Les géants de l'énergie subissent une forte pression de la part des gouvernements et des consommateurs pour réduire les émissions de carbone. Pour la multinationale pétrolière et gazière Shell, l'intelligence artificielle pourrait être un catalyseur clé pour atteindre cet objectif à long terme. La transformation numérique en cours de l'entreprise basée à Londres, alimentée par une plateforme de cloud hybride et une datalake Databricks, comprend un mélange de technologies d'IA visant à optimiser l'efficacité et les bénéfices de l'entreprise et, à terme, à réduire son empreinte carbone.

« L'IA est devenue un élément central de notre parcours global de transformation numérique », explique Dan Jeavons, spécialiste de l'IA chez Shell, précisant que l’entreprise travaille avec plusieurs sociétés spécialisées, notamment Microsoft et C3.ai, mais elle entretient un partenariat étroit avec Databricks depuis 2015. Environ 20 employés du fournisseur sont affectés au compte de Shell. Dan Jeavons, qui occupe le poste de vice-président de l'IT et de l'innovation numérique chez Shell depuis seulement six mois, est l'ancien directeur général de la datascience et il est plongé dans ce milieu depuis 2015. A noter qu'il travaille au sein de Shell depuis plus de 16 ans.

Refondre la stratégie technologique de Shell

Dans son nouveau rôle, qui relève de Jay Crotts, DSI du groupe Shell, Dan Jeavons est chargé d'employer l'IA ainsi que des technologies émergentes telles que la blockchain, l'IoT et l'edge computing pour refondre la future stratégie technologique de l'entreprise et aider à piloter son engagement à réduire son empreinte carbone pour devenir une entreprise à émissions nettes nulles d'ici 2050. Anthony Mullens, analyste en IA chez Gartner, affirme que les mises en œuvre de l'intelligence artificielle par Shell vont au-delà de ce que font la plupart des autres entreprises. « Shell a dépassé le stade de l'expérimentation initiale dans toute l'entreprise », déclare M. Mullens, en soulignant le centre d'excellence de l'entreprise et sa participation à OpenAI.

L’équipe de Dan Jeavons compte plusieurs centaines de data scientists qui utilisent l'IA - principalement sur la plateforme Spark de Databricks - en écrivant des algorithmes pour exécuter des tâches telles que l'amélioration des temps de cycle du traitement du sous-sol, l'optimisation des performances des actifs, la prédiction du moment et de l'éventualité d'une panne de diverses pièces d'équipement, ainsi que l'amélioration des offres aux clients. « Compte tenu de la menace du changement climatique, nous devons passer à un système énergétique à plus faible teneur en carbone et le numérique joue un rôle clé à cet égard », déclare M. Jeavons, notant que de nombreux flux de données de surveillance du CO2 transiteront par la plateforme d'IA de Databricks.

Réduire l’empreinte carbone du système énergétique

« Le numérique est l'un des leviers essentiels que nous pouvons actionner pour réduire considérablement l'empreinte CO2 du système énergétique ». Selon Dan Jeavons, l'utilisation de la technologie numérique par Shell a permis de réduire les émissions de CO2 d'une installation de gaz naturel liquéfié (GNL) de pas moins de 130 kilotonnes par an, ce qui équivaut à retirer 28 000 véhicules américains de la circulation pendant un an. « De nombreuses personnes qui travaillent pour nous ont le sentiment d'avoir un objectif impérieux en appliquant l'IA pour essayer d'accélérer la transition énergétique », dit-il. « Mais je ne vais pas prétendre que c'est facile ».

Percevoir les données comme un réservoir

Dans le cadre de sa transformation numérique, Shell s'appuie sur deux clouds publics, Microsoft Azure et AWS, ainsi que sur les technologies de conteneurisation Docker et Kubernetes, pour exécuter des charges de travail de plus en plus avancées pour divers aspects de son activité pétrolière et gazière, qui représente 210 milliards de dollars. Selon M. Jeavons, l'une des facettes essentielles de cette stratégie est la couche de données de base de l'entreprise, un réservoir à partir duquel de multiples outils et technologies peuvent accéder systématiquement aux données.

« Une stratégie de double cloud implique une certaine cohérence quant à la manière dont vous souhaitez gérer et intégrer vos données. Bien entendu, toutes les données ne se trouvent pas au même endroit. Vous avez une variété de bases de données, comme tout le monde », explique M. Jeavons. « Mais d'un point de vue analytique, nous consolidons de plus en plus certains types de données dans une architecture de lac intégrée basée sur Databricks ». Du côté de l'analytique, l'intégration des données dans une couche commune dans Delta Lake de Databricks et l'utilisation de Python dans une plateforme commune permettent des requêtes simples et l'intégration de requêtes de reporting classiques avec des outils de visualisation tels que Power BI.

Utiliser l’IA au maximum

Mais sur le front de l'IA, cela « permet également d'exécuter les charges de travail d'apprentissage automatique toutes sur la même plateforme », ajoute Dan Jeavons. « Pour moi, cela a été un changement d'étape ». Par exemple, Shell a intégré toutes ses données chronologiques mondiales - des informations telles que la température, la pression, un équipement particulier - dans un cloud commun basé sur Delta Lake, ce qui permet au géant de l'énergie de prendre le pouls de la plupart des actifs mondiaux, y compris les données des raffineries, des usines, des installations en amont, des parcs éoliens et des panneaux solaires. « C'est 1,9 trillion de lignes de données agrégées aujourd'hui, ce qui représente une quantité énorme à l'échelle mondiale », détaille Dan Jeavons. « Nous mesurons partout ».

Les efforts de Shell en matière d'IA consistent également à réaliser des prévisions de défaillance et à évaluer l'intégrité de ses actifs énergétiques en utilisant la vision artificielle pour identifier la corrosion. « Nous utilisons également l'IA pour développer une technologie qui peut optimiser les actifs et les faire fonctionner plus efficacement à l'échelle et les optimiser en fonction des performances historiques », explique Dan Jeavons, notant que, si une grande partie de la magie de l'IA de Shell est due à la mise en œuvre de son lac de données, rien de tout cela ne pourrait être réalisé sans les avancées du cloud. « Vraiment, l'élément clé a été la maturité des clouds et la possibilité de supprimer certaines couches supplémentaires que nous avions [afin] de prendre des données directement à partir des usines et de les diffuser dans le cloud. Cela a été utile pour l'analyse des données, mais aussi pour la stratégie d'IA », explique-t-il.

La voie à suivre

Au total, Shell compte environ 350 datascientist et quelque 4 000 développeurs travaillant à distance et/ou dans l'un des centres de Shell à Bangalore en Inde, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et à Houston, au Texas. Outre ses cloud publics et son datalake, Shell a également adopté des outils de développement avancés tels que Microsoft Azure DevOps et intègre GitHub dans les méthodes de travail de ses développeurs. Elle déploie également des outils de filtrage de code plus matures pour le cloud, exécute des flux de travail CI/CD « appropriés » et surveille plus de 10 000 équipements dans le monde en utilisant l'IA dans le cadre de ses centres de surveillance à distance, explique M. Jeavons.

Mais c'est le développement d'une architecture commune de lakehouse qui a fait la plus grande différence, en donnant à Shell « une couche de données intégrée qui fournit une visibilité de toutes les datas à travers notre entreprise » d'une manière cohérente, dit Dan Jeavons. « Nous avons adopté Delta très tôt », dit-il. « Pendant un certain temps, nous en étions plus au stade de la validation du concept qu'à celui du déploiement à grande échelle. Ce n'est qu'au cours des 18 derniers mois que nous avons constaté un changement radical et que nous avons commencé à fonctionner à plein régime ».

La gestion du changement reste toutefois l'un des plus grands défis

« Comment intégrer la technologie dans le processus opérationnel, la rendre utilisable pour qu’elle fasse partie de ce qui se passe au quotidien et développer des algorithmes qui fonctionnent ? Je ne vais pas minimiser la difficulté de la tâche. Ce n'est pas trivial », déclare M. Jeavons. « Il est plus difficile de développer l'adoption [de l'IA] à grande échelle. C'est une transformation assez longue, nous avons fait quelques progrès, mais il reste encore beaucoup à faire ».