Le Sénat veut conférer un statut juridique à l'adresse IP, en lui reconnaissant la valeur de donnée personnelle. A tout le moins, c'est la position défendue par deux élus de la Chambre haute, Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier, signataires d'un rapport intitulé 'La vie privée à l'heure des mémoires numériques'. Tout au long des quelque 150 pages du document, les deux sénateurs exposent les atteintes aux libertés individuelles nées de la généralisation des technologies dans la vie quotidienne. « Depuis une dizaine d'années, la demande de sécurité de la société a relevé le seuil de tolérance vis-à-vis des systèmes de surveillance et de contrôle, ce qui s'est traduit par des arbitrages en défaveur du droit à la vie privée », indiquent les édiles. Selon eux, les citoyens se parent, malgré eux, d'une tendance « à l'acceptation d'une surveillance institutionnelle », d'autant plus prégnante que le progrès technologique s'accélère. La généralisation, par exemple, des GPS ou la multiplication des puces RFID rendent possible sans grande difficulté de localiser et de « raconter une portion de vie d'un individu ». De même, la banalisation de l'usage d'Internet et l'exposition, volontaire ou subie, de soi sur le Web, constituent une autre menace pour la vie privée en ce que les données exposées « acquièrent une universalité dans l'espace et le temps ». Il existe certes des garde-fous juridiques chargés de protéger la vie privée et les données personnelles, de la Cnil au G29 (groupement européen des gardiens des Cnil européennes) en passant par la directive européenne de 1995, transposée en droit français en 2004. Mais cet arsenal défensif n'est pas suffisant, aux yeux des deux sénateurs, pour « garantir le droit à la vie privée à l'heure des nouvelles mémoires numériques et renforcer ainsi la confiance des citoyens à l'égard de la société de l'information ». Pour contribuer à pallier ce manque, les élus formulent quinze propositions visant à rendre l'« homo numericus » maître de ses propres données, à renforcer les pouvoirs de la Cnil et à parfaire le cadre juridique actuel. L'IP est une donnée personnelle pour la CJCE Parmi ces recommandations, au-delà d'un nécessaire travail de sensibilisation des citoyens dès leur plus jeune âge, les sénateurs plaident pour une clarification du statut de l'adresse IP. Si la jurisprudence française semble constante en affirmant que l'adresse IP ne constitue pas une donnée personnelle - ce qui est également la position adoptée par Christine Albanel lors des débats sur la loi Hadopi - elle s'inscrit en contradiction avec les principes édictés par les institutions européennes. En 2007, le G29 a ainsi rendu un avis dans lequel il penche pour la reconnaissance du statut de donnée à caractère personnel de l'adresse IP. L'année suivante, la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) suivait cette position dans son arrêt Musicae, puis, à son tour, la Commission réaffirmait ce principe dans une directive. Malgré cela, la Cour de cassation persistait à asseoir la position française en rappelant, dans une décision rendue en janvier dernier, que l'adresse IP ne constitue pas une donnée personnelle dès lors que sa collecte n'est pas réalisée à l'aide d'un traitement automatique. Les auteurs du rapport sénatorial penchent, pour leur part, pour une harmonisation des visions française et européenne de cette question. « Vos rapporteurs ont [...] acquis la conviction que l'adresse IP constituait un moyen d'identifier un internaute, au même titre qu'une adresse postale ou un numéro de téléphone par exemple », expliquent-ils. Ce postulat les conduit alors à estimer que l'IP doit être vue comme une donnée à caractère personnel. De fait, il leur semble « indispensable que les garanties concernant la collecte de données personnelles s'appliquent également sans ambiguïté aux données de connexion des internautes ». Dès lors, ils jugent urgent que soit complétée la loi de 1978 portant création de la Cnil afin qu'elle prenne clairement en considération le statut de l'adresse IP.