Il est plus de 18h lorsque l'audience est levée. La Cour est féminine, de même que les 3 avocates qui ont fait de brillantes plaidoiries, connaissant leurs dossiers sur le bout des doigts pour tenter de discréditer l'adversaire. La salle se lève à son tour, presque exclusivement composée d'hommes, qui ont jugé utile de venir sentir l'ambiance qui va déterminer leur sort : ici se joue l'avenir d'une cinquantaine de salariés de la filiale française de Hummingbird, éditeur canadien de solutions de gestion de contenu racheté par son concurrent et compatriote Open Text. Un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) prévoyait la suppression de 49 postes sur 81. Il avait été annulé le 5 janvier en référé, principalement du fait de la description trop précise - renvoyant donc à des métiers - des postes concernés. Après un temps de réflexion, la direction avait finalement décidé de faire appel de cette décision. En ce 1er mars, l'appel commence par un historique de la situation, résumé par l'une des magistrates. Puis la parole est donnée à l'avocate de la direction. « Il y a aujourd'hui 78 salariés chez Hummingbird France, suite à deux démissions et à un licenciement pour faute grave », précise-t-elle d'entrée. Et d'expliquer les raisons qui ont conduit à ce PSE, notamment « des difficultés économiques ». Elle remet en cause le constat de carence établi par l'inspection du travail. « Les reclassements sont au c?ur de la polémique. Je tiens à préciser que ce ne sont pas 4 mais 9 emplois qui ont été proposés », poursuit-elle. La Présidente l'interrompt : « Tous à l'étranger ? » - « Oui, tous à l'étranger, répond-elle. Mais depuis le mois de janvier, 4 autres postes se sont libérés chez Open Text France. » Puis l'avocate se penche sur la fusion évoquée entre Hummingbird et Open Text, étayée par exemple par des formats d'email commun : « je le dénie ». Elle évoque la fin du bail sur le site rue des Italiens et le déménagement des salariés rue Thérèse ou sur le site d'Open Text France à la Défense puis elle conclut sur des indemnités de licenciement réclamées par certains salariés, notamment « les ingénieurs d'affaires » et qu'elle juge « scandaleuses. » Des avocats du CE et de la direction côte à côte : une situation inédite en appel Il est 17h17 et la Présidente revient sur le fait pour le moins étrange et rare de voir siéger d'un même côté les avocats de la direction et du CE (Comité d'Entreprise). Puis elle écoute la seconde plaidoirie. L'avocate souligne que le CE a été élu en mai 2006 et « s'honore qu'il soit l'émanation d'une élection démocratique. » Très vite, elle évoque les problèmes avec le délégué CFDT nommément cité à plusieurs reprises - ainsi que d'autres salariés. « D'allié potentiel, il devient le pourfendeur du CE », précise-t-elle avant d'énoncer plusieurs griefs à son égard. « J'ai approuvé ce plan car je l'ai négocié âprement » souligne-t-elle en évoquant notamment le traitement global des salariés. Et de finir en revenant sur « cette complicité avec la direction dont on parle, et même de collusion. Je ne peux pas l'accepter. » Sa consoeur prend la parole à 17h35. « Open Bird, on peut dire cela ! » D'emblée, l'avocate de la CFDT se concentre sur les raisons des licenciements. « C'est un processus classique qui annonce une fusion. » Elle développe son argumentation, avant de répondre aux points évoqués par ses adversaires. « Ma consoeur ne parle que des indemnités, mais je me suis assurée que les salariés voulaient être reclassés au sein d'Open Text. Le CE n'a pas nommé d'expert-comptable pour vérifier la situation économique réelle », poursuit-elle. Et par un lapsus, volontaire ou non, elle évoque « Open Bird », soulignant par cette fusion annoncée que les produits de Hummingbird seront, à terme, commercialisés par Open Text. « Open Bird, on peut dire cela », indique-t-elle, revenant sur la procédure « menée extrêmement précipitamment » à la fin de l'année 2006. Elle insiste encore sur le « congé de reclassement », plus favorable selon elle aux salariés que la « convention personnalisée » et dénonce le cabinet de reclassement choisi. Puis elle parle de la suppression du site de la rue des Italiens et conclut sur « les irrégularités de ce dossier ». A l'issue de l'audience, la Présidente semble songeuse. Elle s'adresse encore à l'avocate du CE. « Cela s'est quand même passé très vite. Et pourquoi n'avez-vous pas fait appel à un expert-comptable ? » L'avocate du CE argumente, aidée par celle de la direction, interrompue par celle de la CFDT. « La décision sera rendue le 30 mars », annonce la Présidente, visiblement exténuée par ce dernier dossier d'une longue journée.