Anthony Battle a rejoint Jaguar Land Rover (JLR) en tant que CDIO (chief digital and information officer) en février 2022, alors que l'entreprise s'est engagé dans une transition vers l'électrique de ses nouvelles gammes d'ici à 2025 et de l'ensemble de ses modèles d'ici à la fin de la décennie. Cette stratégie s'inscrit dans le cadre d'une transformation stratégique plus large, baptisée Reimagine. Celle-ci prévoit la réduction de moitié d'ici à 2030 des émissions de gaz à effet de serre de sa supply chain et de ses activités en général, par rapport aux niveaux de 2019 pour atteindre l'objectif de « zéro émissions carbone nettes » en 2039. Une stratégie qui s'appuie sur une transformation digitale qui vaut aussi bien, comme l'explique Anthony Battle, « pour les équipes d'ingénieurs qui électrifient les véhicules que pour celles que l'IT supervise et qui transforment le SI. »

Proposer la meilleure expérience utilisateur possible dans les futurs véhicules de Jaguar Land Rover va exiger de nouveaux services numériques, mais aussi une intégration avec les services existants. « Cela signifie que nous devons collecter de nombreuses données depuis le véhicule et alimenter celui-ci avec des data de l'entreprise, précise le CDIO. Et que nous devons instaurer une forte synergie en matière de cloud, de standards d'ingénierie logicielle, d'intégration et d'API, entre l'ingénierie produit et l'informatique d'entreprise.»

Intelligence artificielle et automatisation intelligente

Au cours des cinq dernières années, JLR a progressivement adopté une approche data centric et placé les données, structurées ou non, dans le SI. Objectif : utiliser IA et RPA (robotic process automation) pour soutenir la prise de décision stratégique. « Et pour cela, nous ne manquons pas d'offres généreuses de la part d'éditeurs qui veulent tous nous aider, ironise Anthony Battle. Bien sûr, nos métiers en ont absolument besoin, et nous allons nous y atteler, mais progressivement. » Par ailleurs, le CDIO du constructeur automobile s'appuie sur les nombreux tests et développements de Tata Consultancy Services (TCS), en particulier en matière d'IA générative. JLR appartient en effet lui aussi au groupe Tata.

« Certaines équipes informatiques utilisent déjà l'IA pour la méthodologie et le développement, poursuit Anthony Battle. Mais aujourd'hui, nous avons décidé de faire une pause pour réfléchir aux garde-fous, aux procédures d'utilisation et aux dispositifs de contrôle. C'est une partie essentielle de notre stratégie data et IA, mais aussi RPA. »

Dans certains domaines technologiques, le CDIO a déjà fait le choix de focaliser ses dépenses sur un nombre restreint de fournisseurs. C'est le cas de Google Cloud Platform (GCP) pour les data et d'Appian pour l'automatisation de processus, par exemple. « Nous avons mis en place de nombreuses fonctions de RPA et Appian est notre plus gros moteur pour l'instant ».

Le Brexit comme moteur pour la RPA

L'un des premiers projets de JLR avec l'éditeur américain a débuté quelques mois après l'entrée en vigueur du Brexit, en 2020. « Nous avons dû redoubler d'efforts pour trouver des solutions intelligentes, idéalement automatisées, pour ingérer toutes les contraintes bureaucratiques et législatives liées au Brexit », raconte Anthony Battle. Le constructeur britannique s'est retrouvé avec des usines britanniques séparées de ses principaux fournisseurs dans l'UE par un imbroglio de nouvelles réglementations douanières et de paperasserie. Il a même sérieusement envisagé d'embaucher du personnel uniquement pour s'occuper de ces nouvelles contraintes administratives. Mais la DSI a proposé une alternative. Pour définir les besoins, elle a d'abord réuni une équipe transverse d'experts fiscaux, juridiques, logistiques, financiers, spécialistes de la planification des matériaux ou des ventes, avec l'aide externe de Tata Consultancy Services.

Aujourd'hui, 150 utilisateurs traitent quotidiennement quelque 250 déclarations de douane avec un système de traitement automatisé de documents conçu par JLR avec Appian. Les employés peuvent ainsi se consacrer à d'autres tâches. Qui plus est, l'entreprise déclare avoir économisé 15 M£ (environ 17,5 M€), en grande partie grâce à la réduction des droits de douane obtenue par l'exploitation des données extraites du processus automatisé.

Bien que le projet ait été un succès, Anthony Battle aurait préféré mener certaines étapes différemment. « La rapidité avec laquelle nous avons dû trouver une solution ne s'est pas vraiment prêtée à une amélioration des processus », regrette-t-il. Et cela a contraint l'entreprise à pivoter pour s'adapter au changement. « Cela nous a appris que le temps consacré à la cartographie logicielle et à l'ingénierie de processus en amont est un investissement particulièrement précieux. »

L'attractivité de l'industrie pour les professionnels IT

L'automatisation a évité à JLR l'embauche de pléthore d'employés uniquement pour saisir des données, mais le constructeur a néanmoins dû recruter et former du personnel pour disposer des nouvelles compétences technologiques nécessaires au projet. Pour pourvoir ses 800 postes d'experts en IA et en machine learning, en cloud, en data science, le groupe a ciblé dès novembre 2022, les nombreux employés dont les entreprises high tech internationales se séparaient. « C'est une grande réussite, se félicite Anthony Battle. Nous avons attiré d'incroyables experts numériques à de nombreux niveaux. » À l'heure où certaines grandes entreprises technologiques continuent de licencier leurs équipes par vagues, c'est une stratégie que d'autres employeurs pourraient vouloir imiter.

Ce que des industriels offrent à leurs développeurs logiciels et autres informaticiens, contrairement à des Google ou Meta, c'est la possibilité de voir les résultats concrets de leur travail sortir de la chaîne de production et franchir la porte de l'entreprise. « Vous pouvez appréhender de manière tangible l'impact de ce vous créez. Vous pouvez presque toucher le résultat, s'enthousiasme le CDIO de JLR. Cela fait pencher la balance. C'est une proposition incroyable pour tout professionnel de la technologie. »