Après la décision de l’administration Trump de mettre au ban de l’écosystème IT américain la société Huawei, placée sur la liste noire (Entity List) des Etats-Unis, toutes les portes se ferment pour le fournisseur chinois. Google, à l’origine du système d’exploitation Android et des services associés utilisés dans la majorité des smartphones, et les fournisseurs de composants Intel, Qualcomm, Broadcom et Xilinx avaient les premiers indiqués suivre les directives du gouvernement américain. Les japonais Panasonic et Toshiba viennent de faire de même. Ce qui place Huawei dans une situation fort préoccupante. Mais la principale surprise vient aujourd’hui du fournisseur anglais ARM.

Une note de service obtenue par la BBC révèle qu'ARM a ordonné à ses employés de suspendre « tous les contrats actifs, droits de support et autre engagement en cours » avec Huawei. Spécialisée dans le design de puces à destination des terminaux mobiles, des systèmes embarqués et, accessoirement, serveurs, ARM  est une société basée au Royaume-Uni, qui appartient depuis peu à Japonais Softbank. Mais comme ses conceptions de puces exploitent des licences qui proviennent des États-Unis et qui sont donc soumises à l'interdiction générale du ministère du Commerce américain, ARM est obligé de rompre ses liens avec Huawei. La note de service indique que les employés d'ARM ne sont plus en mesure de « fournir du soutien, de la technologie (qu'il s'agisse de logiciels, de code ou d'autres mises à jour), d'engager des discussions techniques… »

Une dépendance absolue aux technologies américaines

Absolument incontournable sur le marché de la conception de puces pour mobiles, ARM travaille avec tous les fournisseurs de smartphones sur le marché : Huawei avec ses Kirin pour ses terminaux Huawei et Honor, Apple avec ses A pour iPhone ou encore Samsung avec ses Exynos pour ses Galaxy. Les processeurs Kirin incluent également des instructions supplémentaires de traitement des signaux d'images qui facilitent la photographie en basse lumière et en portrait. Ce qui rendait le Huawei P30 si efficace en photographie. Mais sans la base ARM, impossible de développer de versions futures. Ainsi, même s'il était capable de concevoir une toute nouvelle puce dépourvue de la propriété intellectuelle d'ARM, il n'y a aucune garantie qu'elle fonctionnerait avec le code Android Open Source Project. Bien que les processeurs de cette année soient probablement déjà conçus, la perte d'ARM signifierait que Huawei doit concevoir une architecture de puce et un système d'exploitation complètement nouveaux au cours de la prochaine année, ce qui semble être une tâche très difficile, voir impossible.

Sans licence ARM, il va donc être très compliqué pour le chinois de développer ses propres puces et, avec le décret d’excommunication de Trump, impossible de se fournir chez Qualcomm ou Texas Instruments. Intel, qui propose aussi des processeurs x86 basse consommation pour smartphones, a déjà indiqué qu’il coupait les ponts avec Huawei. Cela signifie que ce dernier a perdu l'accès aux deux seules architectures de puces supportées par Android : ARM et x86, si on oublie Mips. Alors que la révocation par Google de la licence Android de Huawei pourrait sembler à certains comme la plus importante, la perte d'ARM pourrait être tout aussi dévastatrice pour l'entreprise. On comprend ici que Huawei est principalement un assembleur dépendant de briques technologiques américaines, japonaises et européennes

Des stocks pour combien de temps

Mis au ban, Huawei indique crânement – via son service de presse - qu’il a suffisamment de stocks de composants (pour ses mobiles, PC, serveurs et équipements réseaux) pour attendre des jours meilleurs et un retournement de la situation… D'après la note de service, ARM ne semble pas certain qu'il soit visé par l'interdiction américaine, de sorte qu'il est possible que Huawei puisse bénéficier d'un sursis. De plus, le gouvernement américain a signalé qu'il pourrait être prêt à faire des concessions dans l'intérêt de la sécurité des consommateurs. Suite à la révocation de la licence Android, elle a accordé une licence générale temporaire de 90 jours pour que Huawei puisse continuer à s'assurer que les terminaux existants reçoivent les mises à jour de sécurité.

Le manque à gagner des fournisseurs étrangers de Huawei a été évalué par la banque Goldman Sachs. (Crédit Goldman Sachs)

Dans une note destinée à ses clients et résumée par l’agence financière Thomson Reuters dans une infographie (attention les projections sont en yuan), les économistes de la principale banque d’investissement dans le monde, Goldman Sachs, indique que le manque à gagner pour les différents fournisseurs de Huawei dans le monde des composants, mais également des licences logicielles (AMD, Intel, Qualcomm, Marvell, Microsoft, Neophotonics, Nvidia, Seagate, Texas Instruments ou encore Western Digital) se monterait à 11 milliards de dollars. Et, comme ces fournisseurs sont principalement américains, la position de Donald Trump risque fort de devenir intenable. La banque Citi Group a de son coté évalué l'impact de cette décision sur la croissance du marché des composants. Mais en attendant, l'offensive 5G de Huawei un peu partout dans le monde risque de tomber à l'eau faute de composants et de licences logicielles, et, ce, au grand bonheur d'Ericsson et Nokia. Deux acteurs européens qui n'ont rien à envier au chinois sur le marché des télécoms.