Norsys est la première SSII à mettre en oeuvre le CV anonyme, pour lutter contre la discrimination à l'embauche. Sylvain Breuzard, Président de Norsys sensibilise lui-même ses managers à cette question. Il s'explique sur ce projet qui vise aussi à promouvoir l'entreprise responsable et vecteur de changements sociétaux. Lemondeinformatique.fr : Qu'est-ce qui vous a mené à mettre en place le CV anonyme ? Est-ce pour vous distinguer de vos concurrents ? Sylvain Breuzard : Depuis 2004, j'ai initié dans mon entreprise un projet sur le thème du "management de la diversité" avec des réflexions sur l'égalité de traitements des salariés, la discrimination et le management en tant que tel de tout type de diversités, de personnalités, de méthodes, etc. J'ai ensuite signé, le 26 mai 2005, "la charte de la diversité dans l'entreprise", produite par l'institut Montaigne (laboratoire d'idées créé en 2000 par Claude Bébéar, NDLR)... qui définit des axes d'engagement en faveur de la diversité culturelle, éthique et sociale au sein des organisations. Pour aller au delà des grands principes, j'ai mis en place une première série d'actions au second semestre 2005, visant à accroître l'égalité de traitement des personnes. Nous avons agi au niveau de nos référentiels métier, de nos entretiens d'évaluation et des processus de décision qui suivent ces entretiens. La mise en ?uvre du CV anonyme s'inscrit dans cet engagement. Pourquoi avoir choisi cette mesure en particulier ? L'opération de testing (envoi d'une même candidature plusieurs fois en faisant varier une caractéristique, ndlr ) menée l'an dernier par l'Observatoire des discriminations, a permis pour la première fois, de mesurer la discrimination. Elle a aussi montré qu'elle s'exerçait lors de la sélection des CV. Cette expérience m'a encouragé à agir à mon tour de façon pragmatique pour faire bouger les choses et casser ce barrage. C'est aussi une opportunité de faire évoluer les pratiques RH, sous l'angle de la lutte contre la discrimination. Comment se concrétise la mise en ?uvre du CV anonyme chez Norsys? Une personne de notre équipe se charge de rendre anonymes les CV qu'elle reçoit ou collecte, en les modifiant après les avoir enregistrés dans un fichier informatique. Elle supprime les noms, prénoms, âges, adresses, nationalités, photos ainsi que les expériences professionnelles qui sont antérieures à 1990. Une fois modifiés, les CV sont imprimés et distribués aux managers qui se chargent de les sélectionner. Les coordonnées leur sont données après la sélection pour contacter les candidats. N'y a-t-il pas un risque d'effacer des expériences significatives? Nous considérons que les compétences acquises il y a plus de quinze ans ne sont pas décisives pour la sélection des CV. Les personnes concernées les feront valoir lors des entretiens. Par ailleurs, les seniors sont aujourd'hui les plus touchés par la discrimination. Il faut donc agir en conséquence et tester des moyens de l'éviter. Vous proposez également de postuler de façon anonyme via votre site web? Effectivement, car l'idéal pour aller au bout de la démarche est de susciter l'envoi de CV anonymes. Nous proposons donc aux candidats un document à remplir sur notre site, qui leur demande de décrire leur formation et leurs expériences. Pour réellement tester le CV anonyme cependant, nous ne pouvions nous en tenir à cette initiative car elle nécessite d'abord de se faire connaître pour capter des candidatures. Qu'attendez-vous de cette initiative pour Norsys ? Avoir davantage de certitudes sur le fait que nous ne discriminons pas. C'est le genre de chose qu'il est très difficile de montrer. Finalement, nous ne pouvons jamais savoir si nos effectifs sont vraiment représentatifs du bassin d'emploi, même si il n'y a pas de discrimination apparente. Si c'est le cas, le problème n'est pas seulement éthique. Il conduit également à se priver de compétences. On ne peut pas nier par ailleurs que notre démarche peut contribuer à accroître notre visibilité. Si nous y gagnons sur le plan économique et des recrutements, tant mieux, mais ce n'est pas une fin en soi. Quelle ambition plus générale sert-elle? Je le fais pour montrer qu'une telle mesure est assez facile à mettre en ?uvre et parce que je souhaite qu'elle se généralise. J'estime en effet qu'en tant qu'entreprise, nous avons une responsabilité vis à vis de la société et devons être des vecteurs de changement. Or la généralisation du CV constituerait un grand pas pour faire évoluer les mentalités. Vous accompagnez le CV anonyme de changements dans votre processus de recrutement. Lesquels ? Nous avons passé en revue toutes les étapes du recrutement et rédigé un guide de procédures qui recense pour chacune, les bonnes pratiques pour ne pas risquer de discriminer. Celles-ci démarrent dès la rédaction des annonces, dans lesquelles on ne doit pas lire par exemple d'indication d'âge ou de sexe. Nous avons également précisé plus clairement les critères de compétences à examiner, lors des entretiens. Les managers sont tenus de s'appuyer dessus pour leur évaluation. Enfin, nous nous attachons à ce que chaque candidat soit vu par deux managers et un responsable RH afin que les impressions soient croisées, pour diminuer les risques de biais. Certaines personnes réagissent au CV anonyme en déplorant fortement le fait de devoir dissimuler leur identité, comme si elles devaient en avoir honte, pour une mesure qui ne changera finalement rien au problème de fond de la discrimination. Que leur répondez-vous ? Je comprends ces personnes. Toutefois, elles vivent peut-être des choses plus difficiles que le fait de devoir cacher leur identité, si elles font l'objet de discrimination. La question à se poser est de ces deux maux, quel est le moins pénalisant ? Par ailleurs, si demain, le CV anonyme se généralise, tout le monde sera sur un pied d'égalité. On ne se posera donc plus le problème de la dissimulation de son identité. Comment sensibilisez-vous vos équipes à cette démarche et quelles sont leurs réactions ? J'ai moi-même animé des sessions de sensibilisation pour les managers de Norsys. Celles-ci visent à éveiller les consciences sur la discrimination et à faire réfléchir sur la façon dont on se positionne sur cette question. L'écoute dans ces sessions a été forte et active. Ce sujet interpelle et suscite des discussions. Lors de notre session parisienne, j'ai proposé de bâtir une formation autour des représentations que l'on a des autres et des préjugés. Cette proposition a été acceptée. Il a même été suggéré qu'une de nos conférences, proposées à tous les salariés en complément des formations effectuées, soient consacrées à ce sujet. Je crois qu'un tel projet (autour de l'égalité de traitement, la non discrimination, le management, ...) peut avoir beaucoup de sens dans une entreprise.