« Je ne voudrais pas que les Parisiennes et les Parisiens s’imaginent qu’un débat municipal se limite à la sécurité et à la propreté. Je ne dirais pas que ce n’est pas important mais il y a d’autres sujets et enjeux ». C’est ainsi que Jean-Louis Missika, adjoint chargé de l’urbanisme auprès d’Anne Hidalgo, a introduit une conférence de presse sur les propositions liées au numérique de la maire sortante de Paris. Dans la course à l’Hôtel de Ville de la capitale, Anne Hidalgo est face à cinq concurrents principaux. En tête, Rachida Dati, candidate Les Républicains (LR). Suit Agnès Buzyn pour La République en marche (LREM), introduite dans la course à une vingtaine de jours du scrutin, après l’affaire Griveaux. Autre candidat issu du parti présidentiel, Cédric Villani, qui se présente sans étiquette après son exclusion de LREM. Europe Ecologie-Les Verts (EELV) a placé David Belliard comme candidat à la Mairie de Paris, quand c’est un duo mené par Danielle Simonet qui se présente sous les couleurs de La France insoumise (LFI).

Tout comme les projets régionaux, les programmes en matière de numérique des candidats aux élections municipales de Paris, et plus généralement de la majorité des aspirants maires des grandes villes, ne sont souvent pas ou peu mis en avant. Pour preuve, sur les programmes « papier » officiels des six principaux concurrents à la Mairie de Paris, le terme « numérique » n’est pas du tout employé dans trois d’entre eux. Cela ne veut pas dire que les candidates et candidats n’ont pas des idées sur le sujet, plus ou moins précises. Et si chacune et chacun a ses idées particulières, quelques tendances ressortent de tous les programmes. L’utilisation et la protection des données des Parisiennes et Parisiens en tête, celle de l’intelligence artificielle pas loin et les problématiques d’inclusion numérique en troisième place du podium. Evidemment, selon la couleur politique de chaque concurrent, les propositions diffèrent.

L’open data et les données des parisiens

Deux préoccupations ressortent chez les candidats pour ce qui est des données. Une démarche lancée en 2010 d’ouverture des données de la Ville propose aujourd’hui 260 jeux de données, allant de la disponibilité en temps réel des stations Vélib’ aux subventions versées aux associations, etc. Une majorité de candidats entend poursuivre cette dynamique open data. Et l’ouvrir aux acteurs privés pour trois des candidats. Agnès Buzyn entend mettre à disposition toutes les données possibles avec pour seule limite le RGPD et le consentement des habitants de la capitale, tout en rappelant, via son directeur de campagne, Paul Midy, que « normalement quand on fait les choses bien, on peut anonymiser ces données ». LREM veut intégrer les partenaires privés à cette démarche open data à la manière du partenariat avec JC Decaux pour les panneaux publicitaires, en faisant en sorte que chacun s’y retrouve, Parisiens inclus.

Rachida Dati est aussi dans cette perspective d’incitation des acteurs privés à partager leurs données. De même que Cédric Villani. « La mise à disposition des ressources, données ou infrastructures, et notamment de l’espace public, au profit des acteurs privés doit s’accompagner de contreparties obligatoires. Ainsi, la ville contraindra les acteurs à transmettre certaines données et imposera que ses services, comme Vélib’, soient référencés par les plateformes », peut-on lire dans son programme.

Le partage des données de la municipalité et de ces habitants est au centre des propositions de la plupart des candidats et candidates à la Mairie de Paris. (Crédit : Syntec Numérique)

Le candidat dissident de LREM évoque aussi une charte numérique fixant les « règles permettant de concilier innovation et confiance, liberté d’entreprendre et responsabilité à Paris ». Cette idée étant aussi portée par la maire sortante. Le but étant notamment de s’assurer de la localisation du stockage des données (Anne Hidalgo a récemment inauguré un datacenter parisien) et surtout de l’encadrement de l’usage des données des habitants de la capitale. Toutes ces mesures et propositions viennent dans une logique de développement d’offres de services de « mobilités en tant que services » (terme employé par les candidats Buzyn, Villani et Hidalgo), etc.

Les plateformes numériques : guerre et paix

Point de tension entre les candidats, la régulation de l’impact des grandes plateformes que sont Airbnb, Amazon, Uber ou Lime dans le quotidien de la capitale. Anne Hidalgo en a fait sa principale proposition en matière de numérique : « renverser le rapport de force avec les plateformes » via une conférence citoyenne ou en lançant une application permettant aux citoyens de réclamer leurs données comme l’impose le RGPD, mais aussi « prévoir dans le même cadre le repartage [de ces données, Ndlr] avec la ville ». Agnès Buzyn se dit plus dans le dialogue avec ces plateformes et indique que la loi les encadre déjà (Airbnb notamment) et qu’il faut donc davantage de contrôle.

Pour Cédric Villani, il y a eu un laisser-faire qui a conduit « à une forme d’anarchie », notamment dans le développement des services de trottinettes électriques. Le candidat est donc pour une régulation de ces plateformes de la part de la ville. Ce que partagent Rachida Dati et David Belliard également. La candidate LR demande que les propriétaires s’inscrivent sur AirBnb avec leur numéro de contribuable, et propose plus des réglementations de sécurité routière pour ce qui est des trottinettes électriques. David Belliard est aussi dans des propositions aussi offensives que sa compétitrice PS, voulant imposer un seuil de 45 nuitées de location maximum par an dans les résidences principales (Anne Hidalgo offre le choix aux mairies d’arrondissement entre 30, 60 et 120 jours, Rachida Dati veut une limitation à 60 jours et 30 dans le centre de Paris).

L’intelligence artificielle : l’amie-ennemie des candidats

Les propositions de Danielle Simonnet en matière de numérique sont regroupées dans une thématique dédiée. Et pour la candidate LFI, en matière d’intelligence artificielle, il faut instaurer ce qu’elle appelle le « principe de gouvernementalité humaine ». Si elle est élue, la candidate compte instaurer un Haut conseil parisien des algorithmes, composé d’experts indépendants et de citoyens, pour auditer l’usage de ces derniers par la capitale. David Belliard croit aussi en une agence dédiée à appréhender l’utilisation de l’IA par la ville.

Mais Cédric Villani a, bien entendu, placé cette technologie comme fer de lance de son programme. Sa cinquième proposition phare est d’utiliser l’IA pour fluidifier la circulation routière, réduire les bouchons, etc. De son côté, Rachida Dati pense à un usage aussi pragmatique de l’IA, et souhaite équiper des « véhicules patrouilleurs qui circuleront dans les rues pour en contrôler l’état de propreté », détecter les zones où les déchets s’amassent pour informer les équipes de nettoyage en temps réel. De même, la candidate maire du 7e arrondissement souhaite installer des capteurs sur les mâts d’éclairage pour détecter les places de stationnement libres. David Belliard imagine aussi un système de détection des personnes qui ne profitent pas de toutes les aides auxquelles elles ont droits. Généralement, tous les candidats ont leurs idées sur l’utilisation de ces technologies pour automatiser diverses activités et infrastructures de la capitale, les feux de signalisation par exemple.

Les initiatives et tests autour de la reconnaissance faciale dans les lieux publics posent des problèmes éthiques auxquels les aspirants maires de Paris ont des réponses divergentes. (Crédit : geralt / Pixabay)

Là où le bât blesse, c’est autour de la question de l’utilisation de ces algorithmes pour faire de la reconnaissance faciale et de l’analyse comportementale. « Nous y sommes hostiles dans les espaces publics », appuie Jean-Louis Missika du côté de la maire sortante. Anne Hidalgo et ses équipes ne se disent cependant pas contre des dispositifs de capteurs intelligents dans l’espace publics pour verbaliser les véhicules polluants. Même son de cloche chez Danielle Simonet, qui considère la reconnaissance faciale comme « une atteinte grave à l’intégrité des données personnelles […] et nuisant à la santé de nos démocraties ». Son mouvement compte notamment s’opposer à l’implantation de la solution Safe City de Thalès dans le quartier de La Défense, bien que ce dernier ne dépende pas de la municipalité de Paris…

Etonnamment, aucune mention de l’emploi de la reconnaissance faciale n’est faite dans le programme de Cédric Villani. A l’été 2019, en tant que député, il s’exprimait sur la question en disant que « l’enjeu principal est le garde-fou : quel mécanisme mettre en place pour que seule la personne qui y a droit et est dans le bon contexte y ait accès ? Comme le disait Anne [Genetet, députée, Ndlr], un monde dans lequel tout le monde est surveillé en permanence n’est pas acceptable, mais sous réserve que la situation reste bien contrôlée, une fenêtre s’ouvre pour la reconnaissance faciale. »

Point de vue partagé en substance par la liste d’Agnès Buzyn, qui entend multiplier par quatre le nombre de caméras « en mettant en place une charte éthique pour que le respect des libertés individuelles soit maintenu » indique Paul Midy. Il ajoute que, dans un premier temps, les caméras ne comporteront pas d’algorithmes de reconnaissance faciale. « Ce serait idiot de dire que ça n’aura jamais lieu, mais ce ne sera pas la priorité. Je pense qu’aussi les gens évolueront, dans six ans peut-être que les Parisiens voudront, eux, que ces technologies soient utilisées. C’est pour cela que le point principal pour nous c’est une charte qui mette à l’aise les Parisiens. Et nous n’utiliserons pas ces technologies tant qu’ils ne le voudront pas. » Rachida Dati botte en touche sur ce sujet, précisant qu’il faudra évaluer les pour et les contre de l’utilisation de ces technologies en concertation avec les citoyens. La candidate LR entend aussi multiplier par trois le nombre de caméras dans la capitale.

L’inclusion numérique : à différents niveaux selon les concurrents

La formation des citoyens et citoyennes en matière d’usages numérique, ainsi que le déploiement d’un réseau WiFi gratuit dans le tout Paris sont des propositions communes aux Verts et à LREM. Anne Hidalgo a annoncé le lancement, dès 2021, d’une application pour faciliter les démarches administratives ou permettre le vote en ligne. L’école TUMO, lancée à l’initiative de la maire fin 2018 pour offrir une école gratuite de formation à la programmation informatique, au graphisme, à l’animation, etc. pour les enfants, devrait continuer de se déployer « dans les quartiers populaires » si Mme Hidalgo est réélue. La sensibilisation au numérique à l’école par la multiplication des sorties scolaires sur cette thématique, et des intervenants en classe est aussi portée par Rachida Dati.

La lutte contre la précarité numérique est un des trois points de réflexion portés par Danielle Simonnet. La candidate LFI compte augmenter les budgets des associations de lutte contre l’illectronisme et mieux accompagner les associations, développeurs, enseignants autour de la médiation numérique. Le mouvement d’extrême gauche entend aussi multiplier par deux le nombre d’Espace Publics Numériques (EPN) à Paris. En augmentant les moyens des infrastructures existantes, mais aussi en créant de nouveaux EPN « dans les arrondissements dont les situations d’exclusions numériques sont les plus marquantes au Nord de Paris ». Le budget serait trouvé dans les budgets RH de la Ville de Paris et les mairies d’arrondissement et maisons de quartiers utilisées pour l’implantation. La candidate d’extrême gauche veut enfin développer l’accès à internet en se détachant des opérateurs privés pour réduire les coûts.

Souvent, les concurrents à l'Hôtel de Ville de la capitale entendent s'appuyer sur les associations spécialisées pour adresser les problématiques d'inclusion numérique. (Crédit : Andrea Piacquadio / Pexels)

Cédric Villani développe davantage ces idées pour les seniors, les personnes en situation de handicap et celles sans-abris. Le candidat souhaite ainsi faire de Paris un pôle mondial de « silver technologie » (aide à la motricité, robotique, domotique, objets connectés d’aide à la personne, technologies gériatriques, meilleure identification des situations d’isolement via l’IA, etc.) au travers d’un centre de recherche et d’innovation dédié en lien avec Silver’Innov (pépinière d’entreprises basée à Ivry-sur-Seine) et avec Systematic, un pôle de compétitivité dédié aux systèmes complexes. Les candidates LR et LREM comptent s’appuyer sur les associations spécialisées pour répondre aux enjeux de l’accompagnement au numérique des personnes âgées. Rachida Dati rappelle qu’il ne faut pas être dans le tout numérique et toujours garder un accès physique à tout service proposé par la Mairie. Pour l’aide aux personnes en situation de handicap, M. Villani veut aussi travailler de près avec les start-ups du secteur. Enfin, il souhaite systématiser l’utilisation du coffre-fort numérique, déjà mis en place et expérimenté par quelques associations, qui permet aux personnes sans-abri de numériser et conserver de façon sécurisée tous leurs documents administratifs.

Les start-ups au centre des propositions

Dans la lignée du Small Business Act de la région Île-de-France, Rachida Dati propose d’assouplir les réglementations d’appel d’offre de la Mairie pour ne pas créer de barrières à l’entrée pour les petites entreprises et start-ups lorsqu’elles peuvent être pertinentes sur un projet. Idée également portée par Agnès Buzyn. La candidate LREM veut également agir sur la diversité de la scène start-up en accompagnant les initiatives d’ouverture à d’autres univers scolaires et sociaux pour diversifier les recrutements. L’idée est également de pousser les femmes à se lancer dans l’entreprenariat.

Contrairement à la liste de l’ancienne ministre des Solidarités et de la Santé, qui entend continuer d’accompagner les incubateurs de start-ups, celle d’Anne Hidalgo estime que « nous avons passé un cap en matière de soutien à l’économie de l’innovation », selon les mots de Jean-Louis Missika. Ainsi, plus besoin de mettre de l’argent public pour que des incubateurs soient créés à Paris mais la maire actuelle veut passer à l’étape suivante, à savoir la fabrication (fablab, hôtels industriels, etc.) et l’économie sociale et solidaire.

Ce sont environ 10 000 start-ups qui composent l'écosystème parisien. (Crédit : Station F)

Le député mathématicien qui a travaillé sur l’intelligence artificielle n’oublie pas cet écosystème lui non plus et compte impliquer les start-ups davantage sur des enjeux pragmatiques, pour développer des solutions pour les personnes âgées et handicapées comme évoqué plus haut, ou en lançant des « Green Tech Challenges » où des consortiums de start-ups parisiennes, de grandes entreprises et de laboratoires de recherche, pour mettre en œuvre, dans un arrondissement parisien des solutions « pour construire une ville plus respectueuse de l’environnement ». Pour soutenir l’émergence des technologies dans le domaine médical, Cédric Villani souhaite aussi réfléchir à faire du Val de Grâce un grand incubateur, à vocation internationale, et accueillir des équipes de recherche spécialisées dans les biotechnologies.

A chacun son projet particulier

Si les idées de chaque candidat diffèrent sur ces grandes thématiques, il y a des idées qui leurs sont propres. Ainsi Danielle Simonnet recommande un moratoire sur le déploiement de la 5G dans Paris « tant qu’il subsiste un doute quant à la sécurité des infrastructures et la soutenabilité écologique de long terme », peut-on lire sur le site du mouvement d’extrême gauche. David Belliard et Les Verts militent pour le reconditionnement et le recyclage des terminaux. Ils proposent ainsi de créer des points de collecte et travailler avec associations sur ce point, en l’appliquant aux services de la ville en priorité. Les matériels reconditionnés seraient utilisés pour équiper les familles dans le besoin. Anne Hidalgo et ses idées autour des fablab et de la fabrication en circuits courts rejoint cette dynamique.

De son côté, Cédric Villani veut faire revenir la Ville de Paris au conseil d’administration des pôles de compétitivité franciliens, notamment Systematic, spécialisé dans les systèmes complexes, Cap Digital, sur le numérique et la cybersécurité, Medicen, sur la santé et les biotechnologies. Agnès Buzyn se démarque par sa recherche de plus de diversité dans l’écosystème de start-ups parisiennes et en souhaitant pousser les initiatives d’ouverture de l’entreprenariat à d’autres milieux sociaux, culturels et géographiques. Rachida Dati veut elle développer des outils de participation citoyenne, permettant de mieux mettre en œuvre des référendums locaux dans les quartiers et arrondissements de la capitale, etc. « C’est très bien de parler de la consultation citoyenne, mais le vote internet ne fonctionne pas, c’est très facile à pirater, donc si nous n’avons pas des instruments de vote électronique de nouvelle génération ça n’a pas de sens », estime Gilles Mentré, porte-parole de la candidate LR.

Le premier tour des élections municipales aura lieu le dimanche 15 mars. (Crédit : Rama / Wikipedia)

Le premier tour des élections municipales se déroule le dimanche 15 mars et le second tour aura lieu le 22 mars prochain.