Jim Hagemann Snabe, co-CEO de l'éditeur de logiciels SAP depuis février 2010, a répondu librement à quelques questions lors d'une entrevue avec des journalistes, jeudi dernier à Paris. L'entretien s'est tenu en amont d'une rencontre avec des DSI français sur le thème de la transformation des grandes organisations mondiales. Au gré des thèmes abordés, le dirigeant a décrit le rôle clé joué par les technologies de l'information dans le développement des entreprises, et plus largement dans la société tout entière, en mettant l'accent sur la nécessité d'innover.

La valeur des acteurs IT a crû de façon significative en 10 ans, a d'abord rappelé Jim Hagemann Snabe. Ils pèsent actuellement 42% des 10 premières capitalisations boursières contre 21% il y a dix ans. « Nous sommes en face d'une numérisation généralisée et, quel que soit le secteur d'activité, l'IT et en particulier le logiciel vont jouer un rôle important. Chaque entreprise doit devenir technologique, pas seulement pour fonctionner plus efficacement, mais aussi pour innover sur son modèle économique, sur ses produits et sur ses services », a souligné le co-CEO danois, qui quittera son poste en 2014, laissant les commandes du groupe SAP au co-CEO américain Bill McDermott (*).

Deux agendas sur le bureau des DSI

Au-delà des DSI/CIO, les dirigeants d'entreprise eux-mêmes doivent se tourner vers la technologie, a pointé Jim Hagemann Snabe, en évoquant la conclusion d'un récent sommet à New York au cours duquel SAP avait réuni 40 CEO (chief executive officers). Autre évolution cruciale, les données sont devenues un actif clé pour les entreprises, « sans doute le plus important », ce qui donne aux directions IT l'opportunité d'un nouveau rôle, qui va bien au-delà de la simple gestion du SI et de la fourniture d'outils informatiques.  « Je crois aussi que les CIO vont nouer des relations plus étroites avec un nombre réduit de fournisseurs pour avoir une visibilité sur les innovations qu'ils préparent. On le voit chez SAP », a décrit le co-CEO.

Jim Hagemann Snabe voit deux agendas sur les bureaux des CIO. D'une part, ceux-ci doivent maintenir et mettre à jour le SI, en augmentant son efficacité et en réduisant le coût total de possession des ressources IT. D'autre part, ils pourront réinvestir dans l'innovation l'argent ainsi économisé, souligne le dirigeant de SAP. Ce qui permettra à l'entreprise de se différencier. Il faut donc renforcer les efforts de standardisation et de simplification sur les domaines communs à toute entreprise (« et le cloud apporte ici un moyen d'être plus efficace », pointe-t-il) afin de pouvoir s'engager dans de nouveaux domaines. « Je pense que ce fut l'un des changements les plus importants de SAP. Nous nous focalisions sur l'efficacité. Maintenant, avec nos technologies in-memory et mobile, nous permettons aussi l'innovation ».

Dans la plupart des secteurs d'activité, avec la « digitalisation » et la puissance fournie par l'information, les entreprises sont en train de transformer leurs modèles économiques. « Il y a toujours eu de l'innovation, mais à cause de la numérisation, de la pose de capteurs et des volumes de données gérés, les changements s'accélèrent et certains d'entre eux créent des ruptures avec les modes de commercialisation traditionnels. Dans les dix prochaines années, toutes les industries seront passées par de profonds changements, un peu comme ce que l'industrie de la musique a vécu », estime le co-CEO de SAP. 

Rattraper les compétences technologiques en Europe

Le problème se pose alors des compétences requises pour gérer ces nouveaux modèles. C'est pour Jim Hagemann Snabe un domaine très important pour le futur de l'Europe. « Nous ne pourrons pas être concurrentiel sur les prix, le coût de notre travail et de notre énergie étant trop élevé », rappelle le dirigeant danois. « Mais nous pouvons l'être sur la pro-activité si nous ajoutons de la technologie à ce que nous faisons. » Or, il n'y a pas assez de compétences sur le numérique en Europe, confirme-t-il. Pas assez d'ingénieurs logiciels, d'informaticiens, de spécialistes en mathématiques. « Il y a au moins 200 000 postes technologiques qui ne sont pas pourvus », pointe-t-il. « Nous nous tournons vers l'Asie et le savoir-faire qui rendrait les entreprises plus productives ne se constitue pas en Europe ». Pour contribuer à y remédier, SAP a lancé avec d'autres une initiative, baptisée Academy Cube, avec l'objectif de former des centaines de milliers de jeunes aux technologies.