Le succès mondial de l’open source n’est plus à démontrer, ses multiples composantes se sont infiltrées un peu partout dans les logiciels les plus utilisés dans les entreprises et, rien qu’en France, le chiffre d’affaires logiciels et services qu’il générera en 2020 devrait atteindre 5,6 milliards d’euros, selon une étude présentée sur le récent Paris Open Source Summit. Malgré cela, pour les éditeurs fortement engagés sur des projets ouverts auxquels leurs équipes contribuent majoritairement, il reste toujours aussi difficile de trouver le bon modèle économique et la licence qui leur permettra de faire vivre et perdurer la société qu’ils ont créée autour de la technologie développée. Cette problématique a été évoquée au cours d’une table ronde lors du Paris Open Source Summit à travers le témoignage des fondateurs ou CTO de Symfony, Matrix, Zend/PHP et Magento, qui ont également abordé le rôle des communautés. Au passage, les intervenants ont pointé le support comme le pire modèle économique lorsqu'il constitue la seule source de revenus, tandis que les services et l'hébergement représentent un modèle plus efficace. Sur les data science et l'IA où les compétences sont recherchées, la mise en oeuvre des outils open source demande parfois des ressources que les entreprises n'ont pas en interne, d'où le recours aux services.

Autour de nombreux projets bénéficiant d’une large adoption gravitent d’autres sociétés qui empruntent à ces technologies, à leur bénéfice, sans y contribuer en retour ou peu. Le phénomène a pris de l’ampleur du côté des fournisseurs de services cloud. L’éditeur de base de données NoSQL MongoDB a soulevé le problème en début d’année en changeant de modèles de licence, passant de l’AGPL à la SSPL, Server Side Public License. L’objectif d’un tel changement visait à rendre explicite les conditions pour fournir du SaaS à partir de projets open source et à supprimer la confusion autour de ces services cloud. « La réalité, c’est qu’une fois qu’un projet open source devient intéressant, il est trop facile pour de grands fournisseurs de cloud de capturer toute la valeur sans contribuer d’aucune façon à la communauté en retour », explique l’équipe de MongoDB sur son site. En changeant de licence, l’éditeur de base de données cherche à faire en sorte que les fournisseurs hébergeant publiquement MongoDB comme un service, ou tout autre logiciel ayant une licence SSPL, apportent eux aussi leur contribution à la communauté. D’autres éditeurs open source comme Redis Lab et Confluent ont également changé de licence cette année.

Expérimenter d'autres modèles de gouvernance

Un acteur tel qu’AWS surfe effectivement sur la vague open source. En mars, il a lancé sa propre distribution du moteur de recherche Elasticsearch, de la même façon qu’il avait précédemment proposé avec Amazon Corretto sa propre distribution de l’OpenJDK. Pour justifier le lancement d’Open Distro for Elasticsearch, AWS a invoqué les modifications opérées par l’éditeur Elastic dans ses logiciels introduisant un manque de clarté entre open source et code propriétaire. Quelques mois plus tôt, Elastic avait ouvert le code de plusieurs produits afin d’accroître l’engagement de sa communauté autour de certaines fonctions. L’objectif visé était alors, pour la société fondée par le créateur du projet Elasticsearch, de pouvoir investir pour faire avancer rapidement le développement de ses produits tout en conservant un bon compromis entre ouverture et développements commerciaux.

Sur la gouvernance des projets open source, Dries Buytaert, fondateur il y a 18 ans du projet de CMS Drupal, a écrit cet automne une série de billets sur les moyens de lutter contre la concurrence déloyale dans l’open source et trouver un équilibre entre ceux qui créent ces technologies, les « makers », et ceux qui les prennent, les « takers ». « Il existe trois modèles pour faire évoluer et soutenir des projets open source : l’auto-gouvernance, la privatisation et la centralisation », écrit-il en expliquant que ces trois modèles visent à réduire les échecs de coordination mais nécessitent que les communautés open source adoptent des formes de surveillance, de récompenses et de sanctions. « Bien que cette réflexion soit controversée, elle est supportée par des décennies de recherche dans des domaines adjacents », souligne-t-il. Dries Buytaert ajoute que les communautés open source gagneraient à expérimenter de nouveaux modèles de gouvernance et systèmes de coordination, à innover autour des licences et à trouver des modèles de récompense. 

MapR racheté par HPE, Docker réorienté sur les développeurs

Tandis que débat et recherche de solutions se poursuivent autour de ces problématiques, les aléas financiers inhérents à la rentabilité des modèles ont conduit deux des sociétés parmi les plus remarquées du secteur, MapR et Docker, à devoir chercher un acquéreur et à se réorienter. En juin, MapR, pionnier des distributions Hadoop avec Cloudera et Hortonworks (qui ont eux-mêmes fusionné fin 2018), a annoncé des licenciements et en août, HPE a racheté les actifs de la société. « Le cloud a tué la trinité Hadoop Cloudera/Hortonworks/MapR », a alors commenté Matt Asay, fraîchement arrivé chez AWS sur l’activité cloud et open source.

Quant à Docker, qui a popularisé la technologie de containers aujourd’hui dominée par l’orchestrateur Kubernetes, il a dû lui aussi révélé fin septembre des difficultés financières l’obligeant à chercher un investisseur pour financer sa stratégie. Il finira par céder mi-novembre son activité Docker Enterprise à Mirantis pour se concentrer sur les développeurs et les workflows de déploiements des applications avec ses solutions Docker Desktop et Docker Hub.

La semaine dernière, l’éditeur Redis Labs a commenté la dernière offensive d’AWS sur les technologies open source, cette fois sur la base de données NoSQL Apache Cassandra. Le numéro 1 du cloud public en profite lui aussi pour revenir dans un billet sur la façon dont il voit sa contribution à l’open source. Redis Labs, pour sa part, constate surtout que les relations restent compliquées entre AWS et l’open source. Il faut espérer que ces relations puissent évoluer vers une clarification dans les mois qui viennent afin de parvenir à un rééquilibrage des forces. A Paris, cet automne, la conférence Open CIO Summit s'est également penchée sur l'impact des grands acteurs IT qui financent les développeurs sur les projets open source et les enjeux que cela induit pour les entreprises qui cherchaient justement, avec ces technologies ouvertes, à s'affranchir des grands fournisseurs de solutions informatiques.