Il y a peu, le chief digital officer était encore le petit nouveau des sphères dirigeantes. C’était l’époque où prononcer « transformation digitale », c’était être savant. En quelques années, le petit nouveau a grandi et s’est mué. Comment le CDO est-il devenu  en moins de 10 ans la coqueluche des comités de direction ? Est-il encore à la mode aujourd'hui ? Prononcez les trois lettres C-D-O, en anglais ou en français. Le mot est plaisant. Passée la fascination des débuts, le CDO doit cependant « délivrer » et on attend des résultats immédiats. Quelle est sa feuille de route ? Les missions du CDO peuvent être très vagues, d’autant qu’il incarne des projets qui ont existé avant lui. On n’a pas attendu le chief digital officer pour faire du digital…

La première difficulté que doit affronter le nouveau-né CDO tient en effet à cet héritage et à la nécessité de construire sa légitimité de « chef » d’une équipe digitale qui a pu lui préexister. La seconde difficulté est liée à son statut de centre de coût. A ses débuts, on a reproché au CDO de ne générer aucun revenu et, mieux encore, de coûter, piochant dans les budgets de ses pairs. La troisième difficulté est propre à toute fonction qui naît sur un marché. Il est nécessaire de la structurer : taille d’équipe ? sponsorship ? budget ? Ces questions sont devenues plus prégnantes encore au fur et à mesure que le rôle s’est généralisé et que certains CDO ont réalisé que, au-delà de la notoriété de leur titre, ils pouvaient n’être qu’une « excuse digitale » du Conseil d’administration, visibles mais sans aucune ressource ni soutien des décideurs du groupe. 

Le rôle de chief digital officer ayant déjà largement évolué depuis son apparition, on peut distinguer deux générations de CDO.

Dans la cour des grands : Le chief digital officer de première génération

A la naissance de la fonction, le CDO a avant tout un rôle de marketing et communication, tourné vers l’externe et l’interne. Il est l’artisan de « l’incubation digitale » de l’entreprise. Il est d’abord chargé de sensibiliser l’entreprise au digital. Certes, des initiatives digitales (site e-commerce, page facebook, réseau social d’entreprise…) existent déjà mais elles sont éclatées et le niveau de maturité digitale peut être très varié selon les géographies ou les divisions de l'entreprise. La sensibilisation digitale peut d’ailleurs commencer au niveau du comité de direction.

Le CDO de première génération suit de près les tendances du marché (nouvelles offres, acteurs disruptifs, business models, modes de travail …) et y sensibilise son groupe. Il peut lancer des projets pilotes, visant à tester certains concepts à petite échelle avant d’envisager un déploiement au niveau de l'entreprise. Cette veille peut l’amener à identifier sur le marché de nouveaux acteurs, susceptibles de devenir des partenaires, voire d’être rachetés, puis intégrés. Ce CDO a de plus un rôle de communicant, interne et externe. Il coordonne les projets digitaux de son  groupe et devient l’interlocuteur privilégié du comité de direction et du directeur des systèmes d’information (DSI) sur ces sujets. Dans ce contexte, des grands groupes rationalisent leur nombre de sites - ceux-ci s’étant multipliés sans qu’une stratégie globale ait été décidée pour le groupe -  et ce projet peut être porté par l’équipe du CDO. En externe, le chief digital officer représente de plus son groupe et ses initiatives digitales.

Le CDO de première génération est directement rattaché au comité de direction, voire en fait directement partie. Le plus souvent, il collabore avec le DSI mais CDO et DSI restent deux rôles très distincts, ce qui est caractéristique de cette première génération de CDO. En effet, ils  sont souvent des dirigeants au solide parcours en marketing, ventes et communication, rompus au lancement de nouvelles offres. Ils ont enfin un fort intérêt pour la technologie, sans avoir pour autant d’expertise technique.

Pas simple de grandir : Le chief digital officer de seconde génération

Après une première phase d’incubation digitale, de plus en plus de groupes souhaitent passer à une deuxième phase, dite « d’industrialisation digitale ». La première phase fut celle de la sensibilisation au digital, de la découverte de nouveaux concepts, business models, offres et des projets « pilotes » lancés à petite échelle en guise de tests. La seconde phase est celle du déploiement à grande échelle, au niveau du groupe, des promesses digitales faites durant la phase d’incubation, dans une ère où la data et l’Internet des objets sont devenus des enjeux cruciaux. Cette seconde phase est liée à l’évolution de la maturité digitale des entreprises, mais aussi à celle de l’environnement concurrentiel, qui s’est largement digitalisé. La concurrence des GAFA, NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber) et autres acteurs technologiques de poids a accéléré la transformation digitale des entreprises.

D’un point de vue organisationnel, la tendance récente est de créer une seule et même direction digitale et SI et d’y intégrer les équipes informatiques et les équipes digitales. Airbus, la SNCF et Engie ont suivi ce schéma. Chez Airbus, Marc Fontaine est depuis mai 2016 le Digital Transformation Officer du Groupe, supervisant la transformation numérique du groupe mais aussi l’informatique centrale et la cybersécurité. De même, à la SNCF, Benoît Tiers occupe depuis septembre 2016 le rôle de directeur général Digital & SI. Enfin, chez Engie, Yves Le Gelard est depuis mai 2016 le CIO et le CDO du groupe. Dans certains cas, CDO et DSI ne font donc plus qu’un. Dans d’autres, le rôle du CDO reste distinct du DSI mais intégré à une direction générale Digitale et SI, comme en témoigne le recrutement de David Leborgne à la SNCF en mars 2017.

Dans tous les cas, le profil du CDO a peu à peu évolué vers un dirigeant plus opérationnel, capable de cerner  de près les enjeux technologiques et informatiques du moment. Le CDO de deuxième génération doit pouvoir comprendre les problématiques de data, datalake, DMP, programmatique, Internet des Objets… mais doit toujours avoir d’excellentes capacités de communication, lui permettant de représenter à l’extérieur les initiatives digitales de son groupe. Il suit de plus les tendances du marché, guidant son entreprise vers des investissements de rupture et participant à sa politique de Digital Ventures. C’est donc un dirigeant au profil très complet, rendant particulièrement sensible le recrutement d’un CDO.

Le CDO, un jour passé de mode ?

On prédit depuis longtemps la mort des CDO, voués à disparaître une fois l’entreprise complètement digitalisée. Mais la route est longue avant que l’entreprise ne le soit complètement. Une telle transformation inclue la culture d’entreprise, les process, les modèles économiques, la création de nouvelles lignes de métier, les modes de communication internes et externes, les modes de recrutement, l’infrastructure informatique. Il est encore très loin le temps où l’entreprise, toutes industries confondues, BtoB comme BtoC, sera complètement digitalisée… Le CDO a donc  de belles années devant lui.

En revanche, le temps où les trois seules lettres C-D-O produisaient un effet magique sur l’extérieur, témoignant de la prise de conscience digitale d’une entreprise et de son avance par rapport aux concurrents n’ayant pas encore de CDO, est passé. Le CDO sans équipe, budget ni fort sponsorship du comité exécutif sera très certainement challengé. Il conservera son aura si son périmètre et ses missions sont clairement définies, au-delà des sujets de marketing et de communication, s’il est fortement soutenu par le comité exécutif, s’il a démontré sa capacité à descendre sur le terrain et, enfin, s’il peut amener une compréhension de l’informatique et une vraie expertise technologique. C’est ainsi que votre chief digital officer restera à la mode.