« Sécuriser et réguler l’espace numérique ». Telle est la devise du Gouvernement pour gérer ce qu’il nomme « le problème de notre siècle ». A l’occasion d’un point presse, Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications a dévoilé les points clés de ce projet de loi orienté numérique et présenté ce 10 mai en Conseil des Ministres. « L’insécurité numérique progresse de jour en jour et sape la confiance dans le numérique » rappelle-t-il, ajoutant que ce projet fait suite à l’initiative portée par Bruno Le Maire sur la régulation du secteur de l’influence. Pour rappel, la dernière loi portant sur le sujet - et tout simplement baptisée loi pour une République numérique - a été promulguée et publiée au Journal officiel le 8 octobre 2016 sous l'impulsion d'Axelle Lemaire, alors secrétaire d'Etat au numérique.

« Ce projet de loi s'est formé à partir de 3 affluents. D'abord les règlements européens – DSA et DMA – que la France a porté l'année dernière sous l'impulsion du président de la République pour mettre fin aux abus des géants du numérique et qui nécessitent que nous prenions des mesures d'adaptation afin qu'ils puissent correctement s'appliquer. Les travaux des parlementaires, députés comme sénateurs, constituent le deuxième affluent. Enfin les consultations menées ces derniers mois au sein du Conseil national de la refondation ont participé à la construction de ce projet de loi » détaille Jean-Noël Barrot. Cet ensemble de mesures doit ainsi instaurer « des protections nouvelles et vient protéger nos concitoyens, nos enfants, nos entreprises et notre démocratie » renchérit-il. En ce sens, le texte s’articule autour de ces quatre axes afin de « progresser dans une société numériquement plus sûre » comme l’indique le ministère.

Mettre en place un filtre anti-arnaque

S’adressant dans un premier temps à l’ensemble des Français, le premier paquet de mesures veut protéger tout utilisateur d’une arnaque quelle qu’elle soit. « 18 millions de Français ont été victimes de la cybercriminalité l'année dernière dont la moitié a perdu de l'argent au passage » rappelle Jean-Noël Barrot. Pour couper le mal à la racine, l'exécutif veut donc instaurer un filtre anti-arnaque. Toutefois, sa mise en place pourrait s’avérer compliquée. La question est de savoir à quels niveaux sera mis en place ce filtre – celui du navigateur et du DNS d’après le ministère. Ce dernier précise qu’il travaillera donc main dans la main avec les fournisseurs d’accès à internet pour inscrire les domaines malveillants, ajoutant qu’il veut « prendre son temps ».

Une peine complémentaire de bannissement pourrait également voir le jour et viserait les personnes reconnues coupables de cyberharcèlement. « L’article 5 introduit une peine complémentaire de bannissement des réseaux sociaux pour les personnes coupables de cyberharcèlement en ligne. Cette peine, prononcée par le juge peut aller jusqu'à six mois de suspension et un an en cas de récidive » précise le ministère. Enfin, l’exécutif souhaite mieux encadrer les nouveaux types de jeux en ligne fondés sur les technologies du web3 avec ce texte. « Il offrira les garanties nécessaires de protection des mineurs et de lutte contre le blanchiment tout en permettant le développement en France de ce type d'activité ».

Protéger les enfants, sanctionner les hébergeurs de sites

Le deuxième chapitre donne la priorité à la protection des enfants en ligne. « Deux mesures fortes : la première, c'est le blocage, le déréférencement et des amendes dissuasives prononcées par l'Arcom à l'encontre des sites pornographiques qui ne vérifieront pas l'âge de leurs utilisateurs ». Une procédure judiciaire est d’ailleurs en cours à ce sujet et vise cinq de ces sites. Le verdict sera rendu au mois de juillet, et le gouvernement compte beaucoup sur ce procès. « Je souhaite qu'il soit exemplaire pour l'avenir » assure Jean-Noël Barrot, ajoutant que les sites qui ne vérifient pas l'âge de leurs utilisateurs ne respectent pas la loi. Ils pourront être bloqués sous un mois et condamnés à une amende pouvant aller jusqu'à 4 % de leur chiffre d'affaires mondial.

Les réseaux sociaux sont bien évidemment concernés par cette mesure et devront mettre en place une vérification de l’âge de leurs utilisateurs. Dans le radar du gouvernement, il y a bien évidemment Twitter, vivement critiqué depuis son rachat par Elon Musk. « Si Twitter ne respecte pas cela, l’Arcom pourrait bloquer le réseau social en France » ajoute le ministère de la transition numérique. La seconde mesure pourrait quant à elle être plus dissuasive : un an d'emprisonnement et 250 000 € d'amende pour les hébergeurs qui ne retireront pas les contenus pédopornographiques qui leur sont signalés par la police et la gendarmerie en moins de 24h. Un modèle de sanction calqué sur celui qui s'applique au non retrait des contenus terroristes. Sur l’année écoulée, on compte pas moins de 74 000 demandes de retrait de contenu pédopornographiques adressés aux hébergeurs.

Entreprises et collectivités également soutenues

Les entreprises et collectivités ne sont pas en reste avec ce projet de loi. Face à un oligopole et principalement américain, l’Etat veut reprendre le dessus et empêcher (si cela est encore possible) que certains fournisseurs cloud abusent de leur position dominante et se livrent à des pratiques commerciales jugées déloyales. La première mesure porte donc sur l'interdiction des frais de transfert, l'encadrement des avoirs commerciaux et la portabilité imposée sur le marché du cloud. « Cette mesure sur le cloud permettra aux entreprises françaises de changer beaucoup plus facilement qu'aujourd'hui de fournisseurs de cloud en faisant jouer la concurrence entre eux » promet ainsi le ministre.

Dans un second temps, une base de données uniques doit être créée afin de recenser l'activité des meublés de tourisme dans le but de faciliter la régulation par les collectivités de ces activités et aider à l’application de la loi et de la limite de 120 nuitées par an. Un clin d’œil à Airbnb, souvent pointé du doigt et accusé de favoriser le tourisme au détriment des villes, de ses habitants et commerces. De nombreuses villes françaises en ont fait l’amère expérience, à l’exemple de Paris, où la crise du logement est notamment marquée. Cette mesure pourrait également refroidir certains propriétaires désireux de louer lors des Jeux Olympiques de 2024 à Paris.

Bloquer les sites visés par des sanctions internationales

Enfin, un dernier axe de ce projet de loi s’attaque à la question de la désinformation. Une mesure de mise en demeure suivie d’un blocage de sites internet diffusant des médias frappés par les sanctions internationales – à l’exemple de RT France et Sputnik – est prévue. Pour le ministère, cette disposition « porte sur la protection des citoyens dans l'environnement numérique et notamment au risque de propagation de contenus menant à des actions de propagande ». L’article 4 qui porte sur cette question vient ainsi étendre les compétences de l’Arcom afin qu’elle mette en œuvre des mesures restrictives visant les médias, notamment des interdictions de diffusion à de nouveaux opérateurs.