CIO : Fnac Darty a récemment rapproché son organisation digitale et sa DSI. Pour quelle raison ?

Jean Laborde : L'enjeu principal de cette organisation réside dans le développement du chiffre d'affaires et du résultat de l'activité e-commerce. Y compris les flux qui vont vers les magasins, avec les prises de commande sur nos plateformes digitales, pour la France et l'étranger (Belgique, Suisse, Espagne et Portugal). C'est en partie en lien avec notre plan stratégique et nos objectifs ambitieux sur ce canal du e-commerce. Aujourd'hui, la part principale du chiffre d'affaires Fnac Darty provient toujours du magasin et celle du canal e-commerce pur (ventes réalisées uniquement en ligne, NDLR) a même de nouveau accusé un léger recul. L'omnicanalité et le click-and-collect continuent eux de progresser.

C'est Olivier Theullé, chief e-commerce et digital officer, qui chapeaute cette nouvelle organisation. Il pilote tout le digital et toute l'IT, y compris l'infrastructure, l'informatique de la supply chain et des fonctions support comme les RH ou la finance, dans le but d'atteindre ces objectifs business sur le e-commerce. De mon côté, depuis fin 2021, je m'occupe, au sein de cette même organisation, de la verticale du e-commerce afin de développer son poids dans le groupe avec les leviers de plateforme. Nous sommes 350 personnes, dont la moitié en interne et l'autre moitié en régie.

J'ai la charge de sujets comme l'acquisition du trafic, le SEO (search engine optimization), la data, par exemple. Et, en interne, j'ai un rôle d'explication du e-commerce, de lobbying en quelque sorte, auprès des fonctions transverses. Nous devons par exemple disposer d'un assortiment de produits forcément beaucoup plus important sur le web qu'en magasin. Et j'apporte les analyses de data qui montrent qu'il peut effectivement devenir plus intéressant d'investir x millions d'euros de stocks en ligne plutôt qu'en magasin. C'est donc une fonction IT et digital, mais avec une réflexion purement métier et une influence directe sur l'activité proprement dite : disponibilité des produits, mise en avant des offres, web merchandising, intensité promotionnelle, etc.

Avant de parler des projets IT au service du développement du e-commerce, où en êtes-vous de la convergence des SI de Fnac et de Darty ? Est-elle terminée ?

D'un point de vue organisationnel, la fusion est complètement digérée. Pour autant, nos plateformes techniques restent différentes. Les front offices en particulier. Mais nous venons de faire converger les back offices des marketplaces et toute la gestion du catalogue. Depuis avril 2023, nous avons fusionné les PIM (Product information management) de Fnac et Darty pour les produits stockés, achetés, vendus par le groupe et également pour les offres proposées par les vendeurs des marketplaces. Et c'est une vraie réussite dans ce domaine du référentiel produit en omnicanal.

C'est un chantier très important, car notre catalogue comprend 20 millions de références. Et depuis environ 3 ans, pour analyser la qualité des data associées, les rejeter, les reclassifier, les compléter ou normaliser les analyses de description de produit, nous avons décidé de développer nos propres algorithmes, car nous n'avons trouvé aucune solution adéquate sur le marché. Très peu d'éditeurs sont capables de gérer un volume de data de catalogues produits aussi importants et variés que le nôtre. Pour l'acquisition des informations produits par exemple, nous utilisons le portail de Mirakl, mais il ne dispose toujours pas de ce type de fonctions avancées.

Jean Laborde, directeur digital Fnac-Darty (Photo Thomas Léaud)

En quoi consistent ces développements en propre autour de vos données produits ?

En 2022, nous avons mis en production un portail de publication des produits pour les vendeurs de nos marketplaces, puis notre base PIM, avec une couche de contrôle que nous avons développée pour nous assurer de la qualité des données. Nous avons donc des API pour extraire les data et nous entraînons nos algorithmes maison sur des datasets de descriptions de produits déjà propres et qualitatives. Ces traitements nous permettent d'extraire de nouveau des caractéristiques produits plus précises, pour les mettre à disposition dans les facettes (filtres de requêtage associés à une donnée, NDLR) de notre moteur de recherche. Nous avons donc constitué notre propre plateforme de filtres et nous avons une feuille de route pour les enrichir, en ajouter, et garantir la qualité du catalogue. Le consommateur peut ainsi filtrer sa recherche sur des critères comme la quantité de RAM, la taille d'écran, etc. au sein d'un catalogue beaucoup plus important qui comprend aussi les offres des vendeurs des marketplaces. Jusque-là, toutes les fiches produits dont les caractéristiques n'étaient pas standardisées, en particulier celles des vendeurs des marketplaces justement, sortaient de la recherche.

Pour ce projet, vous avez aussi décidé de passer toute l'infrastructure data dans le cloud. Où en êtes-vous de cette migration ?

Effectivement, nous avons terminé mi-2022 la migration vers GCP (Google cloud platform) de tous nos gros agrégats de données, datawarehouses, datalakes. Ce projet d'une durée de deux ans a abouti à une plateforme data commune à Fnac et Darty dont j'ai la responsabilité pour le groupe. Et nous utilisons massivement Big Query qui nous est apparu comme le bon outil, suffisamment puissant et facile à utiliser pour gérer notre masse de données. Il nous a fait beaucoup progresser pour y voir plus clair sur la qualité, la complétude, l'exhaustivité de nos data.

Toute notre data est donc sur Big Query, sauf une partie provenant de notre base Teradata que nous avons migrée vers la version cloud GCP, Vantage, pour des questions de rapidité et de coût de la transformation. C'est ce datawarehouse qui nous a donné accès très rapidement à des données déjà bien organisées et avec un bon niveau de qualité. Elles sont aussi disponibles dans Big Query via des mécanismes d'accès à Vantage.

Notre vision, c'est que toutes les data et toutes les applications qui touchent au client vont progressivement monter dans le cloud. De toute façon, plus aucun logiciel n'est disponible autrement... Aujourd'hui, nous travaillons cependant plutôt avec des SI qui produisent des événements. Quand le SAV a reçu un client dans un magasin à propos d'un problème sur un appareil, par exemple, la plateforme data récupère le message correspondant et est capable de dire en temps réel que le taux de panne augmente dans telle région, sur telle famille de produits. Finalement, c'est la plateforme data qui se rapproche directement des applications opérationnelles.

Le siège de Fnac-Darty, à Ivry-sur-Seine, Val-de-Marne. (Photo : E.D.)

Votre organisation, IT et digitale, et ce projet de convergence data, visent à accompagner directement la stratégie et n'ont pas que des implications techniques. Qu'est-ce que cela implique en matière d'organisation, en particulier avec les métiers ?

Ma vision de l'organisation cible vient de ce que la data n'est pas un sujet en dehors du reste de l'activité. C'est même le sang de tous les processus. Et maintenant que nos infrastructures technologiques sont prêtes, nous travaillons justement sur le rapprochement du métier avec la donnée et son traitement, pour en tirer toute la valeur, ainsi que sur le modèle organisationnel pour atteindre cet objectif, en fonction des périmètres. Les niveaux de maturité data sont en effet différents suivant les équipes. Pour des services comme le marketing clients qui ont déjà cette culture de la donnée, de l'analyse, nous allons sûrement passer à une organisation assez intégrée sous forme de squad, de data factory, avec des employés métier et tech dans une même structure.

Mais dans d'autres périmètres comme le SAV ou les opérations, je réfléchis plutôt à donner les capacités de gestion de ces domaines data à l'équipe IT qui s'occupe aujourd'hui des applications. Dans ces métiers, les utilisateurs n'ont pas la formation requise et il est plus simple de confier la tâche à l'IT, avec des ingénieurs qui savent faire de l'applicatif, gérer une plateforme Big Query, etc. L'informatique s'occuperait ainsi à la fois des applications opérationnelles, du modèle de données, de la capacité analytique et potentiellement des modèles d'IA cohérents avec le domaine métier SAV pour plus de proximité et de compréhension. Comme nous avons désormais les plateformes, les technologies et toutes les data rassemblées, l'enjeu consiste à mettre en place un modèle pertinent dans chacun des métiers, plutôt qu'une équipe data transverse sur le modèle d'un traditionnel CDO trop éloigné des métiers.

L'axe de cette transformation organisationnelle que nous allons déployer en 2024, c'est donc une approche par domaine, mais avec une cellule de gouvernance transverse qui s'assure que les guidelines d'utilisation des technologies sont suivies, qu'on ne duplique pas la data, qu'on la partage entre les métiers, etc. Un autre enjeu va d'ailleurs consister à maîtriser l'évolution de la donnée à l'intérieur de la plateforme commune. Aujourd'hui, c'est un très important périmètre d'environ 10 000 tables, d'une centaine de To, alimenté par entre 600 et 700 flux. Nous devons rationaliser les différentes solutions qui donnent des datas aux métiers : le reporting, un peu de temps réel, de la BI, des use cases d'intelligence artificielle pour de la projection, de la prédiction, etc.