Selon le pionnier de l'Internet, Vint Cerf, également chef évangéliste de l'Internet chez Google, les travaux de la Conférence mondiale des télécommunications internationales (CMTI) visant à élaborer de nouveaux règlements pourraient nuire à l'Internet. Les propositions du CMIT « sont une menace pour l'Internet », a mis en garde Vint Cerf mercredi lors d'une intervention à la conférence Usenix LISA (Large Installation System Administration), qui s'est tenue à San Diego. « L'Internet n'est pas contrôlé par une seule nation et la meilleure façon de traiter les problèmes qui se posent c'est de le faire dans le cadre d'accords informels entre les parties concernées », a-t-il soutenu. Le but du CMTI est d'actualiser les accords qui orienteront l'action de l'Union internationale des télécommunications (UIT) au sein des Nations Unies. Mais, cette nécessité de maintenir les règlements à jour pourrait étendre le contrôle de l'UIT sur l'Internet. « La réaction naturelle de toute institution qui veut préserver son existence est de s'approprier de nouveaux territoires », a déclaré Vint Cerf au sujet de l'UIT. Ses critiques ont peut-être été prémonitoires. Effet, quelques heures après son discours, une controverse a éclaté à la conférence, l'Internet Society suggérant que les nouveaux règlements de l'Internet avaient peut être été ajoutés à tort aux réglementations. Le CMTI est en train de mettre à jour le Règlement des télécommunications internationales (RTI). Son objet concerne aujourd'hui principalement la question de la facturation internationale et les standards de la connectivité intersystèmes. Une grande partie du nouveau travail autour de l'Internet, qui existait à peine quand le RTI a été mis à jour en 1988, a pris une tournure très politique. Selon un certain nombre de rapports, la Russie avait l'intention de soumettre au CMIT une proposition qui permet un contrôle multinational de l'Internet. Le représentant américain délégué à la Conférence mondiale des télécommunications internationales avait menacé de quitter la réunion en signe de protestation.

La Russie a essayé de verrouiller l'Internet

La proposition russe a été abandonnée, mais d'autres pays ont fait pression pour arracher le contrôle de la gestion des noms de domaine à l'Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Icann), un organisme financé par les États-Unis, afin de favoriser une inspection plus approfondie des paquets circulant sur le Net. « Personne n'est responsable » de l'Internet, a rappelé Vint Cerf à son auditoire. « Mais ce manque de contrôle semble rendre les fonctionnaires perplexes », a-t-il ajouté. Celui-ci a raconté comment, en 2003, il a expliqué à des diplomates qui assistaient à l'Internet Governance Forum comment était géré l'Internet. « Ils ont refusé de croire qu'il était possible d'avoir un système distribué de cette ampleur et de cette importance sans contrôle centralisé », a-t-il déclaré. « Financé par le Département du commerce américain, l'Icann gère effectivement les noms et les adresses de l'Internet, mais elle n'a pas de contrôle sur l'Internet lui-même », a expliqué le pionnier de l'Internet. « Il y a sûrement aux États-Unis des législateurs qui voudraient faire croire que l'Amérique contrôle l'Internet, mais en fait, c'est un environnement très distribué, très collaboratif », a insisté Vint Cerf.

C'est lui qui a développé avec Robert Kahn la pile TCP/IP permettant aux différents réseaux de communiquer entre eux, et qui est à la base de l'Internet. Vint Cerf travaille maintenant pour Google en tant que chief Internet evangelist. Il a également été président de l'Icann. Ces dernières semaines, Google et Vint Cerf ont émis des points de vue très critiques à l'égard du travail du CMIT. Tim Berners-Lee, le principal créateur du World Wide Web, a également été très critique à l'égard de la conférence. « Les pressions que subit l'UIT pour adopter de nouvelles directives viennent essentiellement de gouvernements autoritaires, membres du CMTI, qui veulent mettre un frein à l'Internet », a encore déclaré Vint Cerf. « Pour un gouvernement autoritaire, l'Internet est une menace. L'Internet est le plus grand moteur de démocratisation jamais inventé », a déclaré l'inventeur du Net. « Jamais, dans l'histoire du Règlement des télécommunications internationales, n'a été posée la question du contenu. Peut-on imaginer des réglementations internationales qui fixeraient ce que l'on est autorisé à dire au téléphone? » Une allusion claire aux projets DPI (Deep Packet Inspection) qui fleurissent dans toutes les belles démocraties...

Sur le déclin, l'UIT veut reprendre de l'influence

Vint Cerf laisse entendre que l'orientation prise par le CMTI pourrait aussi servir à l'UIT pour étendre son emprise sur l'Internet, car l'influence propre de l'UIT semble s'estomper. Celui-ci a rappelé que l'UIT avait été initialement mis en place au 19e siècle pour établir les orientations du télégraphe, et que plus tard celles-ci ont été modifiées pour être adaptées aux systèmes de télécommunications et de téléphonie. L'UIT a élaboré plusieurs protocoles de données de bas niveau et de communications par la voix, comme l'ISDN (Integrated Services Digital Network), le X25 et l'ATM (Asynchronous Transfer Mode), même si ces normes sont moins utilisées aujourd'hui, car elles ont été remplacées par l'Internet. « Dans la dernière décennie, les applications de communication qui étaient faites sur des réseaux spécialisés ont migré vers l'Internet », a déclaré Vint Cerf. C'est le cas par exemple du streaming vidéo et de la téléphonie IP. « Les réseaux spécialisés sont de moins en moins importants et donc la plupart des normes dont l'UIT a la responsabilité, sont de moins en moins importantes ». Le protocole Internet (IP) « fonctionne sur tout », a plaisanté l'évangéliste.

Pendant une session de questions-réponses, un participant a demandé si certains problèmes universels de l'Internet, comme les virus et les spams, seraient mieux traités au niveau international, compte tenu de la facilité avec laquelle ceux qui sont à l'origine de ces problèmes peuvent se soustraire à l'autorité de tous les pays. Vint Cerf a convenu qu'une réponse internationale serait préférable, mais selon lui, il n'est « pas sûr que la réglementation internationale soit la bonne solution ». Il a exhorté les nations à travailler ensemble de façon plus informelle, à l'image de l'IETF (Internet Engineering Task Force) qui n'a pas de membres formels, mais résout toujours des défis technologiques urgents. « Une certaine informalité peut s'avérer la meilleure tactique », a-t-il répondu.