Paulo Rosado, vous êtes dirigeant d’OutSystems depuis maintenant près de 23 ans. Lors de la keynote d’ouverture ce 17 octobre, vous êtes revenu sur la façon dont le low code, l'IA générative et l'IA en général façonnent l'avenir des technologies avant de dévoiler des solutions à ce sujet. Selon vous, quelle a été la plus grande annonce aujourd'hui ? Que cela signifie-t-il pour vos clients ?

Paulo Rosado : Nous utilisons notre communauté de clients « early testers » pour expérimenter beaucoup de choses que nous finissons par mettre sur le marché. Je pense que la principale annonce à retenir aujourd’hui est notre plateforme d'analyse intégrée qui est très importante pour les applications critiques, en particulier celles qui sont construites comme Netflix où il est difficile de faire du dépannage. Les systèmes sont, certes, beaucoup plus résistants, mais ils s'arrêtent parfois. Désormais, nous proposons une plateforme très sophistiquée qui nous permet de dépanner et de voir s'il y a une interruption de service dans de très grandes applications critiques. Nous continuons à ajouter des fonctions pour prendre en charge les portails ou les applications mobiles accessibles à des centaines de millions d'utilisateurs.

En juin dernier, vous avez dévoilé la feuille de route d'OutSystems en matière d'IA générative. Pouvez-vous revenir dessus ?

PR : Fondamentalement, nous avons publié beaucoup de cas d'usage et de connecteurs pour l'IA, ce qui était l’objectif, mais nous avons également procédé à des changements dans la façon dont nous envisageons le développement du code dans l'environnement low code. Nous avons par exemple, une IA qui aide à construire un environnement et qui guide les développeurs, leur indiquant ce dont ils ont besoin. C’est exactement ce qui se passe avec Petrobras (entreprise d'État brésilienne de recherche, d'extraction, de raffinage, de transport et de vente de pétrole, ndlr) qui s’appuie sur l’IA pour construire des pipelines de haute qualité en vérifiant si chaque partie de l'application a été bien codée. De plus, le système que vous avez vu (sur scène lors de la keynote, ndlr) change complètement la façon dont les applications sont construites en supposant qu'une application peut être construite en ayant un système qui guide fondamentalement ou donne des options à un développeur pour ce qui est le plus probable qu'il veuille faire ensuite. Et le système est toujours cohérent et stable. Nous avons déjà des déploiements initiaux pour lesquels le temps de déploiement est divisé par 100 !

(Crédit : OutSystems)

Vous avez annoncé l’introduction d’un connecteur au service Bedrock d'AWS, est-ce pour répondre à une demande pressante de la part de vos clients ?

PR : Le problème fondamental que les gens rencontrent avec les logiciels, c'est qu'ils ne sont jamais trop rapides. Il est donc toujours possible d'aller plus vite. Les logiciels qui ne sont pas des produits de base sont constamment soumis à des demandes de changements. Ainsi, s'il ne faut plus quelques minutes à quelqu'un pour corriger quelque chose ou pour faire évoluer une fonctionnalité dans une application, au lieu de jours ou de semaines, alors cela aura un impact positif et conséquent sur la productivité. Les gens se sentiront plus à l'aise pour construire leurs propres systèmes et les maintenir parce que les frais de maintenance deviennent très faibles. Ce qui est passionnant pour ces clients, c'est qu'au lieu d'avoir 700 développeurs qui construisent 120 applications, ils ont la possibilité d’avoir 700 développeurs qui construisent 300 applications, et il y a toujours plus à faire. Ce bond en avant dans le développement ne peut se faire qu'en utilisant l'IA comme l'un des composants techniques, et en particulier l'IA générative.

Avec OpenAI et la mise à disposition de son outil ChatGPT, on note un grand essor de l'IA afin de la démocratiser et de la mettre à la portée de tous, qu’il s’agisse de développeurs, des équipes RH ou encore customer success. Pensez-vous que ce type d'IA pourrait, à l’avenir, devenir un assistant pour tout un chacun au quotidien ?

PR : Ce n'est pas du tout ce que nous voyons aujourd'hui. Ce que nous observons, c'est que certaines tâches sont extrêmement démotivantes et très répétitives. Jusqu'à très récemment, beaucoup de ces tâches étaient très difficiles à réaliser avec des logiciels normaux parce qu'elles impliquent un niveau de manipulation de documents non structurés, des choses qui ne stimulent pas vraiment la créativité et le talent de chacun. Ce n'est ni le genre de choses que quiconque souhaite vraiment faire ni le type d'emplois que nous, en tant que dirigeants, voulons avoir dans nos entreprises. Nous avons constaté qu'en général si quelque chose n'est pas structuré et est très répétitif, la combinaison, par exemple, d'une plateforme low code et d'un type particulier de LLM finit par créer une solution qui peut fondamentalement supprimer ces tâches. Cela laisse plus de temps pour les tâches où la criticité et le processus de réflexion sont plus nécessaires. Quant à savoir si l'IA va prendre en charge une partie de ces tâches, je pense que les choses vont évoluer mais il y a des compromis à faire lorsque l'on atteint un certain niveau de risque.

Vous parlez justement de risque. Prenons un cas concret : dans une entreprise, un employé copie des données dans ChatGPT pour gagner du temps dans la réalisation de tâches qu’il considère comme répétitives. Seulement voilà, ces données sont sensibles et n’auraient jamais dû être partagées avec cet outil d’IA. Comment gérez-vous cela ?

PR : Nous avons une application dédiée pour éviter cela qui repose sur un test d’ingénierie d'invite (prompt engineering). Vous tapez de vraies données, mais avant de les envoyer, ChatGPT les analyse pour vérifier que vous n'avez rien envoyé de sensible. Il utilise donc un modèle low code particulier, plus fin, pour filtrer une grande partie de ces données, puis les envoyer à ChatGPT. Il est intéressant de noter que les modèles d'IA ne sont pas des logiciels normaux. Un logiciel normal est ce qu'on appelle déterministe et lorsqu'il ne fonctionne pas comme vous le souhaitez, c'est parce qu'il y a un bogue. Les modèles d'IA doivent être traités un peu plus comme des personnes. Chaque fois que vous avez un bug, vous devez le recoder, vous devez le réentraîner. En général, il est très difficile d'être sûr à 100 % que quelque chose ne fera pas d'erreurs comme un humain. Selon moi, nous allons nous habituer à résoudre le problème de la non-exhaustivité de l'IA exactement de la même manière que nous le résolvons aujourd'hui avec les humains, lorsque nous sommes confrontés à des situations hautement risquées et sensibles. À ce jour, beaucoup d'entreprises ne créent pas de point de contrôle pour contrôler l'activité humaine, je ne suis donc pas surpris qu'elles ne le fassent pas avec une IA. L'astuce, c'est de penser à l'IA comme à un être humain... L'IA n'est pas déterministe. Il y aura un ratio d'échec et de non-prédictibilité.

Le marché du low code est en plein essor et d’autres acteurs se sont implantés en Europe, comme Appian, Mendix ou Simplicité. Quelle est la différence entre vous et eux ?

PR : Nous sommes motivés par une manière différente de concevoir nos produits par rapport à ces entreprises. Nous nous focalisons sur un problème beaucoup plus vaste. Nous nous intéressons à une entreprise qui commence par construire un petit flux de travail interne ou un flux de travail multi départemental, par exemple, qui pourrait tout à fait utiliser Appian. Cependant, nous savons que ce flux de travail va évoluer et un jour, l’entreprise aura besoin de trois portails pour le gérer, c’est ici qu’intervient OutSystems. C'est pourquoi nous avons beaucoup investi dans la facilité d'utilisation, mais aussi dans la puissance du produit, afin que les clients ne se heurtent jamais à un mur. Il n'y a rien de plus irritant que d'avoir un de ces outils visuels et soudain vous avez investi trois ou quatre mois, et investi des centaines de milliers de dollars, parfois des millions, et soudain vous vous heurtez à quelque chose que vous ne pouvez pas faire, et cela arrive souvent. C'est pourquoi ce domaine du no code et du low code est si difficile. Pour survivre à l’usure, la solution doit être très puissante. Il est donc très difficile de démarrer avec un produit très performant et les bénéfices sont très faibles. Le produit doit être très complet. Ce qui se passe, c'est qu'en général, nous remplaçons un grand nombre des noms que vous avez cités.

Lors de la keynote d’ouverture ce 17 octobre, vous avez parlé de « citizen development ». Quel est votre avis sur cette approche ?

PR : Notre position sur la notion de citizen development est le fruit de notre expérience avec des centaines de milliers de projets et d'initiatives et un très grand nombre de clients. Lorsque vous mettez l'outil le plus simple possible entre les mains d'une personne dont le travail n'est ni de développer ni de s'occuper du logiciel, en fin de compte, cette personne va se désintéresser de son autre travail pour lequel elle a été engagée. Le fait que lorsque vous construisez une application, celle-ci ne vise pas à résoudre un problème précis à un moment donné. Certaines le font, mais la plupart du temps les logiciels sont introduits pour automatiser quelque chose de très répétitif et qui change de temps en temps. Le logiciel doit donc être entretenu. Et ce que nous voyons, c'est qu'en fin de compte, tout ce qui commence avec des citizen developers, en particulier dans les applications qui se développent un peu et deviennent un peu plus sensibles et plus critiques, doit être pris en charge par des développeurs professionnels qui se consacrent entièrement à la construction et à la maintenance de ce logiciel.

Que pensez-vous de la pénurie de développeurs dans le monde ?

PR : C’est certainement l'un des facteurs qui a conduit à la création d'OutSystems. En 2001 (date de création de l'entreprise, ndlr), tout était très manuel. Paradoxalement, l'industrie du logiciel est l'industrie la plus manuelle qui subsiste au 21e siècle. Il n'y a pas de robotique, il n'y a pas d'automatisation comme dans tous les autres secteurs, à l’instar de la finance, la logistique, etc., où l'automatisation est bien plus poussée. Et quand on voit cela, on se dit qu'il y a un problème d'automatisation. C'est pourquoi les développeurs, lorsqu'ils voient un moyen d’automatiser leur travail, notamment les tâches les moins stimulantes, sautent dessus. À notre avis, c'est le manque d'efficacité qui crée la pénurie de développeurs, car la demande est très forte. La demande est également très forte parce que la technologie évolue à un rythme si rapide que vous devez constamment reconstruire les systèmes, ce qu'OutSystems fait en résolvant le problème de la reconstruction. C'est un autre problème d'inefficacité. Nous avons encore des clients que nous accompagnons depuis notre lancement qui utilisent la même application que celle qu'ils ont créée il y a plus de 20 ans. Ils l'ont modifiée 500 fois, mais c'est toujours la même. Ils ne l'ont jamais mise au rebut et il s'agit donc d'un processus de développement extrêmement inefficace.