Cette fois ça y'est. Alors que depuis des semaines tout est fait - ou presque - pour éviter aux entreprises de devoir se plier à la généralisation du télétravail dans leurs organisations, le Premier ministre Jean Castex a été clair lundi soir. Dans un discours annonçant la mise en place d'une salve de nouvelles mesures pour tenter de lutter contre la recrudescence explosive des cas de Covid-19 - près de 180 000 pour la seule journée de mardi - le recours d'un télétravail forcé refait surface. À compter du 3 janvier 2022, toutes les entreprises dont les employés sont en capacité d'effectuer leurs tâches à distance, doivent en effet les mettre en télétravail au minimum 3 jours par semaine. Le protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l'épidémie de Covid-19  vient d'ailleurs d'être mis à jour

Pour les entreprises qui ne se plieraient pas à cette nouvelle règle, la ministre du Travail Élisabeth Borne a prévenu : une amende de 1 000 euros par salarié sera infligée à l'entreprise pour tout manquement dans un plafond de 50 000 euros.  Contraignant pour nombre d'entreprises dont l'organisation risque de nouveau d'être fortement perturbée, mais aussi des salariés qui peuvent mal vivre cette situation, ce télétravail imposé est pourtant loin d'être gravé dans le marbre.

Un projet de loi attendu au tournant

« Pour les employés qui peuvent télétravailler, cette obligation va être intégrée dans le protocole national entreprise rédigé par le ministère du Travail », nous a expliqué Camille Smadja, avocate associée chez DJS Avocats. Pour autant, cela ne constitue en aucun cas un point de départ à l'obligation « réelle » sur le terrain puisque cette dernière s'avère en fait dénuée de tout fondement et contrainte juridique. « Les députés ont indiqué qu'ils allaient rendre le télétravail obligatoire dans tous les secteurs et Élisabeth Borne a expliqué que les entreprises risquaient une sanction, mais tant que cette obligation n'est pas intégrée dans un projet de loi discuté et adopté, aucune sanction ne pourra être appliquée », poursuit Camille Smadja.

Il faudra donc attendre qu'un projet de loi intégrant cette obligation - sans doute avec celui portant sur l'évolution du pass sanitaire en pass vaccinal -, soit voté et adopté par les députés et les sénateurs, puis publié au Journal officiel. Le gouvernement veut aller vote, mais la trêve des confiseurs ralenti tout le processus et on voit mal comment une telle obligation pourrait être effective au 3 janvier 2022. Mais surtout, la situation a changé par rapport à la dernière fois où le télétravail avait été imposé : car au printemps dernier, les employés étaient confinés chez eux ce qui ne sera pas le cas cette fois-ci, et cela change pas mal la donne.

Des contrôles inopinés pour l'exemple

« Cette fois, la loi qui va rendre le télétravail obligatoire sera attaquable, car elle pourra porter atteinte à la liberté d'entreprendre », prévient Camille Smadja. « Le Code du travail oblige déjà les employeurs à assurer la santé au travail, et c'est de leur ressort de prendre toute décision nécessaire pour la garantir ». Et l'avocate de poursuivre : « l'obligation de télétravail, c'est plus un effet d'annonce qu'autre chose, car on voit mal comment les pouvoirs publics pourront vérifier sa mise en oeuvre sur le terrain, car il n'y a pas assez de ressource pour s'en assurer ».

Pour les salariés qui tiendraient absolument à venir travailler sur leur lieu professionnel habituel, pour des raisons techniques ou psychologiques, l'employeur devra s'assurer de mettre en place toutes les mesures nécessaires pour assurer une activité garantissant le plus haut niveau de sûreté face au risque sanitaire. Avec cette annonce, le gouvernement espère sans doute davantage miser sur un électrochoc pour faire prendre conscience que le risque sanitaire est très élevé si les conditions de travail au bureau sont maintenues comme si de rien n'était. « Lorsque la loi sera adoptée, on voit mal des inspecteurs du Travail mettre des amendes aux entreprises qui auraient des effectifs sur place, mais qui s'assurent que toutes les règles en matière de distanciation sociale de 2m, respect des gestes barrières, masques et présence de gel hydroalcoolique, sont prises », fait savoir Camille Smadja. Cela n'empêchera pas cependant que des contrôles inopinés soient menés et que des entreprises soient épinglées pour l'exemple.

Le « titre-télétravail » de 600€ une double peine pour les employeurs ?

Une autre surprise attend par ailleurs les entreprises au tournant : la députée Frédérique Lardet (apparentée LREM) a été à l'initiative d'une proposition de loi, soutenant par 39 autres députés, pour créer un « titre-télétravail » pouvant aller jusqu'à 600 euros par an. La goutte d'eau risque-t-elle de faire déborder leur vase ? « Le but initial de cette proposition c'est d'équiper les salariés pour être dans de bonnes conditions de télétravail avec un bon fauteuil par exemple, mais pour ceux qui sont déjà équipés par l'entreprise d'un ordinateur professionnel cela risque de faire double peine pour les employeurs déjà désorganisés par les équipes qui travaillent à distance », prévient Camille Smadja.