Il n’y a pas que dans les fast-foods que le service doit être rapide. Les restaurants d’entreprises doivent aussi faire en sorte de fluidifier le passage de leurs clients de leur arrivée à leur installation à table pour déjeuner. Et bien souvent, c’est à la caisse que ça bouchonne. Et plus l’attente est longue, moins les convives sont enclins à revenir. C’est dans l'optique d’accélérer l’encaissement que Compass Group a lancé des réflexions il y a maintenant trois ans, à l’arrivée de l’actuel DSI de ce groupe spécialisé dans la restauration sous contrat, Olivier Malvezin.

Adressant les entreprises, administrations, ainsi que des secteurs verticaux comme l’éducation, la santé ou l’événementiel - en fournissant la restauration de l’AccorHotel Arena et celle du Puy du Fou par exemple – Compass Group est présent dans une cinquantaine de pays. Dès les premières réflexions pour transformer l’expérience dans les restaurants de ses clients, l’utilisation de la reconnaissance d’image pour faciliter le processus de paiement apparaît comme une évidence. « J’avais autour de moi un écosystème qui m'avait permis d'apprécier que cette technologie était à un niveau de maturité important », explique Olivier Malvezin. « Je me suis donc appuyé sur mon réseau pour aller chercher les pépites dans le domaine. »

Premier POC en décembre 2016

Les équipes du DSI ont donc fait un état de l’art en la matière. En dehors des grands du domaine (Microsoft, Google), Compass Group a regardé du côté des start-ups françaises Deepomatic et Regaind. « Nous avons considéré que c’était stratégique de choisir une structure à taille humaine et qui ne vendait pas une plateforme mais plutôt un service pour développer la reconnaissance visuelle et faciliter l’apprentissage », ajoute le DSI pour justifier le choix de la technologie de Deepomatic. Le but étant de développer une borne de paiement qui reconnaîtrait automatiquement les plats que le visiteur a sur son plateau et de l’inviter à régler via un paiement sans contact.

Environ 80 bornes de ce type sont déployées aujourd'hui dans une vingtaine de restaurants d'entreprises clients de Compass. (Crédit : Compass Group)

Un premier POC est ainsi réalisé entre décembre 2016 et mars 2017. Les algorithmes sont entraînés à partir d’images de plateaux repas sur une gamme limitée de la totalité de l’offre de Compass, mais avec un taux de fiabilité déjà important. « Nous visons un taux de 99%, et à l’issue du POC, nous étions déjà à 93% avec la technologie de Deepomatic », expose M. Malvezin. La reconnaissance visuelle était un enjeu majeur mais loin d’être le seul pour le groupe. L’objectif était d’avoir une solution qui s’adapte aux différents contextes de ses restaurants : l’encaissement n’est pas le même partout, pas plus que le parcours des convives. Une fois le POC effectué, un cas d’usage en interne a donc été développé jusque mi-2017. Il s’appuyait sur trois points : la technologie Deepomatic, un système d’encaissement et une solution de paiement pour les clients déployable de manière industrielle. Le processus de reconnaissance des images a été pensé de manière à être effectué en local mais la connaissance engrangée par une borne est réutilisable dans les autres restaurants.

Compass à l'interface, Deepomatic sur l'IA, Nutanix à la gestion des flux

Pour gérer les flux de données de ces bornes connectées, Compass Group a aussi fait appel à d’autres fournisseurs. Le groupe est intégrateur de la solution et a développé sa propre interface homme/machine. Deepomatic a développé les réseaux de neurones (basés sur leur plateforme pour l’apprentissage, sur le framework Caffe dans un premier temps et aujourd’hui sur Tensorflow). Les pipelines ont été développés à l’aide du Xi IoT de Nutanix, qui le présentait en bêta en novembre dernier, avec Compass Group et Deepomatic comme cas d’usage. Toute l’acquisition de données, son traitement, l’accélération GPU et le modèle de gestion IA sont ainsi installés sur les bornes avec les caméras qui détectent le contenu des plateaux repas.

(Crédit : Compass Group)

Les données récoltées sont stockées en partie dans le cloud d’un fournisseur dont M. Malvezin n’a pas souhaité communiquer le nom. En accord avec le RGPD, ces images se trouvent dans des datacenters européens. De plus, les éléments extérieurs aux produits présents sur le plateau du convive sont floutés pour ne pas conserver de données personnelles qui pourraient y être présentes.

Les premiers retours sont très positifs

Un second pilote a démarré en avril 2018 avec la totalité des technologies nécessaires et le déploiement a commencé en septembre dernier. Aujourd’hui une vingtaine de restaurants sont équipés (environ 80 bornes) et Olivier Malvezin prévoit qu’une centaine de bornes seront opérationnelles d’ici fin 2019. Les clients principaux de cette solution sont des restaurants inter-entreprises et du CAC 40 soit récents, soit qui ont des enjeux de fluidité à régler. La technologie de Deepomatic peut aujourd’hui reconnaître les 10 000 produits et 6 000 recettes proposés dans tous les restaurants de Compass Group. Ceci même si les plats sont présentés différemment dans les assiettes, ce qui rend la société confiante pour déployer ces bornes dans d’autres pays où les recettes varient.

Pas de pavé numérique pour entrer son digicode ou de solutions pour accepter espèces ou chèques, Compass Group a choisit de parier sur le paiement sans contact uniquement pour sa Borne Express. (Crédit : Compass Group)

Les premiers retours sont très positifs. Les restaurants ont pu installer davantage de bornes de paiement qu’il n'y avait de postes de caisse avant, fluidifiant logiquement le temps resté au niveau de l’espace de self-service. L’encaissement se fait en moins de dix secondes en moyenne. Et une enquête menée dans les restaurants équipés a montré que 92% des convives se déclaraient très satisfaits du concept. Cependant, l’un des principaux freins tient au mode de paiement. Compass a pris le pari de ne proposer qu’une solution de paiement sans contact avec un badge d’entreprise ou par carte bancaire. Mais si le compte du convive n’est pas suffisamment approvisionné, ou que quelqu’un vient de l’extérieur sans avoir de carte bleue sans contact, le paiement est impossible. Pas de pavé numérique pour entrer son digicode, et la borne ne prend pas les chèques, espèces ou tickets restaurants. M. Malvezin essaie de justifier ce choix par le fait que « tous les modes de paiement vont se dématérialiser, on le voit dans d’autres pays, et il faut que le processus reste simple et rapide à réaliser ».

Prochaine étape : s'affranchir des bornes

En plus de reconnaître des recettes venues d’autres pays, Compass Group va devoir maintenant développer des systèmes d’encaissement et de paiement différents pour exporter ces Bornes Express dans les différents pays où il est présent. D’autres pistes sont évaluées pour améliorer le système, comme l’intégration de micro-serveurs dans chaque borne pour localiser d’avantage les processus de calcul. Mais le système d’encaissement étant centralisé localement, « qu’on ajoute l’inférence pour la reconnaissance visuelle sur serveur ou sur chaque borne, c’est du pareil au même », nuance le DSI de l’entreprise. Une autre idée, qui fait son chemin, serait de s’affranchir à termes des bornes et de reconnaître directement ce que prend le client quand il se sert et de le facturer sans qu’il y ait de transaction physique (à la manière d’Amazon Go). « Ce sont des technologies qui peuvent être dans nos restaurants dans les toutes prochaines années », prédit Olivier Malvezin, qui dit étudier cette possibilité sans toutefois préciser si des solutions ont déjà été identifiées.