Tout est bien qui finit bien. Ce proverbe fait foi pour Amazon, qui vient de se sortir une belle épine du pied en évitant une sanction financière représentant jusqu'à 10 % de son chiffre d'affaires mondial. Ce 20 décembre, la Commission européenne (CE) a accepté les engagements offerts par Amazon pour répondre aux préoccupations de Bruxelles en matière de pratiques jugées anti-concurrentielles. La décision prise par l’institution européenne vient redistribuer les cartes et ce n’est plus Amazon qui impose ses règles en Europe. Pour rappel, depuis 2019, la firme est sous étroite surveillance de l’UE et plusieurs enquêtes ont été lancées.

Plus tôt dans l’année, le géant du e-commerce a fait certains efforts concernant sa marketplace. Un certain nombre de vendeurs ont alors pu émettre leurs avis et, en ce sens, la Commission européenne a demandé à la firme d’améliorer ses engagements. « Amazon a alors proposé des remèdes améliorés. La décision d'aujourd'hui les rend contraignantes pour Amazon » annonce Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive à la Commission européenne, et en charge de la stratégie « Une Europe adaptée à l'ère numérique et à la concurrence ».

Des enquêtes antitrust ouvertes depuis 2019

La première enquête, lancée en juillet 2019, concernait la récupération de données sensibles auprès des vendeurs de la marketplace d'Amazon. Margrethe Vestager, pointe du doigt « l'utilisation du big data et le double rôle d'Amazon en tant que place de marché et concurrent des vendeurs actifs sur sa place de marché ».  Sous couvert de sa marketplace, Amazon récupère de nombreuses informations à partir des données commerciales sensibles de 800 000 vendeurs actifs dans l'UE. La firme utilise ensuite ces données pour prendre des décisions commerciales dans ses opérations de vente au détail. Les craintes de l’UE portaient dont sur la capacité d’Amazon à prendre moins de risques que les détaillants concurrents actifs sur sa plateforme, ces derniers n’ayant pas accès à ces données. La conclusion préliminaire de l’enquête était que cette utilisation des données constituait un abus de position dominante d'Amazon en tant que fournisseur de services de place de marché en France et en Allemagne.

En novembre 2020, une seconde enquête est ouverte sur le rôle des données récoltées dans la sélection des gagnants de la « Buy Box » - qui correspond aux boutons jaune « Ajouter au panier » et orange « Acheter cet article » - permettant à tout utilisateur d’acheter un produit littéralement en quelques clics. « La Buy Box représente plus de 90 % de toutes les vues des offres sur Amazon et la même part élevée de toutes les transactions. Il est donc très important pour les vendeurs d'avoir un accès impartial à cette boîte. Mais nous craignions que l'accès à la boîte ne favorise les opérations de vente au détail d'Amazon » rappelle Margrethe Vestager. Le programme Prime d’Amazon était également dans le viseur de Bruxelles. Ce service premium offre divers avantages – livraison accélérée et gratuite, accès au service de streaming, de musique, de gaming, et bien d’autres – moyennant des frais annuels de 69,90 euros. Le service s’est rapidement démocratisé et représente aujourd’hui le groupe de consommateurs le plus dépensier et le plus fidèle sur le marché Amazon. Le risque était donc que la firme ne favorise ses propres opérations de vente au détail et de logistique à travers ce service Prime.

Des engagements forts pour éviter les sanctions

Les changements opérés portent sur l’utilisation des données, les conditions d'accès à la Buy Box et les conditions d'accès au programme Prime. Sur la question des données, Amazon s'abstiendra d'utiliser les données non publiques des vendeurs au profit de ses opérations de vente au détail. Cet engagement s'applique à la fois aux employés d'Amazon et aux outils algorithmiques qui déterminent en grande partie ses décisions commerciales. Les données collectées jusqu’alors incluaient les ventes, les revenus, les expéditions, les prix des transactions, les performances ou les visites des consommateurs. Concernant Buy Box, « Amazon appliquera des conditions et des critères non discriminatoires pour la sélection des offres » devant figurer dans cette boîte d’achat. 

De plus, elle s'engage à afficher une seconde Buy Box, qui apparaîtra lorsqu'il y aura une deuxième offre différente de la première sur le prix ou la livraison. « Comme Amazon ne peut pas remplir les deux boîtes d'achat avec ses propres offres de vente au détail, cela donnera plus de visibilité aux vendeurs indépendants » ajoute la vice-présidente exécutive à la CE. Enfin, une série de modifications est apportée au service Prime avec des conditions non discriminatoires pour les vendeurs. Les données des abonnés Prime ne seront pas ailleurs plus utilisées, afin d’écarter toute possibilité de favoritisme des services logistiques d’Amazon.

Une mise en conformité d’ici juin 2023

La Commission européenne précise qu’elle surveillera de près la conformité du géant du e-commerce à tous les aspects du paquet, notamment par à un mécanisme de plainte et un mandataire de surveillance. Le mécanisme de plainte sera ouvert aux vendeurs et aux transporteurs pour signaler toute suspicion de non-conformité. Concernant la deuxième boîte d’achat, dite Buy Box, elle ajoute que les performances de cette dernière seront surveillées, et demandera des ajustements de présentation le cas échéant. « La présentation de la deuxième Buy Box est importante pour attirer l'attention des consommateurs vers une plus grande variété d'offres ». 

« Bien que nous continuions à être en désaccord avec plusieurs des conclusions préliminaires de la Commission européenne, nous nous sommes engagés de manière constructive pour nous assurer que nous pouvons continuer à servir les clients à travers l'Europe », a déclaré un porte-parole d'Amazon. La Commission a déclaré que les engagements définitifs d'Amazon resteront en vigueur pendant sept ans en ce qui concerne Prime et l'affichage de la deuxième offre concurrente Buy Box, et cinq ans pour les parties restantes des engagements. La façon dont Amazon opère en Europe risque donc de changer considérablement à l’avenir au profit des clients, des vendeurs et des transporteurs. La firme a six mois pour mettre en œuvre ces engagements, soit d’ici juin 2023. Dans le cas contraire, la menace d’une amende pouvant aller jusqu'à 10 % de son chiffre d'affaires annuel total plane toujours.