Scrutées de tous les côtés, les émissions de gaz à effet de serre (GES) font l'objet d'études et d'analyses d'impact depuis de nombreuses années. Dans un contexte où les industries de l'informatique et des nouvelles technologies contribuent à près de 4% de l'ensemble de ses émissions, on ne compte plus la multiplication des plans et autres programmes visant à limiter l'effet des GES. Parallèlement à cette ambition, l'Ademe, l'Arcep et les opérateurs télécoms et Internet travaillent depuis mi 2020 sur une méthodologie basée sur l'analyse du cycle de vie et des données d'impacts des équipements réseaux fixe et mobile. 

En attendant l'échéance du 1er janvier 2024 qui obligera les opérateurs télécoms et les FAI à calculer le ratio gCO2/kByte spécifique à leurs réseaux, ces derniers ont depuis le 1er janvier 2022 une obligation. A savoir fournir au grand public mais aussi aux entreprises, sur leurs factures télécoms et Internet, un chiffre rendant compte de l'équivalent des émissions de CO2 par rapport à leurs quantités de données consommées sur les réseaux. « Cet indicateur se base sur une méthodologie commune et co-construite avec les opérateurs [...] En vue des délais et de la complexité des réseaux de télécommunications à destination des professionnels, la priorité a été de développer la méthodologie pour les réseaux fixe/mobile grand public », nous a indiqué un porte-parole de l'Ademe.

Une compréhension en trompe l'oeil des émissions de Co2 ?

L'inscription de cet indicateur intervient après l'entrée en vigueur d'un décret du 21 décembre 2021 se rapportant à la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire et plus spécifiquement à son article 13. Une présence contrainte qui ne manque pas de faire réagir : « Cette obligation me surprend, le principe de fournir un indicateur est intéressant mais nous sommes plus sur un indice environnemental qu'un véritable ratio CO2 », nous a expliqué Yves-Gaël Cheny, responsable pôle hébergement chez Empreinte Digitale, co-pilote de la communauté Numérique Responsable chez ADN Ouest et contributeur au référentiel de l'INR. « L'utilisateur peut avoir le sentiment que s'il réduit sa consommation cela va réduire son impact écologique, or ce n'est pas vrai car cet indicateur ne tient pas compte de l'empreinte environnementale de leur opérateur qui fournit le service ».

Dans la méthodologie définie par l’Ademe, l’empreinte carbone de la consommation de données Internet correspond à l’ensemble des équipements constituants les réseaux de télécommunication fixes et mobile, et des box dans le cas de consommation de données via le réseau fixe. L’empreinte carbone des équipements des utilisateurs (TV, ordinateurs, tablettes, etc.) et des centres informatiques datacenter/cloud est exclue du périmètre, ce qui ne permet pas de fournir un indicateur totalement pertinent. « En se concentrant sur la partie réseau on créé un biais, car pour un même contenu vidéo par exemple, accédé depuis un mobile en 5G l'impact environnemental ressort plus important que via une Box relié à Internet, mais on ne prend pas en compte la consommation énergétique du téléviseur sans rapport avec celle d'un smartphone », poursuit Yves-Gaël Cheny.

Sensibiliser pour mieux impliquer les utilisateurs

L’empreinte carbone est calculée suivant une méthode d’évaluation environnementale basée sur l’analyse du cycle de vie. Elle prend en compte les émissions de gaz à effet de serre de chacune des étapes du cycle de vie des équipements concernés, de leur fabrication à leur fin de vie, en passant par l’utilisation. Au 1er janvier 2022, l'Ademe a estimé pour les réseaux mobiles et fixes des empreintes carbones respectives de 49,4gCo2/Go et de 4,1 kgCo2/mois par abonné. Un postulat à un calcul qui ne manque pas de faire réagir sur la toile. Voilà la "méthodologie" ademe. 2 multiplications simplistes non étayées (formule démontée x fois), une sur base de conso (accès mobile), l'autre sur base forfaitaire (accès fixe). L'évaluation est littéralement sortie du chapeau, 0 source », s'est emporté Pierre Beyssac, directeur Internet Europe de Gandi. « Les critiques négatives qui remontent sont pour la plupart infondées ou inopportunes, elles témoignent de mauvaises compréhension des travaux en cours, de l’implication des opérateurs, et des échéances 2022/2024. Il est déjà important de comprendre que les indicateurs communiqués en janvier 2022 sont temporaires et se basent sur l’analyse de cycle de vie du réseau français sans différence entre les différents réseaux des opérateurs. Les indicateurs qui seront calculés par les opérateurs et communiqués à partir de janvier 2024 se baseront sur une estimation de leur réseau », tempère le porte-parole de l'Ademe.

Inscrire sur la facture de l'utilisateur un indicateur de CO2 présentant un biais - risquant d'être mal interprété par l'utilisateur - a-t-il donc au final une véritable raison d'être ? L'Ademe le pense en tout cas : « L’objectif pour le grand public est de les sensibiliser en leur donnant un ordre de grandeur de l’impact de leur consommation à partir des données qui transitent sur le réseau, et non de prendre en compte chaque architecture réseau spécifique de service numérique qu’ils utilisent. Ils ne peuvent pas par exemple voir l’impact de leur consommation de streaming sur une plateforme spécifique, ce n’est pas l’objectif », concède le porte-parole de l'Ademe. Et Yves-Gaël Cheny d'ajouter : « Cet indice est un début de quelque chose pour essayer d'avoir une information sur l'empreinte énergétique de sa consommation de données. Il a un côté politique pour pouvoir éduquer la population et l'aider à prendre conscience de son impact énergétique mais il y a un risque de confusion entre la notion de CO2 et la quantité des données consommées dans les réseaux alors qu'il serait intéressant de déterminer l'impact par opérateur selon une approche responsable plus globale, sociale, éthique et environnementale ».