27 ans après avoir posé les fondations du World wide web, le scientifique britannique Tim Berners-Lee n’est pas vraiment satisfait de ce qu’Internet est devenu. La semaine dernière, il a participé au premier « Decentralized Web Summit » (8 et 9 juin à San Francisco) pour évoquer une nouvelle phase du web, aux côtés de Brewster Kahle, du MIT, et Vint Cerf, aujourd'hui chief Internet evangelist chez Google. Rassemblés dans les locaux de l’organisation Internet Archive, fondé par Brewster Kahle, cette fine fleur scientifique ayant contribué à la création et au développement du réseau mondial s’est donc interrogée sur ce qu’il en adviendrait s’ils pouvaient mettre à profit certaines technologies déjà connues, de type peer-to-peer (partage de musique) ou blockchain (gestion des transactions de la monnaie virtuelle bitcoin), pour parvenir à établir un web plus décentralisé, plus fiable, offrant un degré de permanence plus élevé, respectant davantage la vie privée et prêtant moins le flanc à la surveillance, rapporte le quotidien américain New York Times.

Sur l’actuel web, les internautes communiquent leurs données pour obtenir en contrepartie gratuitement différentes choses, a pointé Tim Berners-Lee. « Mais c’est un mythe » de penser que tout le monde en est content et que c’est optimal, a-t-il indiqué lors de son intervention. « Cela contrôle ce que les gens voient, crée des mécanismes sur la façon d’interagir », a-t-il rappelé. Pour lui, l’espionnage, le blocage de sites ou encore la réutilisation des contenus dirigeant vers d’autres sites, tout cela discrédite complètement l’esprit de départ consistant à aider les gens à créer. Sans compter les gouvernements et entreprises qui exercent eux-mêmes un contrôle sur le web.

S'extraire de la domination exercée par quelques grands acteurs

Les informaticiens et scientifiques rassemblés sur le « Decentralized Web Summit » se sont interrogés, par exemple, sur l’utilisation d’une technologie de grand livre distribué pour permettre à un musicien de vendre ses disques sans l’intermédiaire de sites comme iTunes d’Apple. Des sites de contenus pourraient recourir à un système de micro-paiement pour la lecture de leurs articles plutôt que de dépendre d’un modèle économique reposant sur la publicité, devenu pour beaucoup trop de monde le seul modèle sur le web, regrette Tim Berners-Lee. Et les internautes acceptent les conditions marketing qu’on leur impose en échange de la gratuité, « même s’ils sont horrifiés de ce qui arrive à leurs données ». Avec ses pairs, le scientifique s'est aussi interrogé sur la façon dont les pages web pourraient être distribuées sans le contrôle d'un serveur web et sur les modes de stockage des données que l'on pourrait constituer sans devoir payer des redevances aux fournisseurs de stockage en ligne.

Bien sûr, par nature, « le web est déjà décentralisé », souligne l’inventeur du World wide web. Le problème se situe dans la domination exercée par un seul moteur de recherche, un grand réseau social ou un grand outil de microblogging. Pour Tim Berners-Lee, il ne s’agit donc pas d’un problème technologique, mais d’un problème de société. La semaine dernière, à San Francisco, les zélateurs de protocoles peer-to-peer (IPFS, WebTorrent, BitTorrent…) et des start-ups gravitant autour de Blockchain et des grands livres distribués (Ethereum, BigChainDB, Blockstack, Interledger ou Mediachain…) ont présenté leurs points de vue et solutions. Sur l’événement sont également intervenus Mitchell Baker, chef de file du projet Mozilla et Corry Doctorow, conseiller de l’association Electronic Frontier Foundation