« Avec Altran, nous partageons une culture d’ingénieurs de haut niveau et nous avons des modèles opérationnels très semblables », a exposé ce matin Paul Hermelin, PDG de Capgemini, lors de la conférence de presse suivant l'annonce de l’OPA amicale faite sur Altran, hier soir. Cette acquisition, très bien accueillie par les investisseurs à en juger par la réaction du cours de bourse des deux groupes, va créer un géant français pesant 17 milliards d’euros de chiffre d’affaires et comptant plus de 250 000 collaborateurs. Ces deux acteurs de 1er plan au niveau mondial, le premier dans le conseil et les services informatiques, le second dans les services d’ingénierie et de R&D, sont très complémentaires car chacun d’eux n’intervient que sur un petit périmètre dans les domaines maîtrisés par l’autre. Le futur groupe disposera notamment d’une forte expertise dans les technologies 5G, dans l’Internet des objets et en intelligence artificielle.

L’accord signé valorise l’action Altran à 14 €, soit un bonus de 33% par rapport à la moyenne des cours sur 3 mois. La transaction de 3,6 Md€ s'effectuera en numéraire. En y ajoutant la dette de 1,4 Md€, le montant total de l’opération s’élève à 5 Md€. L’objectif crucial visé par Capgemini avec ce rachat, c’est d’accompagner les industriels dans leur transformation numérique. « Nous avons essayé de croître dans le monde du digital, nous cherchions des relais d’amplification dans ces champs. Là, il s’agit de créer un groupe encore plus fort ». Une nouvelle bataille s’annonce que Capgemini veut mener « en tant que pionnier, acteur majeur dans les processus des industries intelligentes qui vont être beaucoup plus importantes que ce que l’on avait dit jusque-là ».

Une offre préparée « dans une incroyable entente »

Le PDG de Capgemini l’affirme, cette offre d’acquisition a été préparée « dans une incroyable entente » avec toutes les parties prenantes, conseils d’administration respectifs et dirigeants, dont les deux délégués généraux qui l’épaulent dans le cadre d’une succession managériale planifiée. Paul Hermelin et Dominique Cerutti, PDG d’Altran depuis mi 2015, se connaissent et se rencontrent régulièrement depuis des années, voire des décennies. « La transaction a été initiée par des discussions longues avec Dominique », a relaté Paul Hermelin ce matin. Il décrit « une opération de synergie, un peu en coûts, beaucoup en revenus. Nous ne sommes pas sur des redondances, nous ne créons pas des synergies en supprimant des doublons ». La transaction va être financée par Capgemini avec 1 Md€ sur sa propre trésorerie et le reste avec des éléments financiers. Il s’agit aujourd’hui d’une acquisition de principe qui doit être soumis aux comités d’entreprise et, comme dans toute OPA, le groupe de Paul Hermelin n’est pas à l’abri d’une surenchère venant d’un concurrent. Dans le Top 3 des SSII françaises, les 2ème et 3ème places sont occupées par Atos et Sopra Steria.

Capgemini se dit en avance de phase dans la transformation digitale des entreprises industrielles qui repose sur quatre piliers : le software engineering, le product engineering, la gestion du manufacturing et des actifs et la supply chain. Sur l’ingénierie logicielle, où Capgemini est moins engagé, sur le logiciel embarqué, la 5G, etc. « Altran bénéficie à plein de l’acquisition d’Aricent l’année dernière », a rappelé ce matin Paul Hermelin. La société dirigée par Dominique Cerutti avait alors mis 1,7 Md€ sur la table pour acquérir cette société créée en Inde et établie en Californie, spécialisée dans la conception et les services d’ingénierie.

L'IT et l'OT, deux secteurs qui se fertilisent l'un l'autre

Sur le 3ème pilier, la gestion du manufacturing et des actifs, Capgemini a commencé à s’engager, par exemple dans le nucléaire où le groupe travaille activement. Altran lui amène des processus industriels beaucoup plus denses. Les deux groupes évoluent dans des univers technologiques, l’IT et l’OT (operational technology) qui se fertilisent l’un l’autre, souligne Paul Hermelin. Capgemini a une importante présence dans l’IT et une moindre dans l’OT où Altran s’est bâti une forte présence au niveau mondial. Lorsque l’on veut travailler dans le digital, on vend aux métiers, alors que Capgemini, depuis 50 ans, travaille surtout avec l’environnement informatique, reconnait son PDG. « Altran nous amène vers les acteurs de la production », expose-t-il. « Nous avions commencé, nous allons bénéficier d’une incroyable accélération, par exemple sur la voiture autonome ». Capgemini travaille autour du système connecté quand Altran y est en plein coeur.

Capgemini a réalisé en 2018 un chiffre d'affaires de 13,197 Md€ et réunit 211 000 collaborateurs dans le monde. Avec l'apport d'Altran (2,9 Md€ en 2018), le groupe atteindra 16,113 Md€ et 258 000 personnes. Les deux entreprises réalisent la même marge opérationnelle : 12,1%. (Source Capgemini/Crédit photo : LMI)

De son côté, Dominique Cerutti, PDG d’Altran, a expliqué ce matin que les services d’ingénierie et de R&D se caractérisaient par une grande concentration des clients. « Nous sommes les plus gros, assez critiques, nous travaillons sur la partie que les clients dépensent en dehors de leur R&D et rien ne croit aussi rapidement sur la planète aujourd’hui », a-t-il rappelé. « Chaque année qui passe, les clients dépensent de plus en plus à l’extérieur ». Sur ces marchés, les clients sont très matures. Des industries comme le logiciel et les semi-conducteurs avancent très rapidement, avec une croissance supérieure à 12%, de même que l’automobile, les sciences de la vie et les communications de prochaine génération. Altran est leader dans ces secteurs, a souligné son PDG. D’un point de vue géographique, l’Europe croit entre 4 et 6%, la région Amériques où Altran est très présent, de 8 à 10%. En Asie, le groupe n’a encore posé « qu’un pied timide ».

L'inexorable externalisation de la R&D

Ce qui pousse les clients vers l’externalisation de leur R&D, c’est l’avalanche de technologies disruptives qu’ils n’arrivent pas à traiter. Ils doivent raccourcir les délais de mise sur le marché de leurs offres et « fait notable, il y a un gap entre là où sont les gens et là où sont les talents », pointe Dominique Cerutti qui explique qu’Altran est centré sur le nearshore. « Les clients ont désormais de plus en plus de maturité sur la manière dont ils sourcent leurs ingénieurs », constate le PDG. Le groupe d’ingénierie qu’il dirige opère avec 3 modèles de services complémentaires. Son activité historique emploie 26 000 ingénieurs dans 30 pays, dans toutes les industries. L’une des forces d’Altran est d’avoir bâti une expertise multi-industrielle. Ces 3 ou 4 dernières années, le groupe français a développé des services à haute valeur pour les clients qui n’arrivent pas à déployer leurs innovations à l’échelle sur la 5G, l’analytique, l’intelligence artificielle, le manufacturing avancé… Ce que les clients recherchent, c’est un avantage distinctif pour eux au niveau mondial, explique Dominique Cerutti en citant l’exemple, dans l’automobile, de châssis en impression métallique 3D. « Ils veulent une expertise extrêmement poussée ». Cela représente aujourd’hui pour le groupe une activité de 500 M€ en forte croissance.

Le 3ème modèle d’Altran porte sur les services industrialisés de transformation et d’outsourcing et l’automatisation d’un vivier de ressources mondial. « Le but est d’accéder à des talents sur plusieurs régions », en Inde, au Maroc, au Mexique, au Portugal, en Europe de l’est, etc. En tout, 18 000 ingénieurs opèrent dans ce domaine. L’effectif total d’Altran réunit 47 000 personnes, constitué « à 90% d’ingénieurs et de scientifiques », insiste Dominique Cerutti.

Des synergies importantes sur les offres conjuguées

De son côté, Capgemini réunit 54 000 personnes dans les services d'ingénierie et de R&D, dont 21 000 dans des centres industriels mondiaux. « Un front se déploie à grande vitesse sur l’externalisation par les entreprises dans le monde du software, de l’Internet… et de nouveaux acteurs ont émergé à côté de la concurrence classique des Infosys, Wipro, HCL, etc. », a repris à son tour Paul Hermelin. « Nous allons nous déployer demain dans ce domaine extrêmement dynamique », avec une croissance attendue de 52% dans le manufacturing et de 100% dans les télécommunications.

Des synergies importantes sont attendues dans la capacité à faire des offres conjuguées entre les deux groupes. « Il y aura tout de même des synergies de coûts, mais sur les structures », a précisé Paul Hermelin en énumérant la gestion des immeubles, les achats regroupés, les économies dans le back-office. Pour finaliser ce rachat, il faudra attendre la fin de l’année. En attendant, les deux groupes peuvent se parler mais pas contacter leurs équipes commerciales. « L’intégration opérationnelle commencera à la mi-2020 », a indiqué Paul Hermelin. Elle devrait être effective six mois plus tard. La mi-2020, c’est aussi la date prévue pour la succession de Paul Hermelin qui prendra à ce moment-là la présidence du groupe Capgemini. La transition se prépare avec la nomination en octobre 2017 de Thierry Delaporte et Aiman Ezzat en qualité de directeurs généraux délégués. En tant que mandataires sociaux, le 1er est chargé, au sein de la direction générale, de la transformation du groupe, et le 2ème de gestion de la performance. Jusqu’à mi 2020, Paul Hermelin reste PDG. « Le CEO de Capgemini, c’est moi, ce n’est pas un sujet », a-t-il répondu à une question sur la gouvernance après le rachat d’Altran. « Sur la gouvernance, c’est très clair, c’est Capgemini qui achète et qui s’endette ». Le groupe de services IT a déjà signé un accord définitif pour acquérir un bloc de 11% du capital d’Altran auprès d’Apax Partners.

Enfin, après le rachat, la marque Altran va-t-elle perdurer ? « Ce n’est pas dans notre habitude de détruire de la valeur », nous a répondu Paul Hermelin. Pour lui, la vraie question est « qu’est-ce que cela veut dire pour les clients. C’est lorsque nous parlerons avec les clients que nous le saurons ».