Il est rare aujourd’hui qu’une entreprise ne dépendent pas de ses données d’une manière significative, mais pour autant, cela signifie-t-il que la plupart d'entre elles ont besoin d’un chief data officer ? C’est une question qu’un certain nombre de dirigeants se posent avec la montée des big data et l’enthousiasme croissant des cabinets d’analystes pour la fonction. Gartner, par exemple, estime que 90% des grandes entreprises auront un CDO d’ici 2019. En août dernier, Forrester avait constaté que 45% des groupes présents à l’échelle mondiale en avait déjà un, tandis que 16% prévoyaient de créer le poste l’année suivante. Le britannique Experian prévoit une tendance similaire, jugeant que l’arrivée des spécialistes de la data au comité de direction était en train de transformer l’utilisation des données dans les grandes entreprises. Dans ce contexte, faut-il sauter le pas ? En fait, cela dépend, pas seulement du type d’entreprise et de son secteur d’activité, mais aussi de ce que l'on recherche.

Le titre de chief data office n’est pas nouveau. Yahoo en a nommé un en 2004. Toutefois, ce n’est que plus récemment que cette fonction a commencé à gagner du terrain, rappelle Mario Faria, directeur de recherche chez Gartner qui a lui-même précédemment occupé ce poste. En général, le CDO est responsable des initiatives et stratégies liées à la gestion des données, en incluant tout ce qui porte sur leur qualité et leur acquisition, explique-t-il. Par opposition à l’autre acronyme CDO, chief digital officer, qui se concentre sur la transformation numérique d’une entreprise et les projets qu’elle mène sur ce terrain. A cela s’ajoute le chief analytics officer, une fonction axée sur l’application de modèles mathématiques sur les données de l’entreprise pour mieux comprendre son fonctionnement et en récupérer des informations exploitables pour l’activité. Toutefois, c’est bien le chief data officer que Gartner voit surtout monter jusqu’à assumer la responsabilité des trois domaines tandis que le CIO/DSI conservera de son côté le contrôle sur tous les sujets associés à l’infrastructure et à la mise en œuvre.

Biologie structurale et data science pour le CDO de Seattle's Children

Ce sera souvent ce CDO qui définira ce qui doit être fait, pendant que le CIO déterminera de quelle façon y parvenir, selon Mario Faria. « Le CDO et le CIO doivent être frères ou sœurs d’armes pour aider ensemble les responsables métiers », explique-t-il. C’est bien comme cela qu’Eugene Kolker, chief data officer de l’Hôpital pour enfants de Seattle, voit les choses. Pour lui, le rôle de CDO porte sur les données qui sont considérées comme un actif d’entreprise stratégique. Il occupe cette fonction depuis 2007, lorsque le CEO du Seattle Children’s a créé ce poste avec le soutien des autres responsables exécutifs de l’établissement hospitalier. Titulaire d’un doctorat en biologie structurale et d’un master en mathématiques appliquées et sciences informatiques, Eugene Kolker est placé sous la responsabilité du vice-président senior et médecin en chef de l’hôpital. En tant que CDO, son rôle principal est d’améliorer les résultats cliniques pour les patients et leurs familles. « Les problèmes actuels sont extrêmement complexes et multidimensionnels », rappelle-t-il en expliquant que nos capacités humaines nécessitent de pouvoir récupérer autant de support que possible.

Avec son équipe, Eugene Kolker encourage le recours à l’utilisation des données pour la prise de décision et fournit aux responsables exécutifs et au personnel hospitalier qui les entoure les données et les indicateurs dont ils ont besoin pour réaliser des changements efficaces. Les données et analyses, venant en complément de l’expérience, de l’expertise, de l’intuition et de l’instinct, peuvent aider à guider les décisions et à prioriser les actions », explique le CDO de Seattle’s Children ? Eugene Kolker pense que toute entreprise doit recourir à un chief data officer. « Les données représentent vos clients, votre activité, elles vous représentent », expose-t-il « Les clients viennent en premier, il faut donc réaligner son activité avec les besoins et les aspirations des clients ».

Une formation en analyse statistique et mathématique

Sur bien des aspects, le CDO est l’équivalent moderne du poste de vice-président responsable de la gestion des données que l’on trouvait couramment il y a dix ans, note Shawn Banerji, directeur général du cabinet de recrutement Russell Reynolds Associates. « A ce moment-là, cette fonction était strictement axée sur la capture des données et moins sur la façon de les rendre exploitables », remet-il en mémoire. Aujourd’hui, le CDO est généralement placé sous la responsabilité du CIO ou du directeur marketing, ajoute Shawn Banerji. Ceux qui occupent ces fonctions ont généralement une formation en science des données, incluant la maîtrise de l’analyse statistique et mathématique.

Pour Mario Faria, du cabinet Gartner, les trois motivations principales vont amener les grandes entreprises, de même que les plus petites, à créer de plus en plus souvent des postes de CDO. Premièrement, en raison des obligations réglementaires qu’elles doivent respecter. Deuxièmement, elles espèrent que l’exploitation de leurs données va accroître leur efficacité. Troisièmement, elles cherchent dans l’analyse des données de la valeur ou des revenus supplémentaires. « Les entreprises les plus progressistes se voient, à un certain niveau, comme des data companies », indique Shawn Banerji, de Russell Reynolds Associates. « La plupart d’entre elles prennent des mesures pour répondre à ce besoin, que ce soit à travers la création d’une fonction spécifique ou en répartissant les responsabilités associées entre différents postes existants ».

Ne pas céder à une réaction instinctive en créant le rôle

Les CDO sont actuellement plus fréquemment rencontrés dans les entreprises Business-to-Consumer, s’adressant directement aux consommateurs, mais on en trouve aussi de nombreux dans le secteur B-to-B, constate Shawn Banerji. Alors, comment une entreprise peut-elle déterminer si elle a besoin d’un CDO ? « Premièrement et avant toute chose, il faut s’asseoir et mener un exercice de réflexion interne, ainsi qu’une analyse clients, puisque vous voulez comprendre quels sont les résultats commerciaux que vous cherchez à obtenir », expose le recruteur. Ensuite, il faut se pencher sur la façon dont les données peuvent permettre d’y parvenir. Si elles sont au centre des priorités de l’entreprise, cela a du sens de nommer un CDO. Sinon, il faut peut-être y réfléchir encore un peu. « Je pense que la pire des choses que l’on pourrait faire, c’est de céder à une réaction instinctive et de créer le rôle juste pour le plaisir de le faire », met en garde Shawn Banerji. A l’avenir, les perspectives sur l’importance des CDO semblent importantes, poursuit-il « De plus en plus d’organisations sont tirées par les données. Je m’attends non seulement à ce que cette fonction se maintienne, mais aussi à ce qu’elle prenne une place plus importante ».

Mario Fario, de Gartner, est sur la même ligne, mais il prévoit que, au fur et à mesure du temps, le CDO se concentre moins sur les données en tant que telles et davantage sur les algorithmes qui sont exploités pour en extraire de la valeur. « Avoir des données sans algorithmes, c’est comme d’avoir une voiture sans essence », estime l’analyste. « C’est en les combinant que vous pouvez avancer. »