L'arrivée de la technologie de virtualisation des serveurs x86 de VMware a été un moment clé dans l’histoire de l’informatique en entreprise. Mais si on se penche sur la communication de la société aujourd’hui, c’est comme si cette étape avait été gommée de son vocabulaire. La filiale d’EMC préfère pousser ses stratégies multicloud, datacenters pilotés par logiciels (SDDC), réseau (SDN ou SD-WAN), infrastructures hyperconvergées (HCI), sécurité, conteneurs, blockchain, IoT et bien d’autres.

Alors que se passe-t-il chez VMware ? Pourquoi cette entreprise qui génère près de 8 Md$ de revenus par an, ayant 75 % de parts de marché et peu de concurrents directs ne continue simplement pas à rester sur ses acquis ? VMware veut-il juste attirer les clients avec les derniers termes en vogue ou y a-t-il une réelle stratégie derrière tout ça ?

La virtualisation de serveurs est mature

D’après les analystes, cela fait déjà un certain temps que la virtualisation de serveurs approche le point de saturation. Gartner indique que les revenus des licences pour la virtualisation des environnements x86 ont commencé à décroître dès le premier trimestre 2016. Les entreprises préférant se tourner vers la virtualisation des datacenters. Et en 2017, le cabinet de conseil cessait de publier ses Magic Quadrant sur la virtualisation de serveurs, estimant que ce marché est désormais mature.

Par ailleurs, la menace pour VMware ne se limite pas aux entreprises qui ont virtualisé pratiquement tous les workloads qui peuvent l’être. Afin de réduire leurs dépenses et accroître leur agilité, les sociétés souhaitent réduire le recours à leur datacenter et migrer vers le cloud, que ce soit sur des plateformes SaaS ou des fournisseurs d’infrastructures comme AWS ou Azure. Et à mesure que ces transformations avancent, les entreprises se tournent vers des alternatives plus flexibles comme la conteneurisation, les micro-services ou le serverless.

Innover par les acquisitions

En somme, VMware est confronté au cas classique du « dilemme de l’innovateur » inventé par Jason Bloomberg, président du cabinet d’analystes Intellyx. En résumé, faut-il continuer à exploiter le concept inventé ou surfer sur les prochaines vagues d’innovation pour aborder de nouveaux marchés, au risque de cannibaliser la source principale de revenus. « VMware a choisi la voie de l’innovation », indique M. Bloomberg, « grâce à une combinaison intelligente d’acquisitions ciblées et de développement de produits internes ». C’est la stratégie « VMware everywhere ». « Les applications et les données sont de plus en plus distribuées, les entreprises opérant dans un certain nombre de datacenters, de fournisseurs de cloud public, de succursales, de sites périphériques, etc. » ajoute Chris Wolf, vice-président et directeur technique de VMware. « Notre stratégie se concentre sur l'assurance d'une infrastructure et des opérations cohérentes partout où des applications et des données peuvent résider et ce, tout en préservant une expérience de développeur natif. »

La société a introduit la virtualisation du stockage vSAN en 2014, puis utilisé cette technologie au cœur de son appliance d'hyperconvergence HCI VxRail. L’acquisition de Nicira (à la barbe et au nez de Cisco) l’a aidé à lancer son produit de virtualisation réseau et sécurité NSX. Armé de cette pile entièrement intégrée de technologies de calcul, stockage et de mise en réseau virtualisées, VMware s’est ensuite doté d’une capacité de gestion, d’automatisation et d’orchestration pour créer son offre SDDC. As a service, cette offre peut être déployée dans un scénario de cloud privé, public ou hybride.

Des partenariats à fort potentiel

Ce n’est pas fini. En rachetant AirWatch, VMware a étendu ses capacités de gestion des terminaux mobiles à travers son entité end user computing (EUC). VeloCloud, fournisseur de SD-Wan, a apporté ensuite une technologie software-defined aux succursales ayant besoin de se connecter au cloud. CloudHealth Technologies et Wavefront, rachetés récemment, doivent permettre de renforcer la gestion du cloud. Dernière acquisition en date, Heptio, spécialiste de Kubernetes, dans le cadre de sa stratégie visant à permettre aux équipes DevOps de développer leurs applications sur la plateforme de leur choix.

Et ces entrées sur des marchés en plein essor portent leurs fruits selon Chris Gardner, analyste chez Forrester. Il note en effet que l’activité NSX contribue déjà massivement au chiffre d’affaires de VMware. Le récent partenariat du groupe avec AWS a aussi un fort potentiel. Il s’agit d’offrir une solution SDDC sur AWS permettant de migrer et étendre leurs environnements VMware sur site vers l’infrastructure bare-metal AWS.

Une stratégie peu cohérente sur le cloud et les conteneurs

Mais VMware va parfois un peu trop loin, d’après M. Gardner, « en ayant tendance à proposer de multiples solutions à chaque problème. Nous estimons que les fournisseurs de logiciels ont besoin d’avoir des offres abouties, de venir autour de la table avec une recommandation, pas un menu à la Cheesecake Factory ». S’implanter sur de nouveaux marchés c’est aussi faire face à d’autres concurrents. VMware se mesure donc à Nutanix sur le HCI, Cisco et Silver Peak dans le SD-WAN, Cisco encore sur le marché des réseaux définis par logiciels (SDN), et Microsoft et IBM dans la gestion cloud.

De surcroît, le fournisseur est arrivé en retard sur la partie cloud et conteneurisation et d’après les analystes, sa stratégie sur ces marchés n’a pas toujours été claire et cohérente. Par exemple, la société a tenté de lancé sa propre plateforme IaaS , vCloud Air, rachetée par OVH en 2017. Elle a ensuite privilégiée des partenariats avec AWS et IBM. Mais selon notre confrère d’IDG, les clients présents à l’événement Network World affirment qu'ils évaluent chaque nouvelle offre VMware au cas par cas. Ils semblent généralement satisfaits, voire surpris de voir à quel point la société a su anticiper l'évolution de leurs besoins, et ils disent que la capacité de VMware à intégrer ses produits leur donne une longueur d'avance par rapport aux solutions ponctuelles.

Dell mise sur les technologies VMware

Faut-il enfin mentionner le rachat de VMware par EMC ? Il remonte à 2004 et s’élevait à 625 M$. 15% avait été vendus dans le cadre d’une IPO. En 2016, Dell était encore une société privée et emprunte 67 Md$ pour acheter EMC dans le cadre de l’opération la plus importante jamais réalisée dans l’industrie. Pour cette transaction, Dell a émis un « titre de suivi » spécifique basé sur les performances de VMware. Puis, en décembre 2018, Dell annonçait son retour en bourse et le rachat du stock de suivi du spécialiste de la virtualisation. Tous ces mouvements internes n’ont pas eu l’air d’entacher les performances de ce dernier. Les synergies créées par Dell semblent lui être plutôt bénéfiques. La maison mère vient d’ailleurs d’annoncer une feuille de route agressive pour sa gamme de produits HCI intégrant VxRail.

Lors du dernier VMworld, l’entreprise avait annoncé trois projets en développement. Dimension pour l'edge computing, Magna pour l'IA et Concord pour blockchain. Mais il est toujours à craindre que si Dell se retrouve un jour en difficulté, les investissements technologiques de VMware soient réduits à néant. Cependant les derniers revenus du fournisseur parlent d’eux-mêmes : 2,2 Md$ pour son dernier trimestre clôturé, en croissance de 14 %. La société a même revu ses perspectives de chiffre d’affaires 2019 à la hausse, à 8,9 Md$.