Pourquoi les nouvelles versions des distributions Linux se succèdent-elles à ce rythme effréné, sans aucune concertation ? Pourquoi les développeurs de l'Open Source persistent-ils à croire que leur code est bon à partir du moment où il est plus rapide, plus efficace, mais pas utilisable par le commun des mortels ? En cette seconde journée de l'Open World Forum, Mark Shuttleworth aura amené le public à se poser ces questions, à prendre du recul. Le patron et fondateur de Canonical, à l'origine de la très populaire distribution Ubuntu, a en effet estimé que le monde Linux devrait prendre un moment pour réfléchir à trois notions essentielles sur lesquels de gros progrès restent à accomplir : la fréquence des sorties de produit, la gestion de la qualité et l'ergonomie. Mark Shutleworth a d'abord pointé le fait que l'Open Source suit un cycle de sorties de produit directement calqué sur celui des logiciels commerciaux. Or, a-t-il souligné, "dans le domaine commercial, tout tourne autour des nouvelles fonctionnalités à ajouter, alors que dans l'Open Source, tout tourne autour de l'innovation..." Il ne remet évidemment pas en cause le fait qu'il y ait une cadence importante, et prévisible, de nouvelles versions, c'est "ce qui maintient une communauté en bonne santé", et "ce qui aide à hiérarchiser les priorités". En outre, cela procure à chaque fois une certaine publicité. Mais le fait que chacun dans ce domaine produise des mises à jour à ce rythme empêche toute vue d'ensemble, a-t-il fait valoir. Pour lui, "ce niveau de fragmentation" est préjudiciable à l'Open Source, dans la mesure où seuls des efforts concertés permettraient de régler les problèmes techniques qui séparent encore le monde Linux du grand public. Mark Shuttleworth propose donc que les grands projets (distributions, noyau, systèmes graphiques, etc. mais aussi outils de développement, frameworks...) se calent sur des méta-cycles coordonnés, avec des versions majeures, stables, plus simples à tester et à promouvoir auprès du grand public et des professionnels. Ces méta-cycles seraient "de 2 ou 3 ans", sachant que les fabricants de matériels plaident pour des cycles les plus courts possibles, et les intégrateurs (qui déploient les solutions), pour des cycles relativement longs. Chez Ubuntu, les versions majeures, dites LTS, suivent "un cycle strict de 2 ans". Qualité et design peuvent aussi être améliorés, selon le patron de Canonical Le patron de Canonical a également appelé les développeurs Open Source à considérer leur travail, en termes de qualité, avec un peu plus de sévérité. "C'est un point de fierté dans le monde du logiciel libre, a-t-il dit, nous estimons généralement que nos logiciels Open Source sont par nature de meilleure qualité [que le propriétaire]." De fait, la nature collaborative du développement Open Source, et l'aspect méritocratique, poussent à la production d'un code de qualité. Toutefois, a souligné Mark Shuttleworth, "nous pouvons apprendre du monde propriétaire de biens des façons". Il a ainsi mis en exergue les méthodes formelles, l'automatisation des tests et d'autres "bonnes pratiques rigoureuses" qui, une fois appliquées, "font une énorme différence". Enfin, Mark Shuttleworth a invité les développeurs et les communautés éditant du code à s'inspirer de ce qui est fait dans le monde du Web en termes d'utilisabilité. "Le logiciel libre n'est pas fait par des hackers pour des hackers, ce doit être fait par nous, pour tout le monde. Nous célébrons les logiciels les plus rapides, les plus performants, mais pas les plus excitants à utiliser !" Pour lui, il faut partir du design, comme lorsqu'il s'agit de créer un site Web : "Vous avez 15 secondes pour capter l'attention d'un utilisateur et lui donner satisfaction avant qu'il ne passe à autre chose." Pour parvenir à ce résultat, dans la mesure où "les développeurs ne sont pas très bons pour ce qui est du design", il faudrait non seulement inviter les designers à participer aux projets, mais surtout leur donner une place prééminente. "Cela demande un changement radical dans la façon dont nous dirigeons les communautés. Nous devons penser en priorité à l'utilisateur."