Je suis souvent interpellé par les initiatives gouvernementales françaises qui malgré toute la bonne volonté et la vraie nécessité de booster nos écosystèmes high-tech se heurtent à la réalité. La dernière action groupée sous Next40 (voir article LMI sur le sujet) montre une nouvelle fois un décalage entre le monde réel et l’ambition affichée. Le rapport est disponible ici.

Un tel indice est nécessaire, un nombre minimum pour être significatif est aussi utile. Retenir le nombre 40 comme pour le CAC pourquoi pas, mais 40 ne doit pas impliquer d’augmenter la sélection par manque de candidats.

En page 4 du document French Tech du 18 Septembre 2019, il est écrit «Le Next40 est une sélection annuelle des 40 start-ups les plus prometteuses de France déterminée notamment sur la base des plus grosses levées de fonds et de critères de chiffre d’affaires » et il convient donc de regarder donc cette liste. Nous constatons que la sélection des startups obéit à des critères flous. La France avait introduit le terme Jeunes Pousses pour franchiser le mot Startup et indiquer clairement le mot « jeune » car implicitement le terme Startup impose une certaine « création récente » de l’entreprise. Comment peut-on placer dans cette liste les sociétés suivantes qui ne sont plus des startups  sur le critère d’âge. On trouve donc, pour n’en citer que quelques-unes : 

- Ivalua ou OVH en 2000,
- HR Path et Veepee en 2001,
- Believe Digital créée en 2005,
- BlaBlaCar et Deezer en 2006,
- Devialet et TalentSoft en 2007,
- JobTeaser en 2008,
- Evaneos, Recommerce, Sigfox, Vade Secure, Vestiaire Collective et Younited Credit en 2009...

Si on retient le stricte critère startups, le nombre 40 tomberait alors à 24 et serait presque ridicule. Nous espérons que la sélection des 80 entreprises supplémentaires, qui doit être annoncé en Janvier 2020, ne nous invitera pas au même commentaire avec une sélection de sociétés zombies. Je suis même certain que figurent dans cette liste des 80 certains acteurs qui auraient pu être listés dans le Next40 dès le départ. Un tableau complet des profils des 40 sociétés est disponible ici.

Sans indiquer mes critères de qualification d’une startup il apparaît évident que l’âge de l’entreprise, entre autres, est un facteur important. Il est aussi intéressant de noter aussi que certaines sociétés n’ont pas besoin de lever de l’argent et font de belles croissances, sont-elles alors supprimer de la catégorie startup ? Non, elles ne devraient pas. Certains fondateurs ayant réalisés des exits démarrent des sociétés sans lever et ces entités sont bien des startups.

Quels sont les buts ? Garder nos champions en France, conserver une préférence d’investissement hexagonale et opérer des sorties Françaises ou Européennes ? D’abord sortir en France, qui et où sont les acheteurs ? Il est indiqué en page 5 que les investissements ont été multipliés par 4 en 5 ans, quelle est l’origine de ces investissements que nous espérons conserver en majorité en France ? Le rapport se félicite des nouvelles licornes comme Doctolib, eFront, Ivalua et Meero. Belle réussite Française, eFront ne devrait plus figurer dans ce classement car la société a été acquise par BlockRock en Mars 2019 pour 1,3 milliard de dollars. D’ailleurs CB Insights ne la liste pas. Je note au passage que la société est passée chez nos amis Américains. Détaillons un peu les profils :

Société Date création Total Levées (en M$, 1$ = 1€) Valo/Total Levées
Doctolib 2013 266,7 4,27
Ivalua 2000 134,4 7,44 si valo = 1Mds
Meero 2016 293,4 3,4


CB Insights, à la date du 23/9/2019, liste 5 licornes françaises : BlaBlaCar, Deezer, Doctolib, Meero et OVH mais pas Ivalua. Une nouvelle fois, sur les critères d’âge, Deezer, BlaBlaCar et OVH devraient sortir de la liste startups même s’ils conservent leur statut de licorne après 13 ans pour les deux premiers et 19 ans pour OVH. Autrement dit, il est possible de trouver des licornes non startups comme Deezer, BlaBlaCar et OVH et des licornes startups comme Meero. La page 6 indique qu’il y aurait 7 licornes car le rapport conserve eFront et ajoute Ivalua aux 5 officielles de CB Insights.

La catastrophe est en page 7 quand il est clairement indiquer l'indice Next40 est une sélection de 40 startups. Je ne reviendrai pas sur les sociétés citées plus haut qui font tomber l’indice à 24 et indiquerait alors une faiblesse et l’impossibilité de créer un tel indice. Disons que les autres pays se moqueraient de nous en claironnant à tout va, « vous créez un programme French Tech et vous n’avez que 24 sociétés dans votre indice », certes la sélection aurait changé et nous aurions pu alors les trouver mais alors pourquoi ne pas les sélectionner et lister des « anciens ». 

En page 10, le rapport cite Veepee comme Licorne, heureusement son revenu se monte à 1,4 milliard d'euros de revenu. Il ne faudrait pas que la liste des licornes en 2025 mentionne de tels acteurs, ce serait tromper nos concitoyens. Je prendrai plutôt le tableau des 40 en supprimant les anciens et en relevant les sommes levées pour comprendre pourquoi ils ne sont pas des licornes. Par exemple, où se situent Mano Mano, October ou Sigfox avec un total de levé conséquent ? J’oubliai Sigfox ne devrait pas être dans ce classement puisqu'elle existe déjà depuis 10 ans.

L'exemple de Datadog est édifiant, sans oublier Drivy et Daily Motion. Drivy est parti aux US avant d'être acquis par Getaround en Avril 2019 pour 300 millions  de dollars pour un total de levée de $43,3M soit un ratio de 6,92 et nous comprenons donc pourquoi ils ont accepté. Daily Motion nous connaissons l’histoire. Que fait-on et a-t-on le choix car les objectifs des fondateurs sont souvent différents des objectifs de la nation. Quand des entrepreneurs ont une toute autre vision de leur création et du devenir de leur projet alors que la France souhaiterait qu’ils restent, comment faire ?

Datadog est une superbe réussite, est-elle Française ? Ses fondateurs le sont mais c’est tout, le siège est à New-York, les 6 tours se font faits uniquement avec 12 VC Américains et l’IPO s’est faite au Nasdaq. Et Cisco a même fait une proposition d’acquisition de 7 milliards de dollars juste avant l’IPO comme ils l'avaient fait pour AppDynamics. Cherchez l’erreur mais au moment où le gouvernement annonce Next40, l’exemple de Datadog illustre le décalage entre une réalité de marché et une volonté gouvernementale. Saluons cette initiative et encourageant là même mais faites les choses bien, revoyez la sélection.