Pour Stéphane Roder, président d’AI Builders, le data management et l’intégration de l’IA dans les entreprises demandent du temps, de la formation et surtout une adaptation organisationnelle. En effet, c’est souvent le côté opérationnel de la gouvernance qui fait défaut, les experts métiers jouant un rôle essentiel dans cette validation continue mais ils n’ont pas forcément du temps à accorder. Cela dit, certains décideurs, surtout dans les grands groupes, ont réussi à mettre en place une organisation dédiée, souvent des data factory ou digital factory, comme nous l’explique par exemple Antoine Charpentier, en charge de la data factory à la RATP. « La data factory est un collectif transverse à l’entreprise qui réunit entre autres les métiers, des datascientists, des chefs de projet, les data managers, pour relever ensemble tous les défis de la valorisation des données. ». Environ une centaine de personne y participe dont une dizaine de datascientists. « Nous fixons des règles et nos conditions dans ce collectif : l'orientation par la valeur qui impose une rigueur dans le choix des sujets, le time to market inférieur à 5 mois qui impose des livraisons itératives et incrémentales, et l'enrichissement de notre patrimoine informationnel et technologique. Par ailleurs, nous sommes portés sur la communication de nos travaux afin de donner une certaine visibilité en interne à nos projets. Nous avons déjà organisé 15 visites de la Data Factory pour les directeurs métiers et membres du comex, jusqu'à notre président. Chaque visite est une étape supplémentaire de franchie dans l’appropriation de notre dispositif et de son impact pour l'entreprise », poursuit Antoine Charpentier. Comme la RATP, le Crédit Agricole Corporate and Investment Bank a créé une IA factory dès 2021 centralisant les compétences au sein d'une équipe transverse d'environ 50 personnes, afin d'accompagner les métiers, de prendre en charge la formation des équipes et d'assurer le développement des solutions et leur industrialisation. Aujourd’hui, cette IA factory s’est fortement orientée vers la GenAI depuis environ un an et s’est décentralisée étant donné son organisation en fédération avec des responsables IA dans les métiers et, très important, dans chaque équipe IT. L’objectif pour la banque est de dégager des gains à l'échelle de la banque et de ses 10 400 collaborateurs avec des projets IA marquants et de ne plus s’éparpiller sur des petits projets. Chez AXA, qui a déployé le programme Nadia (en associant l'ensemble des directions métiers et d’avoir un référant, des data IA leader, dans chaque direction métier), on parle de décentralisation gouvernée. « Pour passer à l’échelle sur l’IA, la première condition est d’être proche du métier », a déclaré Christophe Vermont, chief transformation & technology officer d’Axa France dans une vidéo à notre confrère de CIO. Il souligne aussi l’importance de l’acculturation auprès de utilisateurs. De son côté, la fintech Nickel (900 employés), déjà très acculturée sur l’IT et l’IA, a mis en place très tôt une organisation comme le mentionne son président Thomas Courtois « Nous disposons d’une équipe centrale d’une vingtaine de personnes qui construit le socle de données et les outils et au sein de cette équipe, nous avons aussi des experts du langage naturel et en IA pour aider les métiers à construire leurs usages, c’est notre data democracy ».

Des profils expérimentés pour un passage à l’échelle

Pour Antoine Charpentier, ce passage en production nécessite des compétences pointues, notamment celles de profils seniors ayant déjà cette expérience, non seulement sur le plan technologique, mais aussi dans l’approche. « Ces candidats sont difficiles à trouver, nous allons donc les chercher dans le secteur industriel ou dans le retail », reconnaît Antoine Charpentier. Et d’ajouter : « sur la partie data science, en fonction des besoins, nous recrutons des lead data scientists disposant d’une solide expérience en pilotage scientifique. Nous nous appuyons également sur de jeunes diplômés issus d’écoles d’ingénieurs ou équivalent. Sur ce dernier point, nous recevons souvent des centaines de candidatures car le marché de l’emploi est très dynamique. Nous formons aussi des stagiaires, des alternants et des doctorants CIFRE (ndlr : Conventions industrielles de formation par la recherche dont le but est de renforcer les échanges entre les laboratoires de recherche publique et les milieux socio-économiques et de favoriser l'emploi des docteurs dans les entreprises). Mais, au-delà des compétences technologiques, nous recherchons surtout des candidats capables de s’adapter à des contextes de forte transformation, capables de s’immerger dans des environnements métiers variés, de communiquer, vulgariser et acculturer, et surtout pour qui le sens du service public et nos valeurs ont une réelle importance. »