Au nom de la lutte contre le terrorisme, Facebook tient une liste noire d’individus et organisations dangereuses dite DIO (dangerous individuals and organizations). Plus de 4 000 personnes et groupes sont ainsi classés selon leur degré de nuisance : « haine », « crime », « terrorisme », « mouvements sociaux militarisés », « acteurs non étatiques violents »... Cette liste, interne, a été reproduite et publiée par The Intercept, un magazine d’investigation créé par les journalistes Jeremy Scahill, Laura Poitras – réalisatrice du film Citizenfour – et Glenn Greenwald, - qui avait publié les révélations d'Edward Snowden sur les programmes de surveillance de masse des citoyens, entreprises et États du monde entier par la NSA dès 2013.

The Intercept précise que « les informations contenues dans cette liste, y compris les prétendues activités, désignations et affiliations des personnes et groupes cités, proviennent de Facebook, et non de The Intercept. The Intercept n'a pas vérifié ces informations et n'a pas l'intention de faire des déclarations concernant l'exactitude de ces informations contenues dans la liste de Facebook ».

Trois niveaux de dangerosité

Le média d’investigation indique ainsi que cette liste comporte trois niveaux, « le premier étant considéré comme le plus dangereux. Les personnes appartenant à ce niveau sont jugées capables de causer un « préjudice grave hors ligne » et comprennent des organisations terroristes et le crime organisé. Les personnes ou groupes figurant sur cette liste sont principalement liés à des organisations du Moyen-Orient et d'Asie du Sud ou à des groupes et gangs criminels graves aux États-Unis ». Le deuxième niveau correspond à ce que Facebook appelle des « acteurs non étatiques violents ». Ces personnes sont considérées comme dangereuses à l'étranger et peuvent inclure des groupes rebelles dans certains conflits, à l’exemple de groupes loyalistes irlandais, partis politiques nationaliste et séparatiste. Facebook indique qu'il autorisera un certain soutien à ces groupes tant qu'il ne s'agit pas d'un « éloge des activités violentes de ces groupes ».

Le niveau 3 abrite majoritairement des groupes qui, selon The Intercept, sont constitués de « milices antigouvernementales américaines majoritairement de droite ». Ceux-ci pourraient montrer l'intention possible de commettre des dommages mais « n'ont pas nécessairement participé à des actes de violence à ce jour ou préconisé la violence contre d'autres personnes en raison de leurs caractéristiques protégées ». Cela inclut également les personnes qui soutiennent les mouvements conspirationnistes tels que QAnon. Au total, 53,7% de la liste noire concerne le terrorisme, 23,3% est constituée de mouvements sociaux militarisés, 17% de groupes haineux, 4,9% d'entreprises criminelles et seulement 1% d'acteurs non étatiques violents.

La France n’est pas en reste

Lorsque l’on regarde en détails cette liste, on note que celle-ci repose en majorité sur les classifications du gouvernement américain, et l’on retrouve tous les potentiels « ennemis » et « menaces » pour l’Amérique ou pour ses « alliés ». En Europe centrale, cela va du parti politique naissant au parti mort depuis des lustres, du groupe néo-nazi au crépuscule écofasciste (Greenline Front), mais aussi Nadir Salifov, surnommé Lotu Quli, un chef de file de la célèbre organisation criminelle azérie, déclaré mort en août dernier. On retrouve par ailleurs, Askatasuna - parti politique nationaliste et séparatiste basque basé à Bilbao, des organisations paramilitaires protestantes et loyalistes impliquées dans le conflit nord-irlandais aux côtés de l’IRA.

Côté France, les groupes surveillés ne sont pas en reste. On retrouve rapidement Defend Europe rassemblant des identitaires souvent présents lors d’afflux de migrants aux frontières tout comme Génération Identitaire, dissous pour sa part en mars 2021. Des sites ouvertement racistes, homophobes et antisémites comme Démocratie Participative restent surveillés alors que Google France a décidé de supprimer de ses résultats de recherche la dernière adresse internet du site d'extrême droite, en septembre 2020. L’association politique d’Alain Soral se retrouve également fichée. Tous ces noms sont classés sous la catégorie « haine » et font l’objet d’une modération moins soutenue, les utilisateurs de Facebook pouvant communiquer et échanger sur ces pages, leurs messages étant toutefois signalés comment potentiellement à risque.

Facebook fait du zèle

Par ce travail de modération, Facebook répond aux précédents manquements formulés à son encontre ces dernières années. On ne peut qu’imaginer le travail harassant des modérateurs mais cette liste semble manquer de rigueur, n’étant plus d’actualité quant à certains noms, et répondant surtout aux critères de classification des Etats-Unis et aux intérêts nationaux plutôt qu’aux intérêts internationaux. Facebook a été sollicité mais n’a pas encore répondu à nos questions pour l’instant. Ce genre de listes est toutefois une pratique très courant dans les officines gouvernementales et même d'autres entreprises comme les compagnies aériennes.