Comme de nombreuses compagnies aériennes, Lufthansa a vu ses activités bouleversées par la pandémie de COVID-19. En avril 2020, alors que les interdictions de voyager se multipliaient, la compagnie aérienne a subi des pertes estimées à un million d'euros... par heure. Pour Thomas Rückert, vice-président et CIO de Lufthansa Group, les premiers jours de la pandémie ont aussi montré que les solutions numériques de la compagnie aérienne n'étaient pas suffisamment évolutives. « Les clients ont tous dû subir des annulations ou interruptions de vol et passer par des centres de service, que l'on ne pouvait pas faire évoluer assez vite pour répondre aux besoins. Ce qui a rendu très visible et tangible le fait que les solutions en libre-service devaient absolument venir améliorer les centres d'appels », reprend Thomas Rückert.

Selon ce dernier, la stratégie de Lufthansa en matière d'expérience client (CX) repose sur trois piliers : physique, service et numérique. L'activité de Lufthansa consistant à transporter des personnes d'un endroit à l'autre, l'aspect physique de l'expérience client reste le principal pilier de la compagnie aérienne. La compagnie est également fière de fournir la meilleure "touche de service" possible à ses clients. « Celle-ci vient des employés, et c'est probablement le domaine sur lequel nous recevons les commentaires les plus positifs », observe le DSI.

« Délivrer des données plus pertinentes au personnel »

Ce qui n'empêche pas la composante numérique de devenir de plus en plus importante pour soutenir les deux premiers piliers de la stratégie CX. « Dans quelle mesure pouvez-vous contrôler votre parcours dans l'espace numérique ? C'est quelque chose qui nous a manqué par le passé et que nous voulons proposer à l'avenir, illustre Thomas Rückert. De même, comment permettre à notre personnel dans le service, dans le cockpit, en cabine ou au sol de fournir un meilleur service aux gens ? Nous croyons fermement et nous nous concentrons beaucoup sur la façon dont nous pouvons délivrer des données plus pertinentes au personnel de cabine pour qu'il puisse, par exemple, mieux accueillir chaque client. »

Selon le DSI, une tendance déjà à l'oeuvre dans le secteur aérien avant même cette crise, car il était déjà clair que le public souhaitait contrôler davantage ses expériences de voyage grâce à ses terminaux mobiles. « C'est une tendance qui a commencé bien avant la crise, mais elle s'est considérablement accélérée avec elle », dit le DSI. Et, dans le même temps, le personnel des aéroports et celui chargé du contrôle du trafic aérien s'est contracté avec la pandémie. Le résultat ? Des expériences de voyage qui échappent parfois au contrôle des compagnies aériennes. Il en résulte davantage de perturbations et de besoins de replacer les voyageurs sur d'autres vols - un problème que de nombreux voyageurs veulent gérer eux-mêmes, selon Thomas Rückert. « Le libre-service est donc beaucoup plus important qu'auparavant ». Plus facile à dire qu'à faire pour Lufthansa. Si la compagnie a certes été l'une des premières à construire un entrepôt pour ses données clients, une grande partie de cette technologie a maintenant des décennies.

Les bénéfices de la plateforme

« Trouver un moyen de transformer cette technologie en une plateforme modernisée détachée du back-end est une équation réellement complexe, explique Thomas Rückert. Mais c'est, in fine, beaucoup plus simple que de résoudre l'autre aspect du problème, qui consiste à amener l'entreprise à lâcher un peu de pouvoir de décision. Si vous ne donnez pas ce pouvoir aux développeurs en même temps qu'à certains responsables de produits, vous n'obtiendrez pas de vitesse. »


Lufthansa a évalué son degré de maturité en matière transformation numérique il y a environ 18 mois. « Depuis lors, nous avons progressé par petites étapes », dit son DSI. (Crédit : Tim Stake / Lufthansa)

Thomas Rückert a pris les rênes de la DSI en janvier 2021, après avoir été promu en interne. Il était auparavant vice-président des services de maintenance de base chez Lufthansa Technik, où il a participé à la refonte du réseau mondial de la filiale. Lorsque le DSI a pris ses fonctions après le départ de son prédécesseur, Roland Schütz, Lufthansa avait déjà un an d'avance dans sa transformation numérique, transformation qui a commencé par un effort de normalisation de ses différentes plateformes. « Les bénéfices de ces investissements font peu à peu surface, maintenant que la plateforme s'harmonise davantage, souligne Thomas Rückert. Ainsi, si nous apportons une amélioration, nous n'avons plus besoin de le faire cinq fois avec sept interfaces, toutes différentes. »

Rapprocher les données clients de l'ID du voyage

Mais la véritable transformation de Lufthansa a commencé il y a environ un an, lorsque la fonction informatique a commencé à s'éloigner de l'état d'esprit traditionnel qui prévalait sur les projets pour adopter une orientation tournée vers le produit, explique le DSI. « Nous passons d'une approche de projet où notre conseil d'administration pensait peut-être encore que l'application serait terminée un jour, à une approche où nous mettons en place un pipeline où de nouvelles fonctionnalités viendront améliorer celles que nous avons déjà », explique-t-il. Son équipe a déjà réussi à harmoniser et à standardiser le portail web, le moteur de réservation et l'application mobile, explique Thomas Rückert, qui précise qu'un test à grande échelle vient d'être lancé pour les dernières versions de l'app Lufthansa.

« Dans le back-end, nous avons apporté de nombreux changements pour permettre un meilleure rapprochement des données des clients avec l'ID de voyage. Ces deux éléments sont au coeur de ce qui nous attend : relier ces deux sources de données de manière intelligente, afin de faire des recommandations pertinentes aux clients. Ce qui permet d'offrir, via le profil, de réels avantages, comme des données regroupées en un seul endroit et un processus d'enregistrement simplifié. Une expérience complètement différente de celle que vous connaissiez par le passé. »

Le piège de la Ferrari qui roule à 30 km/h

L'un des outils vers lesquels Lufthansa s'est tournée est l'indice d'accélération numérique (DAI) du Boston Consulting Group, une enquête menée auprès d'entreprises de 10 secteurs d'activité qui vise à évaluer la transformation numérique et à identifier comment les entreprises les plus matures sur le plan numérique ont réussi. « Nous avons fait l'exercice de nous évaluer il y a environ un an et demi, explique Thomas Rückert. Depuis lors, nous avons progressé par petites étapes ». Cette année, le DSI prévoit de mener un autre exercice d'évaluation pour déterminer comment l'entreprise se situe en termes d'automatisation des plateformes et d'utilisation des données et de l'IA.

À ses pairs DSI, Thomas Rückert lance : « ne sous-estimez pas la difficulté de la transformation de l'entreprise. Pour nous, cela a commencé par une transformation informatique, l'harmonisation des plateformes, mais ce n'est que la partie la plus facile. La partie difficile, c'est la transformation de l'entreprise elle-même, car si elle n'a pas lieu, vous n'allez pas plus vite. Vous aurez bien une Ferrari mais elle ne roulera qu'à 30 km/h. »