Ces transferts économiques toucheront la santé comme ils ont touché bien d'autres secteurs, du commerce à la presse. Pour le fondateur de Doctissimo, « il faut être pro-actif si nous ne voulons pas que la valeur s'en aille en Californie comme la valeur de Virgin Megastore est partie chez Amazon ou celle de la presse chez Google : réagir une fois qu'un acteur est puissant, c'est réagir trop tard ». La révolution touche aussi le médicament et les autres dispositifs thérapeutiques. Le numérique facilite en effet la traçabilité donc le suivi de l'efficacité. Et la justification du financement devient la règle.

Laurent Degos, professeur à l'université Paris 7 Denis Diderot, a cependant voulu dénoncer une vision purement procédurale, bureaucratique, des systèmes d'information de santé. Il reproche ainsi que les autorités évaluent des conformités à des moyens engagés et à des procédures. Il préfère une évaluation des pratiques en fonction du résultat pour le patient (mortalité, taux de handicap résiduel...). 

L'objectif devrait être de créer un parcours de soins optimisé en profitant des avancées fournies par le numérique. Le coût élevé du financement est un problème. En conséquence, certains politiques comme l'actuelle ministre de la santé, Marissol Touraine veulent concentrer les efforts sur certaines populations comme les personnes âgées. Bref, ce n'est pas gagné.

Une faible maturité des systèmes d'information de santé

L'HIMSS (Healthcare Information and Management Systems Society) est l'une des grandes associations mondiales, d'origine américaine, qui se consacre au sujet de la e-santé avec ses presque 50 000 membres. Jean-Pierre Thierry est le seul administrateur français de cette structure. Cette association a défini huit niveaux de maturité (de 0 à 7) des systèmes d'information hospitalier, le modèle EMRAM. Le niveau 7 est celui d'un hôpital intégralement numérique avec un véritable partage des informations. Mais le niveau 0 est le plus fréquent.

Le taux de niveaux 6 ou 7 est comparable en Europe et aux Etats-Unis mais reste bas. Il n'atteint que quelques pour-cents des établissements selon les pays. Les Etats-Unis investissent largement dans le domaine et devraient donc largement progresser sur cette échelle dans les années à venir selon Jean-Pierre Thierry. En France, seuls les centres hospitaliers de Belfort-Montbéliard et de Valenciennes atteignent le niveau 6 mais l'enquête de classification n'est pas achevée dans notre pays. Les hôpitaux de Douai ou d'Arras, notamment, sont réputés pour leur avance.

Un problème d'usage et d'investissement, pas un problème technique

Le problème n'est pourtant pas technique. « Il existe des outils qui permettent déjà aux hôpitaux de traiter et d'échanger les données de santé, y compris les médecins de ville » remarque René Caillet, responsable du Pôle Organisation Sanitaire et Médico-Social de la Fédération Hospitalière de France. La question reste donc d'une part l'usage d'autre part la normalisation des échanges et l'investissement en outils effectivement déployés. Le DMP (dossier médical personnel/partagé) n'est pas encore sauvé. Selon René Caillet, il manquerait 1 milliard d'euros d'investissement dans le système d'information des hôpitaux français. Gérard Domas, président d'Interop'Santé, a notamment dénoncé les manquements en infrastructures : des réseaux capables d'absorber les échanges de données en fort volume, des postes de travail modernes pour les médecins... 

Certains rêves sont absurdes : centraliser au niveau national de forts volumes de données à charger et à consulter n'a simplement aucun sens devant les débits disponibles sur les réseaux télécoms. Localiser les informations au plus près du patient est une nécessité. Mais les maîtrises d'ouvrage et les maîtrises d'oeuvre ne sont pas toujours à la fête face aux lobbies tant internes aux hôpitaux (médecins...) qu'externes (laboratoires, patients...) dans des contextes politiques et budgétaires souvent tendus et passionnels. 

Bref, le manque de gouvernance récurrent depuis des années continue de pénaliser le développement des systèmes d'information de santé.