n'est pas nécessaire d'avoir un prototype, explique-t-il. Il suffit de faire semblant d'en avoir un. Parlez au client de quelque chose que vous n'avez pas, mais que vous pourriez concevoir. Si vous allez tester un nouveau téléphone portable, donnez-lui la forme d'un bloc de bois et laissez les gens le tenir dans leur main pour voir s'il provoque une étincelle ».

Le troisième principe est ce qu'on appelle la "simplicité radicale", qui consiste à rendre tout aussi simple que possible. Il s'agit de lancer de petites applications très simples, puis de les améliorer en collaboration avec le client. Kenneth Verlage explique que Munters a récemment créé un portail client personnalisé permettant de consulter et suivre les commandes. Dans un cas, le deuxième jour, le client a découvert qu'une commande était en cours d'acheminement vers le mauvais bâtiment, ce qui a permis de la corriger. « Ce fut une expérience extraordinaire pour le client, et cela montre que même les choses les plus simples peuvent rapidement devenir utiles », dit-il.

Arrêter le gaspillage

Cette approche, qui consiste à lancer rapidement de premières versions d'une initiative, est très importante aux yeux du DSI. Et de souligner que la DSI a souvent et étrangement eu du mal à s'y adapter. Le fruit d'une culture marquée par les grands systèmes, souvent mis en oeuvre sur de longues périodes, mais parfois négligés par les utilisateurs. « Nous ne pouvons pas permettre un tel gaspillage et introduire des systèmes coûteux qui ne sont pas utilisés, dit-il. Si nous le faisons, c'est que nous nous trompons quelque part. Nous devons quitter l'ancien monde et numériser d'une manière différente à partir de maintenant. Je suis presque obsédé par l'idée de mettre les choses en production. »