Quatre fournisseurs de cloud prenant en charge environ 15 % de son SI et aucune stratégie claire pour les gérer. La situation vécue par l'assureur italien Reale Group est assez représentative de la manière dont le cloud s'installe dans bon nombre d'organisations. « Ce n'était pas un objectif recherché, simplement la réalité », résume Marco Barioni, le Pdg de Reale ITES, l'unité interne de services IT du groupe transalpin. Depuis lors, le dirigeant a repris le contrôle de la situation, en mettant en oeuvre un plan pluriannuel visant à déplacer plus de la moitié des applications et services de base de Reale Group vers deux cloud publics seulement, dans une quête d'optimisation des coûts et d'innovation. Comme chez l'assureur italien, les environnements multicloud sont déjà la norme pour 98% des utilisateurs de IaaS ou de PaaS. C'est ce qui ressort d'une étude de 451 Research sur l'utilisation du cloud en entreprise, qui se penche également sur les services répartis sur plusieurs clouds publics et sur la manière dont les organisations mesurent le succès de leur stratégie en la matière.

Deux tiers des personnes interrogées utilisent les services de deux ou trois fournisseurs de cloud public, tandis que 31 % d'entre elles sont clientes de quatre fournisseurs ou plus. Seuls 2 % des répondants n'ont qu'un seul fournisseur de cloud. Et les environnements cloud des entreprises sont encore plus complexes si on prend en compte le SaaS. La moitié des organisations interrogées utilisent entre deux et quatre fournisseurs SaaS, un tiers entre cinq et neuf fournisseurs et un huitième plus de dix. Seuls 4 % des répondants déclarent n'employer qu'une seule solution en SaaS, ce qui est en soit étonnant compte tenu de la prévalence de Salesforce, Zoom et des suites de productivité en ligne telles que Microsoft 365 ou Google Workspace. Trois ans après les premiers confinements Covid, il est clair que la pandémie a été un moteur important de l'adoption du multicloud pour 91 % des personnes interrogées. Mais maintenant que l'urgence de la mise en place du travail à distance est passée, les entreprises recherchent d'autres avantages lorsqu'elles construisent leurs environnements multicloud.

Pourquoi construire une infrastructure multicloud ?

Les deux motivations les plus fréquemment citées résident dans la souveraineté ou la localisation des données (citée par 41 % des répondants) et dans l'optimisation des coûts (40 %). Les entreprises de la finance, de l'assurance et de la santé sont les plus préoccupées par le lieu de stockage de leurs données, tandis que le coût reste la principale motivation pour celles de l'immobilier, de l'industrie, de l'énergie et de la technologie.

Viennent ensuite trois préoccupations connexes : l'agilité et l'innovation (30 %) ; l'accès aux meilleurs services et applications (25 %) ; et les problèmes de dépendance à tel ou tel fournisseur (25 %). Le fait de s'adresser à un seul fournisseur de cloud pourrait, en effet, empêcher les entreprises d'accéder à de nouvelles capacités technologiques (comme le très médiatisé ChatGPT, que Microsoft utilise pour attirer les clients vers Azure), les laisser avec un service de second ordre fourni par un fournisseur moins investi sur une technologie donnée, ou permettre à ce même fournisseur de les prendre en otage et d'augmenter les prix. Les avantages liés à la duplication de l'infrastructure IT, donc à la résilience de l'entreprise, sont jugés moins importants. L'argument est cité par 23 % des personnes interrogées, et l'accès à des capacités de redondance ou de reprise après sinistre par seulement 21 %.

Mais de nombreux facteurs freinent encore l'adoption du multicloud dans l'entreprise. La gestion des multiples fournisseurs est la plus fréquemment citée (par 34 % des répondants), suivie par la connectivité entre les différents environnements (30 %). Les problèmes de gouvernance de données, de portabilité des charges de travail et des données, de conformité réglementaire et de garantie de sécurité arrivent sur la même ligne, cités par 24 % des répondants.

Un cloud pour les gouverner tous

D'autres entreprises, plus avancées, font le choix d'un cloud majeur, couplés à des choix d'architecture qui leur permettent de trouver une certaine forme d'interopérabilité avec des environnements secondaires. C'est par exemple le cas de Johnson Controls, industriel fabriquant des systèmes de contrôle pour la gestion des processus industriels et des bâtiments intelligents. Des activités qui sont, dans certains cas, gérées à partir de la plateforme OpenBlue basée sur le cloud. Selon son directeur, Vijay Sankaran, l'entreprise a fait pour OpenBlue le choix d'un fournisseur de cloud principal, tout en ayant opté pour une architecture fonctionnant sur plusieurs clouds, afin de pouvoir répondre aux besoins de ses clients là où ils se trouvent.

Ce passage au multicloud a nécessité un travail supplémentaire, passant par la connexion de tous ces environnements à une plate-forme d'observabilité et par la consolidation de tous les événements de sécurité à un SOC unique et intégré, de sorte que les différents clouds puissent être surveillés à partir d'un seul et même écran, explique Vijay Sankaran. Bien qu'il faille s'attendre à ce que l'ajout d'autres fournisseurs de cloud entraîne de nouveaux coûts, le même problème se pose avec un seul hyperscaler, car les différentes instances régionales peuvent avoir des contrôles spécifiques à déployer, nuance le directeur de OneBlue.

L'étude de 451 Research se penche encore sur les principaux résultats qu'attendaient les entreprises d'une plateforme de gestion du multicloud. Seules 22 % d'entre elles ont cité la mise en place d'une console unique, comme dans le cas de Johnson Controls. Les principales attentes vont de l'optimisation des coûts (33%), à une politique de gouvernance commune à tous les clouds (27%), en passant par l'intégration avec l'infrastructure sur site (27%), une meilleure visibilité et la disponibilité de tableaux de bord (26%) ou encore l'intégration aux outils existants (25%).

Maîtriser les coûts

Qu'une entreprise choisisse de répartir ses applications sur un plus grand nombre de clouds publics ou de les concentrer sur un plus petit nombre, elle ne peut éviter la question de l'optimisation des coûts. Marco Barioni, du groupe Reale, a choisi de miser sur une équipe centrale aux compétences variées : des experts en infrastructures IT associés à des compétences spécialisées la comptabilité. Les développeurs ont tendance à rechercher la meilleure solution technique, qui n'est souvent pas la plus rentable, observe-t-il.

Lorsque les applications sont exécutées on-premise, la capacité de calcul - donc le coût - est limitée par les caractéristiques du datacenter, alors que du cloud offre un potentiel connaissant peu de limites. A l'image des factures qu'est susceptible d'envoyer son fournisseur. Pour Marco Barioni, réunir les compétences techniques et financières permet d'équilibrer les coûts et les performances dans ce nouvel environnement sans contraintes. « Chaque jour, vous devez prendre des décisions pour hiérarchiser vos applications et trancher la manière dont vous allez optimiser la puissance de calcul dont vous disposez, relève le Pdg de Reale ITES. C'est un état d'esprit complètement nouveau. »