Si le jugement rendu contre SAP en faveur d'Oracle est confirmé, cela pourrait créer quelques turbulences sur le marché des fournisseurs de services de support et conduire à hausser le coût des applicatifs sur l'ensemble de leur durée d'utilisation. C'est ce que pense David Bradshaw, analyste pour le cabinet d'études IDC, interrogé par nos confrères de Computerworld UK. Les DSI vont peut-être y réfléchir à deux fois avant de choisir un prestataire indépendant pour les aider à maintenir leurs applications.

SAP a été condamné cette semaine à verser 1,3 milliard d'euros pour le vol de fichiers utilisés pour la maintenance de logiciels inscrits au catalogue d'Oracle. Le téléchargement illégal de ces outils a été commis par son ancienne filiale TomorrowNow, désormais fermée. L'activité de cette société consistait à fournir des services de support aux clients, notamment pour les versions d'applications qui n'étaient plus couvertes par les contrats de maintenance standard. Des services facturés à un tarif très inférieur à celui d'Oracle (la moitié du prix, généralement).

David Bradshaw souligne que si SAP peut se permettre de payer l'énorme dédommagement qui lui est réclamé à la suite du jugement (1,3 milliard de dollars), cette condamnation lui fait néanmoins sérieusement « perdre la face » et elle porte tort, par ricochet, aux fournisseurs de services de support. Il pense en effet que les éditeurs vont se sentir soutenus dans leur décision de facturer cher le coût du support aux entreprises, notamment celles qui continuent à exploiter des applications au-delà du délai prévu dans le contrat de maintenance initial. Pour David Bradshaw, il paraît évident que « cela va réduire le choix des clients ». De nombreuses entreprises sont pourtant mécontentes de la facture et du service fourni, rappelle le consultant. SAP lui-même a essuyé de vives critiques de la part de ses utilisateurs, entre juillet 2008 et janvier 2010, lorsqu'il a augmenté sensiblement le coût d'accès à son contrat de maintenance, en affirmant (à juste titre pourtant) en avoir augmenté le niveau de service. L'éditeur allemand a d'ailleurs dû faire marche arrière dix-huit mois plus tard.

Reconsidérer sa politique de support


Pour le consultant d'IDC, le jugement qui vient d'être rendu risque de réduire la marge de négociation des utilisateurs de logiciels. Les départements IT vont se sentir obligés de continuer à payer la maintenance au prix fort, même s'ils estiment que le service rendu ne correspond pas à ce qu'ils paient. « Les DSI vont devoir reconsidérer les systèmes qu'elles utilisent et le support qu'elles achètent », estime-t-il. Les utilisateurs de services proposés par des mainteneurs tiers doivent envisager des plans de secours. « Si vous ne voulez pas payer la redevance élevée que demande l'éditeur, il faut vous demander si vous pouvez vous en sortir sans maintenance, ou bien si vous devez migrer et vous extraire des systèmes existants coûteux à maintenir ».

Le procès TomorrowNow remet sous les projecteurs une autre plainte déposée par Oracle à l'encontre, cette fois, de Rimini Street, l'un des principaux fournisseurs indépendants de support IT aux Etats-Unis, selon IDC. Cette société, créée par le fondateur même de TomorrowNow (Seth Ravin), quelques temps après qu'il ait vendu sa structure à SAP, a été elle aussi assignée en justice par Oracle pour vol de propriété intellectuelle.

Les actionnaires de SAP plus touchés que les clients


Dans un blog, Paul Hamerman, vice-président de Forrester, fait remarquer que SAP reste dans une position délicate vis-à-vis de cette catégorie de fournisseurs qui représente tout autant pour lui que pour Oracle, un risque de pertes de revenus. SAP ne pouvait pas défendre de façon convaincante son entrée sur le marché du support indépendant (avec TomorrowNow) par crainte de légitimer une activité présentant de tels risques. Pour Paul Hamerman, choisir un fournisseur de services de support reste une décision importante. Et, à l'instar d'IDC, il pense que l'affaire Rimini Street va réduire l'intérêt, pour les entreprises, de faire appel à un support non propriétaire.

Un autre analyste de Forrester, Duncan Jones, avance d'autres arguments. D'une part, il souligne que le procès Rimini Street peut avoir une autre issue que l'affaire TomorrowNow. D'autre part, il note que, pour SAP, les effets négatifs ont davantage pesé sur les actionnaires que sur les clients. Duncan Jones considère que la concurrence se maintient sur le marché croissant des services de support indépendants des éditeurs. « Il faut que les principaux acteurs IT continuent à se concurrencer autant que possible, à la fois en termes d'innovation technologique et sur un plan commercial ».

Illustration : de gauche à droite, David Bradshaw, analyste chez IDC, Paul Hamerman et Duncan Jones, respectivement vice-président et analyste chez Forrester.