LMI. Les lecteurs du Monde Informatique vous ont désigné comme personnalité IT de l'année 2017. Quelle est votre réaction ?

Jean-Christophe Laissy. Je suis très heureux et très fier. Cela récompense d'abord le travail de toute une équipe IT qui, depuis 3 ans, a repositionné la DSI du groupe comme un vrai digital business partner. C'était notre ambition. On est parti d'une situation où la DSI était perçue comme focalisée sur les questions end user et cela a pris beaucoup de temps pour montrer et prouver qu'elle pouvait aussi devenir un business partner crédible. Aujourd'hui, on s'est repositionné au service des métiers et cela nous permet d'assurer la transformation digitale à tous les niveaux, autour de la sécurité du digital workplace en particulier.

Comment êtes vous entré dans le milieu de l'IT ?

A la base j'ai une formation commerciale, je ne suis pas ingénieur. Je suis tombé dans l'IT un peu par hasard, par l'intermédiaire de projets de transformation. Au départ je vendais des barres d'acier inoxydables chez Usinor. J'ai commencé par la qualité et c'est comme cela que je suis arrivé dans l'IT, en faisant la traduction entre les métiers et l'informatique avec toujours une approche client, service et utile et essayer de faire rencontrer ces deux mondes. J'ai fait tous les métiers de l'IT : développement, chef de projet, directeur de production... et suis passé chez Renault, Thales et Alstom avant de rejoindre Veolia.

Au fil du temps quelle évolution de la place de l'informatique dans l'entreprise avez-vous pu constater ?

Avant, l'IT c'était plus un moyen et moins une aide au business. Les choses évoluent, accélèrent et les technologies permettent aujourd'hui d'investir des terrains sur lesquels la DSI n'était pas compris, comme par exemple celui de l'informatique industrielle. Jusqu'à pas si longtemps, celle-ci était la chasse gardée des opérations. Deux facteurs expliquent que la DSI investit ces domaines core business, à la fois les menaces sur la cybersécurité et puis l'agilité et la facilité de mener des projets autour du big data, du cloud et de l'IoT. Le nouveau terrain de jeu de la DSI c'est d'apporter de la valeur au service des opérations et pas forcément d'assurer des fonctions support.

Veolia est présent dans l'eau, la propreté ou encore l'énergie. J'imagine qu'en tant que groupe industriel vous avez un projet d'industrie du futur dans les cartons ?

Tout à fait. Les technologies big data, cloud et IoT n'ont de sens que pour arriver à cet objectif. Un des grands axes de la stratégie digitale de Veolia c'est de trouver des business models et gérer l'efficacité opérationnelle. On est bien là dans l'Industrie 4.0. Nous sommes le principal opérateur d'objets connectés avec près de 4 millions d'objets connectés en France et 6 à 7 millions dans le monde. Cela comprend des compteurs connectés, des vannes, des chaudières, des camions bennes... Sur un camion benne de collecte de déchets, on a une vingtaine de capteurs par exemple. Pour gérer cette masse de données on n'a pas d'autre choix que d'utiliser le cloud et l'analyse IA sous forme de services, pour moitié sur AWS et pour autre moitié sur Google. On essaie de faire de l'assemblage de briques existantes pour fournir aux opérationnels des solutions clés en mains très rapidement. 

Comme par exemple ?

Nous avons développé une app en 3/4 semaines, Clear, qui mêle des capteurs physiques que l'on installe autour d'une station d'épuration ou d'une décharge et qui capte les niveaux de gaz odorants. Ces données sont reprises dans l'app qui les mélange avec des données météo, et avec un algorithme que l'on a développé, qui permet d'alerter les populations et les collectivités du déplacement du panache d'odeurs pour permettre la mise en place de contre mesures. On est aussi en train d'investiguer de nouveaux domaines qui mêlent à la fois l'efficacité opérationnelle et l'approche du sens du service. Ce n'est pas le tout de faire moins cher, il faut aussi faire mieux. En ce moment on travaille sur une app, Actipol, qui permet de remonter à la source d'un pollueur potentiel quand on détecte une pollution dans un réseau d'eau. On travaille avec de l'open data pour identifier ceux connectés aux réseaux d'eau de collecte des eaux usés et cela permet de remonter beaucoup plus vite dans l'identification du pollueur, mais surtout du type de pollution. Couplé à de l'analytique cela permet de donner des pistes pour y faire face. Ce service en test utilise Google Cloud Platform et AWS.

AWS a annoncé il y a quelques semaines l'ouverture de datacenters en France : allez-vous basculer dessus prochainement ? 

C'est une excellente nouvelle que le maillage d'AWS s'accélère. Cela correspond à nos recommandations géographiques, on va basculer dans les mois qui viennent pour nos activités en France. Pour l'instant, elles utilisent les datacenters d'AWS en Irlande et en Allemagne.

En tant que DSI d'une grande entreprise, quel regard portez-vous sur les start-ups ? Les percevez-vous comme une menace ou au contraire une opportunité ?

On travaille avec des start-ups françaises et étrangères, certaines sont plus avancées que d'autres, en Allemagne, Angleterre, France, Amérique Latine... Ce sont soit des start-ups que l'on incube nous-mêmes au sein de notre incubateur Nova Veolia pour développer de véritables expertises sur l'IoT, les services BtoC... Ensuite, on a aussi noué un nombre de partenariats avec des start-ups comme Yoyo dans la gestion des déchets mais je ne peux pas vous en dire beaucoup plus. Nous ne voyons en tout cas pas les start-ups comme une menace mais une opportunité. On surveille, on fait attention, on prend de la participation et on ne s'interdit rien. On s'intéresse aux start-ups sur les thématiques de l'IoT, du cloud, du big data et des services innovants en rupture, souvent dans des pays en développement sur lesquels on tente de nouvelles choses dans la collecte des déchets.

Quel regard portez-vous sur le rôle de la DSI dans l'entreprise ? Son avenir est-il rose ?

L'avenir de la DSI et son salut ne peut pas passer autrement qu'en arrivant à se positionner en tant que digital business partner, sinon elle restera cantonnée à des fonctions de support de gestion. Ce n'est pas un cri d'alarme, c'est un encouragement à utiliser toutes les technologies clés en main, faciles à utiliser, qui ont émergé ces 3/4 dernières années. Il ne faut pas avoir peur de les utiliser. Aujourd'hui la DSI prend le chemin du serverless et de l'intelligence artificielle et celles qui n'utiliseront ou ne maîtriseront pas ces technologies nouvelles ne prendront pas le bon chemin.