Baptisé Git, le nouvel outil aura pour objectif de remplacer l'outil favori de gestion du développement du noyau Linux de Torvalds, le logiciel propriétaire Bitkeeper.

Le conflit est né des différences de vues entres développeurs Open Source. Certains considèrent que la force du logiciel libre est son mode de développement collaboratif, tandis que d'autres considèrent que l'accès au code source et la possibilité de le modifier (y compris celui de Bitkeeper) est une liberté fondamentale. Bitkeeper sera donc abandonné, et les développeurs Linux utiliseront Git en lieu et place du logiciel développé par Bitmover. Torvalds travaille actuellement avec d'autres développeurs à la mise au point du nouvel outil.

Intégristes du libre contre pragmatiques…

Bitmover, qui avait accordé une licence gratuite aux développeurs du noyau Linux, avait récemment affiché son mécontentement après les tentatives d'Andrew Tridgell (le créateur de Samba) de développer une version Open Source du client Bitkeeper par reverse engineering. En février, Tridgell a écrit un outil capable d'accéder au code source stocké dans Bitkeeper ; mais, après plusieurs mois d'amères négociations, Bitmover a fini par révoquer la licence qu'il concédait jusqu'alors aux développeurs Linux.

Les zélotes du libre expliquent que le logiciel de Tridgell leur fournissait un moyen d'accéder au code sans avoir à accepter la licence fermée de Bitkeeper. Ils appliquent en cela la recommandation d'un des gourous du libre, Richard Stallman, qui militait depuis longtemps pour l'abandon de Bitkeeper en expliquant que l'utilisation d'un logiciel propriétaire pour le développement du noyau Linux n'était pas une pratique acceptable.

Seul problème, le client de Tridgell ne pouvait être utilisé que pour accéder au source, mais ne remplace pas l'intégralité du système de gestion du code. Cette situation a placé de fait Torvalds dans une impasse et le contraint aujourd'hui à rechercher en urgence un remplacement.

Torvalds n'a pas hésité à manifester sa colère d'être contraint d'abandonner Bitkeeper et a qualifié le client de Tridgell de mauvais projet, dans la mesure où il ne produit aucun résultat positif pour les développeurs du noyau. « Au final, le projet de Tridgell a fini par nuire aux personnes qui n'étaient pas d'accord avec lui », explique Torvalds. Pire, « il n'aide en fait personne, puisqu'il a assuré sa propre inutilité en nous privant de Bitkeeper ». Au cours de la semaine écoulée, les propos de Torvalds ont déclenché l'ire des zélotes de l'Open Source, certains n'hésitant pas à indiquer que les efforts de reverse engineering de Tridgell sont, en fait, analogues au travail effectué par Torvalds à partir d'Unix pour élaborer Linux.

Torvalds a répondu avec son pragmatisme habituel : « Pour moi, un programme n'a de qualité que s'il est utile […] ; dans le cas présent, il n'a causé que des problèmes. » Tridgell s'est jusqu'alors abstenu de tout commentaire, se bornant à faire remarquer qu'il a « développé un outil de façon éthique et légale ». Ironiquement, Torvalds et Tridgell travaillent tous les deux pour l'Open Source Development Labs (OSDL), un consortium à but non lucratif qui vise à promouvoir l'utilisation de Linux. L'OSDL n'a pas été capable d'amener les deux développeurs à un compromis.

Une querelle qui pourrait retarder la sortie du prochain noyau

A ce jour, plusieurs outils de gestion de code source libres sont disponibles, dont le célèbre CVS (Concurrent Version System). Mais, selon Torvalds, ils sont tous trop lents pour un projet de la taille du noyau Linux. « Mettre dix secondes pour appliquer un simple patch, juste parce que le code source est si grand, est tout simplement inacceptable. »

Torvalds n'est pas certain de l'impact qu'aura l'abandon de Bitkeeper sur le développement de Linux, mais il a déjà décidé d'abandonner tout travail sur le noyau pour une semaine afin de se consacrer à Git. En fait, Torvalds estime que le vrai coût de la transition ne pourra se mesurer que lorsque l'on pourra faire le point de son impact sur le calendrier de développement du noyau.

Git, qui n'est pas utilisable en l'état, selon Torvalds, sera plus complexe à utiliser que Bitkeeper et manquera de nombreuses fonctions. « Nous avons encore à déterminer à quel point cela nous ralentira. » Git n'est toutefois pas le premier projet sur lequel Torvalds travaille. Il a déjà écris Sparse, un outil de gestion des erreurs dans le code .

Adapté d'un article en anglais de Robert McMillan, notre correspondant d'IDG News Service à San Francisco