Le Conseil et le Parlement européen sont parvenus hier à un accord politique provisoire sur la législation sur les marchés numériques, le Digital Markets Act (DMA). Depuis des mois, les discussions vont bon train autour de ce texte qui forcerait plusieurs grandes plateformes à revoir leurs plans dans l’Union européenne. En décembre 2020, la Commission européenne a présenté un train de mesures comprenant un cadre réglementaire sur les services et les marchés numériques. Fin novembre 2021, le DMA ainsi qu’un autre texte, le digital services act (DSA) ont été validés par le Conseil européen. Aujourd’hui marque une étape supplémentaire vers la mise en place d’une régulation de ce secteur.

« L’Union européenne a été amenée à prononcer des amendes record ces dix dernières années contre certaines pratiques commerciales néfastes des très grands acteurs du numérique. Le DMA permettra d’interdire directement ces pratiques et créera un espace économique plus équitable et contestable pour les nouveaux acteurs et les entreprises européennes » a déclaré Cédric O, secrétaire d'État chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Il a ajouté que ces règles vont « déverrouiller les marchés numériques, renforcer la liberté de choix des consommateurs, permettre un meilleur partage de la valeur dans l’économie numérique et stimuler l’innovation ». Concrètement, cette législation vise à s'assurer qu'aucune grande plateforme en ligne qui se trouve dans une position de « contrôleur d'accès » vis-à-vis d’un grand nombre d’utilisateurs n’abuse de cette position au détriment des entreprises qui souhaitent toucher ces utilisateurs.

 Quelles plateformes sont visées ?

Le Conseil et le Parlement européen ont convenu que pour qu'une plateforme soit qualifiée de contrôleur d'accès, cette dernière doit, d’une part, dans les trois dernières années, soit réaliser un chiffre d'affaires annuel d'au moins 7,5 milliards d'euros au sein de l’Union européenne (UE), soit avoir une valorisation boursière d’au moins 75 milliards d’euros. De plus, elle doit compter au moins 45 millions d'utilisateurs finaux mensuels et au moins 10 000 utilisateurs professionnels établis dans l’UE.

D’autre part, la plateforme doit contrôler un ou plusieurs services dans au moins trois États membres de l’UE. Ces services comprennent les places de marché et les boutiques d'applications, les moteurs de recherche, les réseaux sociaux, les services cloud, de publicité, les assistants vocaux, les téléviseurs connectés et les navigateurs web. Entendons par cette longue liste que Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft sont les premiers ciblés. Les PME ne seront pas concernées par cette régulation, le DMA souhaitant réguler en priorité la place les plus gros acteurs.

WhatsApp, iMessage, Messenger bientôt interopérables ?

Les entreprises vont devoir revoir rapidement leur fonctionnement au sein de l'UE afin de s'adapter aux obligations du DMA. Désormais, les utilisateurs seront rois au détriment des plateformes elles-mêmes. Voici ce qui est convenu : 

- Assurer le droit des utilisateurs de se désabonner des services de la plateforme de base dans des conditions similaires à l’abonnement.

- Ne pas imposer leurs logiciels - navigateur web par exemple - par défaut à l’installation du système d'exploitation à l’exemple d’Apple qui impose Safari comme navigateur par défaut.

- Assurer l’interopérabilité des fonctionnalités de base de leurs services de messagerie instantanée. Sur ce point, sont notamment visés WhatsApp, Facebook Messenger, ou encore iMessage. Ces dernières devraient donc permettre à d'autres services de messagerie, plus petits, de s'interconnecter avec leurs services. Sur ce point, le Conseil et le Parlement européen doivent encore s'accorder au vu de la complexité de la tâche. Les messageries de Meta sont elles-mêmes incapables d'être interopérables à ce jour.

- Permettre aux développeurs d’applications d’accéder dans des conditions équitables aux fonctionnalités auxiliaires des smartphones (puce NFC, par exemple).

- Donner aux vendeurs l’accès à leurs données de performance marketing ou publicitaire sur la plateforme. Amazon et Facebook devront ainsi être transparents vis-à-vis de leurs utilisateurs professionnels.

- Informer la Commission européenne des acquisitions et fusions qu’ils réalisent.

Une liste d'interdictions

Le DMA prévoit également une liste d'interdictions qui touche au monopole des plateformes, à leur réutilisation des données ou encore aux pressions qu'elles exercent sur certains utilisateurs professionnels. Par ces points, l'UE entend marquer le coup.

- Classer leurs propres produits ou services de manière plus favorable que ceux des autres acteurs du marché (auto-préférence). Cela cible notamment le quasi-monopole d’Amazon sur sa plateforme d’e-commerce.

- Réutiliser les données personnelles collectées lors d'une prestation pour les besoins d'une autre prestation.

- Établir des conditions déloyales pour les utilisateurs professionnels.

- Préinstaller certaines applications logicielles.

- Imposer aux développeurs d’application l’utilisation de certains services (système de paiement ou fournisseur d’identité par exemple) pour être référencés dans les magasins d’application.

Des sanctions fortes prévues

Si l’une de ces plateformes, dite contrôleur d’accès, enfreint les règles fixées par la législation, il risque une amende pouvant aller jusqu'à 10 % de son chiffre d'affaires mondial total. En cas de récidive, une amende pouvant aller jusqu’à 20 % du chiffre d’affaires mondial pourra lui être imposée. Si l’entreprise ne se soumet pas à cette loi - enfreignant les règles au moins 3 fois en 8 ans - la Commission européenne peut ouvrir une enquête de marché et, « si nécessaire, imposer des mesures correctives comportementales ou structurelles ». Ces nouvelles amendes sont bien plus impressionnantes que celles émises jusqu’à présent à l’encontre de Google, Facebook ou Amazon. A noter que les États membres pourront habiliter les autorités nationales de concurrence à ouvrir des enquêtes sur d'éventuelles infractions et à transmettre leurs conclusions à la Commission européenne.

Une application d’ici fin 2022

« Le DSA et le DMA seront les deux piliers d’une régulation du numérique qui respecte les valeurs et le modèle européens, et définiront un cadre adapté à l’empreinte économique et démocratique des géants du numérique » précise le secrétariat d’Etat au numérique dans un communiqué. L'accord provisoire intervenu hier doit être approuvé par le Conseil et le Parlement européen. Le règlement doit être mis en œuvre dans un délai de 6 mois après son entrée en vigueur et sa publication au Journal officiel. Du côté du Conseil, la présidence entend soumettre l'accord au Comité des représentants permanents (Coreper) pour approbation prochainement. L’application du DMA reste en tout cas un moment phare dans l’histoire pour les Gafam et signe « la fin du far west ».