Si beaucoup de pays s’interrogent et notamment les européens sur la mise en place d’outils de tracking des malades du Covid-19, les outils de biométrie s’adaptent à cette situation.

L'authentification biométrique tactile écartée

Pour lutter contre l'épidémie, les technologies biométriques et de reconnaissance faciale sont mises aussi rapidement à contribution, donnant lieu parfois à des combinaisons inédites. La vérification sans contact de l'identité est privilégiée aux scanners d'empreintes digitales ou de mains utilisés pour contrôler l'accès à des installations au motif que ces solutions sont des vecteurs potentiels de propagation du virus.

À New York, les employés municipaux hésitent à utiliser les scanners à main pour le pointage. La police de New York (NYPD) n’utilise plus les solutions par empreinte digitale pour activer l’ouverture des portes, afin d’éviter une contamination par la surface des claviers. Même les syndics de copropriétés ont désactivé les systèmes biométriques installés à l'entrée des immeubles.

La biométrie traque la température

La crise sanitaire liée au Covid-19 a fait émerger des solutions biométriques inédites.

- En Chine, des tablettes fixées à l'arrière des sièges des chauffeurs de bus enregistrent la température corporelle des passagers et prennent des clichés de leur visage. Ces photos sont utilisées a posteriori pour rechercher les personnes qui ont été en contact avec un passager testé positif au coronavirus.

- Aux États-Unis, l’entreprise de sécurité Athena Security, dont le système servait essentiellement à détecter les armes à feu, propose désormais ce qu'elle appelle un « Fever Detection Covid19 Screening System ». L’entreprise déploie des « caméras thermiques intelligentes » capable de détecter une personne fébrile et alerter les clients de la présence d'une personne potentiellement porteuse du coronavirus. Athena cible les supermarchés, les hôpitaux et les bureaux de vote et déploie actuellement son produit dans les agences gouvernementales, les aéroports et des entreprises du Fortune 500.

- Dermalog, une entreprise spécialisée dans les technologies de biométrie, notamment la reconnaissance d'empreintes digitales, d'iris et faciale, a ajouté une fonction de contrôle de la température à son produit. Le gouvernement thaïlandais utilise déjà la technologie de Dermalog pour le contrôle aux frontières.

- Telpo a complété sa technologie de reconnaissance faciale avec une solution de détection de la température, qui fonctionne même si les personnes portent des masques.

- L'entreprise chinoise Wisesoft affirme avoir développé, en collaboration avec l'université du Sichuan, une solution de reconnaissance faciale en 3D capable d’identifier les personnes portant des masques avec une précision de 98 % et même recueillir leur température corporelle. Un hôpital de Chengdu a déjà déployé 140 unités équipées de la solution de Wisesoft.

- Une autre entreprise chinoise, Hanvon, a également mis au point une technologie qui permet d’identifier les visages à travers les masques et de contrôler la température des personnes.

Patrick Grother, un scientifique du National Institute of Standards and Technology (NIST), où il travaille sur les normes et les tests biométriques, a déclaré qu'il n'avait pu tester aucune de ces technologies, ajoutant que les pays d’Asie ont déployé depuis un certain temps des caméras thermiques pouvant mesurer la température corporelle. « Il n’y en a pas aux États-Unis, mais en Asie, les aéroports en sont équipés. Au passage de douane, les caméras thermiques montées sur un trépied peuvent détecter toute personne ayant de la température », a-t-il ajouté. « La caméra infrarouge mesure uniquement la chaleur émise par le visage du voyageur, sans faire aucune corrélation. Elle ne peut pas déterminer si la fièvre est liée ou non au coronavirus ou à tout autre agent pathogène ».

Précision, évaluation et problèmes techniques

Les derniers systèmes biométriques et de reconnaissance faciale qui apparaissent aujourd'hui cherchent à établir une corrélation entre la température et les individus, ce qui soulève un tas de nouveaux problèmes logistiques. Concernant le suivi de la température, « il est très difficile d'isoler une personne », a ainsi expliqué Anil Jain, professeur distingué à l'université d'État du Michigan et éminent expert en identification biométrique et intelligence. « Si vous arrêtez une personne au point de contrôle, que vous prenez sa température et l'image de son visage, vous pouvez faire une reconnaissance faciale » que vous pouvez associer à une température corporelle. « Ensuite, tout dépend du nombre de personnes que vous pourrez traiter par minute ». Cependant, pour être précises, les caméras, même haut de gamme, doivent être recalibrées fréquemment. « En fait, il faudrait arrêter et redémarrer le système associant température et visage après chaque mesure ».

Mais le plus gros défi concerne l’usage des informations. « Si le système détecte une personne avec de la fièvre, la logique voudrait qu’elle soit testée pour voir si elle est porteuse du virus et il faudrait la retenir jusqu'à l’arrivée des résultats du test », a encore déclaré Anil Jain. « Cela prend beaucoup de temps... et retarde énormément le processus de détection ».

De plus, le coût d'un tel système pourrait être prohibitif et perturber les activités professionnelles. « Imaginons une entreprise de 5000 personnes avec dix points de contrôle. La file d'attente risque d’être longue si l’on veut tester tous les employés qui se présentent à 8 heures du matin pour venir travailler ! » De plus, la précision de certains systèmes émergents, comme celui développé par Athena Security, n’a pas été attestée dans des laboratoires comme celui du NIST où travaille Patrick Grother. « La précision des outils de reconnaissance faciale de ces entreprises n'a jamais été évaluée. Elles peuvent prétendre ce qu'elles veulent », a déclaré M. Jain.