« Nous ne cherchons pas à former sur les tâches automatisées. Pour répondre à l'énorme besoin d'innovation, il faut comprendre ce que la technologie peut faire et repenser les modèles économiques ». Le dirigeant cite en exemple la société danoise Bang & Olufsen dont il est membre du conseil d'administration. Ce spécialiste renommé de la HiFi haut de gamme, qui a bâti son succès sur le design, combinant aluminium et verre, a dû se réinventer à l'heure du son numérique et des baladeurs que l'on glisse dans la poche. « Ils viennent de sortir le premier haut-parleur numérique sans fil », a exposé Jim Snabe. « C'est un exemple très simple d'une entreprise qui a dû repenser ses compétences. C'est ce que nous devons faire en Europe. Mais le développement est trop rapide et le système éducatif n'est pas adapté pour y faire face. C'est pourquoi il y a ce décalage. Je pense que les entreprises doivent s'impliquer davantage pour y remédier et c'est ce que nous faisons ».

Design Thinking dans tous les domaines

Parmi les initiatives lancées par Hasso Plattner, co-fondateur de SAP et toujours président de son conseil de surveillance, figure en particulier l'institut du Design ouvert à l'Université de Stanford aux Etats-Unis et qui propose aussi des cours en ligne. Celui-ci promeut le Design Thinking, une méthodologie développée par David Kelley, fondateur de l'agence Ideo, qui met en présence des compétences multidisciplinaires pour trouver des réponses innovantes dans tous les domaines. Il permet de résoudre des problèmes avec des moyens que l'on n'aurait pas cru possible d'utiliser.

« Le Design Thinking vous force à comprendre fondamentalement le problème avant de le résoudre », nous a décrit Jim Hagemann Snabe. « Il permet une approche systématique qui débouche sur toutes sortes d'idées dont certaines peuvent déboucher sur des avancées majeures ». Le co-CEO rappelle que Hasso Plattner a répliqué cette initiative dans l'institut qu'il a créé à Berlin (HPI) et que SAP a lui-même adopté la démarche. Le groupe a aujourd'hui formé 40 000 de ses 65 000 employés au Design Thinking. « Et lorsque nous rencontrons nos clients, nous utilisons cette méthodologie pour repenser la façon dont ils peuvent opérer dans un monde numérique. Cela débouche sur de nombreux projets d'innovation ».

Le DSI doit mettre l'innovation en musique

Dans ce contexte, les DSI sont-ils toujours les premiers interlocuteurs de SAP ou celui-ci s'adresse-t-il aussi à la DG et aux directions métiers ? Pour Jim Hagemann Snabe, si SAP a réalisé 15 trimestres consécutifs de croissance à deux chiffres, c'est bien parce qu'il s'est adressé aussi aux autres directions. « Nous parlons aux directions marketing, commerciales, produits et services de la façon dont elles peuvent repenser leur modèle économique ». Mais il ajoute aussi que sans la direction informatique, cela ne pourrait pas fonctionner. Parce que c'est elle qui récupère en bout de course le résultat des décisions et qui doit gérer le quotidien, trop coûteux. Nous revoilà au point de départ.

Le DSI à sa place au comité exécutif

« Nous aidons donc la DSI à réduire les coûts pour qu'elle puisse innover. Et je pense que c'est elle qui doit diriger la démarche Design Thinking dans le futur », assure Jim Hagemann Snabe. Il voit le CIO jouer à l'avenir un rôle très différent de celui qu'il occupe en ce moment. « C'est ma vision, même s'il reste du chemin à parcourir », assure le dirigeant de SAP. « Je pense qu'il aura sa place au comité exécutif où l'on planchera constamment sur les prochaines évolutions. Les données et la numérisation constitueront des moyens clés pour le faire. Le DG en comprendra l'importance mais pas les capacités technologiques. Et c'est là que le CIO interviendra ». Ainsi donc, la DSI aura bien deux missions : d'une part, faire mieux avec moins d'argent et d'autre part, inventer de nouvelles choses, et le faire vite, que ce soit dans l'échec ou la réussite.

« Dans la culture européenne, échec signifie désastre. Alors qu'aux États-Unis, cela vous permet de vous qualifier pour la prochaine fois, puisque vous avez appris quelque chose », a explicité Jim Hagemann Snabe. On voit notamment la vitesse avec laquelle le cloud se propage outre-Atlantique, a-t-il ajouté. Dans la Silicon Valley, qui reste le premier lieu d'innovation, il est possible d'essayer n'importe quoi, sans s'inquiéter de l'échec, a rappelé le co-CEO de SAP.

Aider les start-up au lieu de les concurrencer

L'autre région où l'innovation se développe, c'est l'Asie où l'on parvient à trouver des solutions aux problèmes à coût zéro, constate Jim Hagemann Snabe. Il cite l'Inde où Tata produit la voiture Nano (vendue 2 000 dollars HT environ) et où la mobilité est disponible à prix très réduit. La problématique : un milliard de personnes et peu d'argent, résume le dirigeant danois. Il faut donc trouver des moyens totalement différents pour résoudre un même problème. « Cela va arrivera sur les marchés matures. J'espère donc que l'Europe va s'atteler à accélérer l'innovation, insérer les jeunes dans l'activité et développer ses petites entreprises. »

A ceux qui trouveraient curieux qu'un groupe de la taille de SAP s'intéresse aux petites structures, le co-CEO explique qu'elles savent mieux comment innover. « Nous devrions les aider au lieu d'entrer en concurrence avec elles. C'est la philosophie que nous appliquons avec notre approche de plateforme et nos investissements en capital risque ».

Depuis l'été 2012, SAP a effectivement lancé une grande campagne de séduction auprès des start-ups pour les inciter à développer leurs applications sur sa plateforme en mémoire HANA. Par ailleurs, SAP Ventures, le fonds de capital risque indépendant qui lui est affilié, gère 1,4 milliard de dollars investis dans une quarantaine d'entreprises technologiques dont plus d'une dizaine sont déjà sorties de son portefeuille, rachetées par une autre société ou entrées en bourse.