Alors que l’IA s’immisce progressivement dans le quotidien des entreprises et des métiers, la manière d’adopter cette technologie diffère clairement selon les secteurs. Pour Amaury Prunier, DSI de Bastide Groupe depuis deux ans, la réflexion a commencé avec l’arrivée de ChatGPT. Spécialisée dans la vente et la location de matériel médical ainsi que la prestation de santé à domicile, l'entreprise fondée en 1977 paraît en effet loin de l'innovation et d'une technologie comme l'outil d'OpenAI. Le DSI s’est donc interrogé sur l’interdiction potentielle d’utiliser ChatGPT dans l’entreprise. « Nous avons fait le choix d’autoriser l’outil, en commençant par les équipes RH et marketing » explique-t-il. Une réflexion bien différente de celle de SNCF.

Claire Nicodeme, ingénieure et chef de projet de recherche chez SNCF, ne cache pas son enthousiasme à propos de cette technologie, « Chez SNCF, il y a de l’IA partout. Cela va du traitement relativement simple de la donnée au deep learning ». Et les applications sont nombreuses : sécurité, sûreté, exploitation ou encore maintenance. « Il s’agit de proposer un voyage sans problème pour les voyageurs. Les exemples vont des déplacements dans les gares à la détection et à la reconnaissance de défauts. Par exemple, savoir qu’une poubelle est pleine et qu’il faut la vider » poursuit Claire Nicodeme.

SNCF fait le pari d’un train digitalisé guidé par l’IA

Et l’intelligence artificielle voyage également avec les trains. « Aujourd’hui, nous parlons de train digitalisé. Nous avons beaucoup de capteurs, à la fois à l’intérieur (au niveau des portes) et à l’extérieur des trains (à l’avant et sous le train) qui viennent assister les agents de conduite et les agents de bord » poursuit Claire Nicodeme, avant d’ajouter « nous n’enlevons pas l’humain qui vérifie ». D’autres sujets profitent de l’IA : « Nous avons des systèmes capables de lire la signalisation pour aider l’agent de conduite ». Un autre usage, et pas des moindres, est celui de l’anonymisation des données. À ce jour, des agents habilités visualisent des données à la volée, mais il n’était pas possible de les exploiter jusqu’à peu.

« Nous souhaitions utiliser ces données pour compter les personnes dans les gares et répondre à certaines interrogations. Qu’est-ce que viennent faire les gens dans les gares ? Prendre un train, boire un café, aller dans les boutiques ? Derrière, il y a une question d’optimisation pour l’aménagement de l’espace dans les gares, mais aussi concernant le placement des trains et l’offre dédiée ». Une exploitation rendue possible grâce à des échanges réguliers avec la Cnil qui a fait office de guide dans ce cas présent. « En 2019, nous avions exprimé le besoin de conserver les données. Nous avons donc travaillé avec la Cnil, en cachant d’abord le visage des gens puis le corps entier et la démarche afin de rendre impossible toute identification ».

Des chatbots alimentés par l’IA pour assister la DSI notamment

Pour le Groupe Bastide, la tâche est tout autre. « Désormais, l’idée est de former des équipes support pour manipuler le prompting notamment », précise Amaury Prunier, tout en affirmant que l’apprentissage des dangers liés à l’IA fait également partie de l’accompagnement. En complément, le DSI explique avoir suivi de près les avancées dans le domaine de l’IA, à l’instar de Copilot. « Nous avons également développé notre propre GPT en interne mais nous l’avons mis de côté à cause du temps et des ressources que cela implique » admet-il. Revenant sur les différentes expérimentations faite, Amaury Prunier partage deux d’entre elles qu’il considère comme réussies. « Nous avons mis en place des chatbots avec Teams via l’outil Power Virtual Agent disponible dans la suite Microsoft 365 (solution permettant de créer des chatbots alimentés par l’IA). Baptisés Nestor et Jarvis, les deux chatbots servent deux usages bien différents.

Nestor vient aider dans le choix du matériel médical tandis que Jarvis est utilisé par la DSI comme aide à la décision pour les outils et solutions techniques qui seraient les plus adaptés. Dans le cas du chatbot Nestor, il s’agit de données privées avec un accès à ChatGPT. Pour des raisons de sécurité, la DSI a toutefois pris le parti d’enfermer chaque requête qui part de Teams dans un cadre précis, notamment afin de s’assurer qu’aucune donnée sensible ne remonte à ChatGPT. « En une journée, vous avez un chatbot disponible, c’est très facile à faire », témoigne Amaury Prunier, avant d’ajouter « avec ces cas d’utilisation, nous rassurons les équipes à propos de l’IA, notamment sur la peur d’être remplacé par la technologie. Nous avons également tout l’historique disponible dans le chat, ce qui permet de voir s’il y a un bon usage de l’outil et s’il y a une augmentation ou une baisse d’utilisation de ce dernier ».

Innover à grande vitesse ou avancer prudemment, à chacun son rythme

Interrogés sur la gouvernance, Claire Nicodeme et Amaury Prunier ont une vision bien différente à ce sujet. « Nous avons des règles mais rien n’est figé », indique la cheffe de projet. « Nous sommes une direction de l’innovation, le but c’est d’innover ». Et si les données à traiter s’avèrent « très peu sensibles, cela ne sert à rien de les mettre dans un coffre-fort » affirme-t-elle. « Nous avons la possibilité de mettre les données dans le cloud par exemple. Le cloud a des avantages clairs : nous payons uniquement ce que nous consommons et n’avons pas besoin d’investir dans une infrastructure de calcul dédiée ».

De son côté, Amaury Prunier reste prudent sur la feuille de route. « Je cherche déjà à déterminer ce que nous devons faire. Cela passe bien sûr par une veille technologique. Nous continuons également à former les utilisateurs. En complément, nous travaillons sur un livre blanc avec un cabinet ; nous interrogeons un panel complet afin de savoir quelle serait la place de l’IA dans l’entreprise ». Le DSI de Bastide Groupe précise par ailleurs vouloir travailler davantage sur la data afin d’avoir des données qui soient les « plus propres possible, les plus récentes possible et les plus accessibles qui soient ».