La plupart des DSI et informaticiens restent, dans l'âme, des technologues, et nombre d'entre eux ne cachent pas leur intérêt pour les nouveaux gadgets technologiques. Si publiquement, ils affirment que la technologie pour la technologie n'a pas d'intérêt, ils n'en partagent pas moins fréquemment leur fascination pour tout ce que l'industrie high-tech peut produire. Ils ne sont pas les seuls à être fascinés par la technologie.

La technologie étant désormais omniprésente et présente dans le débat public, de nombreuses personnes extérieures à l'informatique - des membres chevronnés de conseils d'administration aux stagiaires sortis de l'université - sont tout aussi enthousiastes à l'égard des technologies.

Cet intérêt peut rapidement dépasser le stade du buzz et atteindre celui de la hype, c'est-à-dire le point où la technologie est perçue davantage comme la panacée pour tout ce qui nous afflige que comme un outil avec ses apports, mais aussi ses limites. C'est à ce stade que les espoirs suscités par la technologie dépassent de loin ce qu'elle peut réellement apporter.

« Presque toutes les nouvelles technologies sont naturellement accompagnées d'un battage médiatique et/ou de craintes, mais en même temps, il y a presque toujours un noyau de valeur métier à retirer de cette nouvelle technologie. Le défi consiste à passer du stade de la vision ou de la promesse à celui de l'adoption et du déploiement à grande échelle par les entreprises et les consommateurs », résume George Corbin, membre du conseil d'administration d'Edgewell Personal Care (industriel dans les produits d'hygiène), ancien CTO de Marriott et Mars Inc, membre du corps enseignant de la National Association of Corporate Directors et membre actif de la communauté du symposium MIT Sloan CIO.

C'est dans cette optique que nous avons demandé à des leaders technologiques de divers de dresser la liste des technologies dont ils jugent les promesses exagérées et d'évaluer de manière plus réaliste le potentiel réel de chacune d'entre elles. Voici leur liste des 4 sujets hype du moment.

1. L'IA générative

Il n'est guère surprenant que l'IA générative soit en tête de la liste des technologies les plus en vogue aujourd'hui. Personne ne nie son potentiel de transformation, mais les experts que nous avons interrogés affirment qu'une majorité de personnes sur-évaluent les capacités réelles de l'IA générative, que Gartner a récemment placée au sommet des attentes exagérées dans son Hype Cycle 2023. Du moins en l'état de la technologie actuelle.

Prenons quelques résultats d'enquêtes récentes. Un rapport de juillet 2023 de la société de services KPMG indique que 97 % des 200 dirigeants d'entreprise américains interrogés prévoient que l'IA générative aura un impact considérable sur leur organisation à court terme, 93 % pensent qu'elle apportera de la valeur à leur entreprise et 80 % pensent qu'elle perturbera leur secteur d'activité.

Pourtant, la plupart des dirigeants admettent également qu'ils ne sont pas prêts à exploiter pleinement ce potentiel. Un autre rapport publié en juillet, l'IDC Executive Preview, sponsorisé par Teradata et intitulé 'The Possibilities and Realities of Generative AI', montre que 86 % des 900 cadres interrogés pensent qu'une gouvernance accrue est nécessaire pour garantir la qualité et l'intégrité des informations issues de l'IA générative, 66 % d'entre eux exprimant des inquiétudes quant au risque de partialité et de désinformation que présente l'IA générative. En outre, seuls 30 % de ces cadres se disent bien préparés ou même prêts à exploiter l'IA générative aujourd'hui et seulement 42 % croient fermement qu'ils disposeront des compétences nécessaires pour mettre en oeuvre la technologie dans les 6 à 12 prochains mois, parmi d'autres problèmes auxquels se heurtent leurs stratégies d'IA générative aujourd'hui.

Dans le même temps, le battage médiatique actuel peut empêcher les dirigeants d'entreprise de comprendre pleinement comment l'IA générative évoluera et comment ils pourront l'exploiter à l'avenir. « Les promesses et les craintes relatives à l'impact de l'IA générative en particulier, et sa relation avec l'intelligence artificielle générale, font qu'il s'agit d'une technologie surestimée », tranche Daryl Cromer, vice-président et CTO de la division PC et devices intelligents de Lenovo. Cette surenchère, ajoute-t-il, fait qu'il est « facile d'être trop optimiste sur ce qui va se passer cette année, tout en sous-estimant ce qui se passera dans trois à cinq ans ».

Selon Daryl Cromer, le « potentiel de l'IA générative est énorme ; elle transformera de nombreux secteurs d'activité ». Mais il ne faut pas perdre de vue que cette transformation est complexe et demande du temps ; ce n'est pas comme si une entreprise pouvait simplement installer une 'boîte noire' d'IA générative, la brancher sur son activité et gagner immédiatement en efficacité. Il est plus probable que le retour sur investissement suive une courbe en J au fur et à mesure que l'entreprise engage des dépenses pour acquérir des capacités technologiques et achète des services cloud pour les déployer. Par ailleurs, les entreprises ne doivent pas négliger les réticences possibles de certains pans de leur organisation, comme c'est le cas actuellement avec les scénaristes et les acteurs de cinéma et de télévision.

2. L'informatique quantique

Les géants de la technologie, les startups, les instituts de recherche et même les gouvernements travaillent ou investissent dans l'informatique quantique. Cet intérêt s'explique aisément : l'informatique quantique utilise les principes de la mécanique quantique pour effectuer des calculs, ce qui la rend exponentiellement plus rapide et plus puissante que les systèmes informatiques actuels.

Pourtant, personne ne sait quand, exactement, ce nouveau type d'informatique deviendra opérationnel. L'incertitude est encore plus grande quand on s'interroge sur la disponibilité au plus grand nombre de l'informatique quantique, au-delà du petit cercle d'acteurs déjà présents dans ce domaine aujourd'hui. « Les gens pensent peut-être que l'informatique quantique va remplacer les ordinateurs [classiques], mais ce n'est pas le cas », du moins pas dans un avenir prévisible, relève Brian Hopkins, vice-président en charge des technologies émergentes au sein du cabinet d'études Forrester. Et d'ajouter : « on assiste à ces grandes annonces d'IBM ou de Google sur l'informatique quantique et les gens se disent : 'le quantique est proche'. Ces annonces font les gros titres, mais la vérité sur l'avenir de l'informatique quantique est beaucoup plus nuancée et [les chefs d'entreprise] doivent le comprendre. »

Sauf que ce n'est pas vraiment le cas. Une enquête réalisée en 2022 par le cabinet EY auprès de 501 cadres britanniques montre que 97 % d'entre eux s'attendent à ce que l'informatique quantique perturbe leur secteur d'activité de façon importante ou modérée, 48 % estimant que « l'informatique quantique atteindra une maturité suffisante pour jouer un rôle important dans les activités de la plupart des entreprises de leur secteur d'ici à 2025 ».

L'enquête d'EY révèle également à quel point les organisations ne sont pas préparées à faire face à ce qu'elles pensent être l'avenir proche : seulement 33 % des cadres en question ont déclaré que leur organisation a commencé à se préparer à la commercialisation de la technologie et seulement 24 % indiquent que leur entreprise a mis en place ou prévoit de mettre en place des équipes pilotes pour explorer le potentiel de l'informatique quantique.

« Les gens sont conscients de l'arrivée de l'informatique quantique, mais je pense qu'ils sous-estiment ce qu'il faudra faire [pour tirer parti de sa puissance] », ajoute Seth Robinson, vice-président de la recherche de l'association professionnelle américaine CompTIA, spécialiste des certifications IT. « Ils pensent qu'il s'agira simplement d'un moyen beaucoup plus puissant d'exécuter ce que nous effectuons déjà avec nos ordinateurs, mais en réalité, tout ce que nous avons devra être réécrit pour fonctionner avec le quantique. Il ne suffira pas de remplacer le moteur. Et il ne s'agira pas d'un produit destiné au marché de masse ».

3. Le métavers et la réalité étendue

Bien que l'enthousiasme suscité par l'avènement du métavers soit en partie retombé, d'aucuns estiment que ce concept reste surestimé. Ils se montrent sceptiques quant aux affirmations selon lesquelles le métavers nous fera tous vivre dans un nouveau royaume numérique, et ils se demandent si le métavers aura un jour prochain un impact important sur la vie quotidienne et le monde des affaires. Il en va de même pour la réalité étendue (XR), cette fusion de la réalité augmentée, de la réalité virtuelle et de la réalité mixte.

« Les espaces virtuels offrent une expérience complètement différente, connue sous le nom d'expérience immersive. Toutefois, à mon avis, le potentiel réel du marché n'est probablement pas aussi important qu'on le prévoit actuellement », estime Richard August, directeur des services de conseil aux DSI chez Tata Consultancy Services. « Le nombre de cas d'utilisation et la valeur dégagée sont limités, ce qui réduit le potentiel réel de la technologie. Les appareils nécessaires à l'omniprésence de ces technologies, tels que les appareils de réalité virtuelle, ne sont pas disponibles à un prix abordable et évolutif. En outre, plusieurs effets négatifs sur la santé - tels que la fatigue, l'impact sur la vision et l'audition - ont été recensés lors de l'utilisation des appareils supportant ces technologies, ce qui limite leur adoption à grande échelle. »

Brian Hopkins, de Forrester, fait preuve de la même prudence quant à l'adoption de la technologie à court terme. « Les configurations des appareils actuels ne sont pas assez attrayantes pour que les gens adoptent cette nouvelle technologie, de sorte que [sa généralisation] prendra plus de temps qu'on ne le pense », déclare-t-il. Selon ce dernier, les chercheurs constatent toutefois que la technologie a pris son essor dans certains domaines. La réalité étendue est ainsi utile dans le domaine des ressources humaines pour la formation des employés, et elle apporte une valeur ajoutée dans certains usages industriels où une superposition de données à la réalité peut guider les travailleurs dans des scénarios complexes. « Mais cela ne représente qu'une petite partie de l'opportunité globale », relève l'analyste

4. Web3 : blockchain, NFT et crypto-monnaies

À l'instar de ce qu'ils pensent du web immersif, les experts que nous avons interrogés affirment que le Web3 et ses composantes - blockchain, NFT et crypto-monnaies - n'ont pas encore tenu toutes les promesses affichées. « Il faudra davantage de maturité avant d'investir dans ces concepts », dit ainsi Rebecca Fox, DSI du groupe NCC Group, une société de sécurité informatique basée au Royaume-Uni.

Et elle n'est pas seule à dresser ce constat. George Corbin, membre du conseil d'administration d'Edgewell Personal Care, estime ainsi que la blockchain a « un énorme potentiel commercial dans les contrats intelligents - transparence de la chaîne d'approvisionnement, soins de santé, finance, monnaie, oeuvres d'art, médias, prévention de la fraude, protection de la propriété intellectuelle, atténuation des deep fake -, mais que sa mise en oeuvre est lente ». Et de souligner, par ailleurs, que la technologie n'est pas aussi impénétrable qu'on l'a d'abord prétendu et qu'il est difficile de la faire passer à l'échelle. Par ailleurs, sa nature décentralisée, associée à un manque de réglementation, signifie que les contrats de blockchain ne sont pas encore légalement reconnus dans la plupart des pays, ajoute l'ancien CTO de Marriott et Mars .

Les différents experts relèvent également les difficultés avec d'autres technologies Web3, notant que la plupart des entreprises ne savent pas quoi faire des crypto-monnaies, par exemple, car elles ont du mal à savoir comment les comptabiliser et comment les déclarer sur un plan légal. En outre, de nombreuses personnes restent sceptiques à l'égard des crypto-monnaies et des NFT, en particulier après les gros titres de l'année dernière sur les problèmes rencontrés par les bourses de crypto-monnaies et les dévaluations des NFT.

Pour ces experts, les DSI devaient donc se méfier de l'engouement entourant le Web3, tout en gardant un oeil sur son développement. « Bien qu'il n'en soit qu'à ses débuts, le passage du Web2 au Web3 - et maintenant au Web4 - témoigne d'un dynamisme et transformera sans aucun doute le mode de fonctionnement des entreprises, ainsi que la manière dont nous possédons des biens et effectuons des transactions. Cette évolution est très prometteuse pour le sens philosophique de la propriété, de l'appropriation et de l'autocontrôle de l'identité dans le monde numérique au sens large », observe Jeff Wong, responsable de l'innovation chez EY au plan mondial. Et d'ajouter : « à ce stade, le Web3/4 est une idée qui soulève plus de questions qu'elle n'apporte de réponses, mais nous pensons que ces questions méritent d'être étudiées. »