Après les récentes vagues de licenciements très médiatisées, de nombreux profils tech cherchent du travail sur un marché différent de tout ce qu'ils ont connus jusque-là. De plus en plus d'entreprises sont désormais en mesure de proposer des formes de travail à distance, offrant aux candidats un plus large éventail d'employeurs potentiels. Les nouveaux modèles de travail profitent également aux entreprises, puisqu'elles peuvent désormais embaucher des personnes possédant des compétences rares et très recherchées, quel que soit l'endroit où elles se trouvent.

Pourtant, certaines organisations continuent à insister pour que tout le monde se déplace au bureau. Ed Toner, DSI de l'État du Nebraska, a ainsi pour politique de travailler à 100 % au bureau. « Lorsque vous réduisez les interactions en face à face, vous réduisez la croissance et le développement professionnel », dit-il. À l'autre bout du spectre, d'autres organisations acceptent que certains postes soient occupés par des personnes étant entièrement à distance. « Lorsque vous avez besoin de travailleurs hautement qualifiés dans un pays peu peuplé, vous ne pouvez qu'être bénéficiaire d'une politique qui autorise le travail à distance pour les fonctions appropriées », explique ainsi Jarkko Levasma, DSI du gouvernement finlandais.

Dans l'ensemble, la plupart des responsables informatiques se situent quelque part entre ces deux extrémités et privilégient désormais le travail hybride, ce qui signifie généralement au moins trois jours par semaine au bureau. Selon l'équipe de recherche de Gartner spécialisée sur les RH, les attentes des employés en matière de flexibilité de l'environnement de travail sont fortes et le travail hybride est clairement là pour durer.

Les responsables informatiques les plus avant-gardistes ont déjà beaucoup réfléchi à la meilleure façon de mettre en oeuvre le travail hybride, ce qui dépasse largement les seuls aspects relatifs à la technologie. Il s'agit également d'apporter un soutien psychologique à une main-d'oeuvre dispersée.

Davantage de technologies

La première chose que les DSI doivent faire pour proposer un environnement de travail à distance ou hybride est de fournir la technologie adéquate. Mais ce n'est pas tout. « Dès que vous commencez à supporter fortement le travail à distance, votre empreinte augmente de manière significative, souligne Irvin Bishop Jr, DSI de Black & Veatch, société d'ingénierie basée à Kansas City. Les problèmes de sécurité s'en trouvent donc considérablement accrus ».

Black & Veatch supportait le travail à distance avant la crise du Covid-19, mais pendant le confinement, elle a déployé davantage d'outils de collaboration, notamment des tableaux blancs virtuels, des sondages et des votes, afin que les employés puissent continuer à réfléchir et à partager leurs points de vue. « Il n'est pas toujours facile pour les personnes qui ne sont pas dans la même pièce d'être reconnues et de bénéficier du même temps de parole et de la même attention », observe le DSI de la société d'ingénierie.

Renforcer le monitoring

L'entreprise, qui prenait déjà en charge plus de 100 sites différents, a mis en place des outils supplémentaires de monitoring de ses systèmes virtuels pour prendre en charge une population plus importante de travailleurs à domicile. Ces outils permettent de s'assurer que les systèmes sont opérationnels et fonctionnent avec le niveau de performances attendu - des facteurs beaucoup plus faciles à surveiller lorsque tout le monde est au bureau, connecté en WiFi ou en Ethernet. En outre, le maintien d'une infrastructure fonctionnant parfaitement est une priorité encore plus importante lorsque les salariés sont à distance, car ils ne peuvent rien faire si la connexion est rompue ou dégradée.

Pendant la pandémie, Irvin Bishop a constaté que les managers devaient s'adapter à des horaires radicalement différents, car les employés s'étaient habitués à avoir davantage de contrôle sur les tâches qui leur sont confiées. Ils commençaient plus tôt, finissaient plus tard ou travaillaient selon l'horaire qui convenait le mieux à leur mode de vie et à leur famille. « Aujourd'hui, ils s'attendent à ce niveau d'autonomie, explique le DSI. Les managers doivent être attentifs à ces nouvelles attentes. »

Michelin : « demander aux gens d'éteindre leur caméra était une erreur »

De son côté, Michelin a également commencé à supporter le travail à domicile avant même le Covid-19, mais seulement à titre exceptionnel. Environ 10 % des employés travaillaient à domicile de temps à autre - et même pour ces personnes, il ne s'agissait que d'un jour par semaine. L'entreprise avait déjà procédé à une mise à niveau complète de sa plateforme Microsoft vers une solution cloud en 2018, de sorte qu'elle était bien préparée lorsque la pandémie est survenue.

« L'une des erreurs que nous avons commises pendant le confinement a été de demander aux gens d'éteindre leur caméra pendant les réunions Teams pour économiser de la bande passante, explique Yves Caseau, directeur du digital et des systèmes d'information du groupe industriel. Nous avons rapidement constaté que si l'objectif d'une réunion est de permettre aux participants de collaborer et d'être créatifs, il est préférable qu'ils travaillent en face à face. Mais s'ils ne peuvent pas être au bureau, ils ont absolument besoin de caméras. Nous avons donc augmenté notre bande passante pour prendre en charge davantage de trafic vidéo ».

À l'instar de Michelin, l'entreprise allemande de logistique ferroviaire DB Schenker soutenait le travail à distance de manière très limitée avant la pandémie. « Environ 5 % du personnel travaillait à domicile, explique Fredrik Nordin, directeur informatique de DB Schenker pour la Suède, le Danemark et l'Islande. Et ces personnes ne travaillaient à distance qu'un jour toutes les deux semaines. Mais, même avec un nombre limité d'employés travaillant à domicile avant le Covid, lorsque les confinements ont eu lieu, nous étions bien préparés en termes d'outils technologiques. »

Comprendre l'impact psychologique

Mais les outils technologiques ne suffisent pas à mettre en place un régime de travail hybride. Il faut également trouver les leviers pour assurer davantage de soutien psychologique aux employés à distance et pour renforcer l'esprit d'équipe. Selon un rapport de Gartner datant du mois de mai de l'année dernière, seuls 24 % des cols blancs travaillant à distance et en mode hybride se sentent liés à la culture de leur entreprise. « Le travail à distance a diminué le sentiment d'appartenance et augmenté le sentiment de solitude et d'isolement, explique Kirsi Nuotto, vice-présidente et DRH de VTT, un institut de recherche appliquée en Finlande. Pendant la pandémie, nous avons formé tous nos cadres à la gestion de leurs émotions ».

Les managers doivent être attentifs à la manière dont les employés s'adaptent lorsqu'ils sont séparés de leur équipe. Par exemple, Michelin a constaté que la gestion de l'attention est encore plus difficile lorsque certains travailleurs sont à distance et que ces derniers ont tendance à faire plusieurs choses à la fois, encore davantage que lorsqu'ils sont au bureau. En outre, le travail à domicile amplifie une partie du stress. « Le paradoxe de la numérisation est que certaines des bonnes pratiques collectives qui contribuent à minimiser la surcharge de travail sont absentes lorsque vous travaillez seul, explique Yves Caseau. Par exemple, prendre de courtes pauses pour parler d'autre chose avec un collègue est non seulement essentiel pour votre santé, mais cela contribue également à rendre le travail d'équipe plus efficace. »


Yves Caseau, directeur du digital et des systèmes d'information de Michelin : « certaines des bonnes pratiques collectives qui contribuent à minimiser la surcharge de travail sont absentes lorsque vous travaillez seul. » (Photo : Thomas Leaud)

Durant la pandémie, DB Schenker a remarqué que même si l'efficacité augmentait, dans le sens où davantage de réunions étaient programmées dans une seule journée de travail, le manque de discussions de couloir et d'alignements spontanés entre salariés - des échanges informels qui agissent comme le ciment d'une organisation collaborative - devait être surmonté en planifiant encore plus de réunions. « Nous avons aussi appris que le travail à domicile, qu'il soit imposé ou volontaire, est perçu très différemment d'une personne à l'autre, explique Fredrik Nordin. La joie d'une personne de ne pas avoir à se rendre au bureau peut être le pire cauchemar d'une autre. Le travail à distance est très difficile pour les personnes dont la personnalité est avide d'interactions avec les autres. » Malgré ces difficultés, Michelin et DB Schenker estiment que l'environnement de travail flexible présente globalement un bilan positif. Les deux entreprises appliquent désormais une politique de travail hybride, dans le cadre de laquelle les employés sont autorisés à travailler à domicile deux jours par semaine.

Un must have pour une nouvelle génération d'employés

Le travail hybride étant devenu la norme dans de nombreuses entreprises, les directions générales cherchent désormais à affiner l'environnement de travail. « Un an après avoir formé tous les cadres à la gestion de leurs émotions, nous avons constaté une amélioration de 12 des 14 marqueurs psychologiques », explique Kirsi Nuotto. Encouragé par cette différence tangible, VTT a étendu la formation à l'ensemble de ses 2 200 employés.

La DRH de l'institut de recherche souligne que de nombreuses personnes pensent que ce type de formation peut être réalisé en quelques heures. Or, pour bien faire, il faut non seulement des cours sur une longue période, mais aussi un moyen de mettre en pratique les idées qui y sont développées. Les stagiaires de VTT ont par exemple des partenaires d'entraînement qui leur permettent de confronter leurs idées en dehors des heures de cours.

Au sein de la société d'ingénierie Black & Veatch, au Kansas, Irvin Bishop estime que les managers doivent apprendre à modifier leur comportement dans un environnement hybride. « Si vous animez une réunion hybride, vous devez faire preuve d'intentionnalité et demander spécifiquement s'il y a des commentaires ou des questions de la part des autres participants, explique-t-il. Vous pouvez utiliser des techniques, telles que le Round Robin, pour faire le tour de la table et de l'écran ou du téléphone afin de recueillir les commentaires de chacun. Une autre option consiste à désigner un animateur de réunion virtuelle pour s'assurer que tous les participants peuvent entendre les échanges, visionner la présentation et contribuer de manière équilibrée à la réunion. »

Ces techniques permettent d'instaurer de la confiance, de maintenir un niveau élevé de collaboration et de ne laisser aucun salarié en dehors des échanges. Un facteur clef car les employés attendent de l'empathie de la part de leur direction - et lorsqu'ils trouvent une organisation qui leur donne ce sentiment, même depuis leur bureau à domicile, ils lui rendent la pareille par leur loyauté et leur productivité. « Nous voulons être le meilleur endroit où travailler de la planète, glisse Irvin Bishop. Nous essayons de créer le meilleur environnement possible pour que les gens aiment travailler chez nous. En définitive, la nouvelle génération d'employés s'attend à un environnement de travail hybride et veut être pleinement soutenue sur son lieu de travail, quel qu'il soit ».