Le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a l’art de la litote en présentant le rapport sur la stratégie nationale pour l’intelligence artificielle. « Un des premiers enseignements est que tout n’est pas négatif », explique-t-il à propos des deux plans successifs (2018-2022 et 2022-2025) de l’Etat sur ce sujet. « Il faut saluer quelques succès en matière de recherche avec 4 000 chercheurs et un doublement de création de start-ups sur ces périodes », constate-t-il. Mais l’effort doit s’accélérer à l’occasion du troisième plan de l’Etat « il reste encore beaucoup à faire dans une course où les Etats-Unis et la Chine sont très en avance », glisse-t-il.
Plusieurs faiblesses à combler
Pour lui, il existe plusieurs angles morts à combler. Parmi eux, « il faut accélérer les usages de l’IA au sein des entreprises avec une massification des dispositifs qui sont restés pour l’instant très modeste », observe Pierre Moscovici. Le rapport évoque par exemple l’initiative IA Booster pour aider les PME et ETI à tirer profit de l’IA, mais qui a eu un impact très limité. Il préconise par exemple de capitaliser sur les cas d’usage en production, mais aussi des initiatives comme la création d’un volontariat en entreprise française pour l’adoption de l’IA sur le modèle du VIE (volontaire international en entreprise). Autre point d’attention, « il faut investir dans les données, sur leur traitement, leur qualité, leur stockage souverain,… » indique le premier président. Concernant les capacités de calcul, il souligne les efforts engagés pour les augmenter via le supercalculateur Jean Zay ou la récente annonce du Genci avec le système Alice Recoque. Mais, il note que la majorité des financements et de la maitrise technique est issue du secteur privé et plaide pour « un changement de paradigme » et « une réflexion stratégique pour redéfinir la relation avec le secteur privé dans l’atteinte des objectifs d’intérêt général sur les questions liées à l’IA ». Cela peut-être le cas sur la création des grandes IA Factories prévues par l’Europe.
La question de la formation est aussi mis en exergue. Si les premiers plans se sont focalisés sur la création de clusters IA pour disposer d’experts en la matière, le volet formation a été oublié. Or, il est indispensable de diffuser cette technologie au plus grand nombre, y compris aux enseignants « qui sont confrontés à des élèves qui font leur devoir avec de l’IA générative », glisse Pierre Moscovici. Dans ce cadre, il appelle au renforcement des politiques publiques sur la formation continue et initiale en allant au-delà de l’enseignement supérieur privilégié jusqu’alors. De même, un travail doit être mené sur l’impact de l’IA sur l’emploi. « Dans l’administration, un tiers des emplois publics seront touchés. Il faut identifier les impacts, accompagner les agents… », explique-t-il.
La création d’un secrétariat général à l’IA
Le passage à l’échelle de la stratégie nationale nécessite un pilotage centralisé, reconnait la Cour des comptes. Il ne s'agit « plus un sujet de la même nature qu’en 2018 » et « il est impossible que la politique publique de l’IA puisse être traitée en silo », souligne-t-elle. En conséquence, elle appelle à la création d’un secrétariat général à l’IA, rattaché au Premier ministre avec un budget propre et des équipes pluridisciplinaires. Il sera en charge de la coordination de la stratégie, d’identifier les besoins, de mobiliser la commande publique… Pierre Moscovici a indiqué lors d’une conférence de presse que le Premier ministre avait accueilli favorablement cette création.
Au total, la juridiction financière liste une dizaine de recommandations pour amplifier la politique de l’Etat sur l’IA en les mettant dans une perspective européenne. Interrogé sur le partenariat entre Mistral et SAP dans le cadre du sommet franco-allemand sur la souveraineté numérique pour développer une offre commune pour les administrations, il reconnait l’intérêt « mais le passage à l’échelle nécessite une approche plus globale »

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