Lorsque Aldo Noseda est devenu DSI du fabricant de produits chimiques Eastman il y a cinq ans, il a immédiatement commencé à travailler, en collaboration avec d'autres dirigeants de l'entreprise, afin de mettre sur le marché une nouvelle catégorie de services en complément des traditionnels produits que commercialise la société, qui emploie quelque 14 500 personnes dans le monde et possède une dizaine de sites de production en Europe. « Avant Eastman, j'ai travaillé pour Monsanto, où j'ai connu un parcours similaire », explique-t-il. « Monsanto vendait des produits agricoles et nous avons lancé une division numérique pour vendre des services de conseil aux agriculteurs. L'idée était donc déjà dans l'air lorsque Eastman m'a proposé de devenir son DSI. »

Objectif affiché : créer une nouvelle couche de services pour stimuler les ventes de produits et fidéliser les clients en les aidant à utiliser les produits Eastman, qui sont intrinsèquement complexes. En outre, la nouvelle couche de services pourrait être vendue sous forme d'abonnement, ce qui constituerait une toute nouvelle source de revenus. Pour Eastman, il s'agissait tout bonnement d'apprivoiser un nouveau modèle économique, puisque, jusqu'à présent, la société réalisait ses 10,5 Md$ de chiffre d'affaires essentiellement en vendant des produits matériels.

« Lorsqu'Aldo est arrivé chez Eastman, il a contribué à la mise en place d'une équipe diversifiée comprenant des personnes ayant des expériences professionnelles différentes », explique Kate Horan, qui est aujourd'hui responsable de la stratégie numérique et des produits pour l'activité Performance Films d'Eastman. « La façon dont ce département a été conçu en tant que start-up au sein du département IT a été déterminante pour son succès au sein d'Eastman. Nous avons maintenant trois services sur le marché et un quatrième est en cours d'élaboration. »

Faire économiser des matériaux aux installateurs

Le plus abouti de ces trois services déjà disponibles s'appelle Core. Il aide les concessionnaires du marché secondaire de l'automobile à installer des produits de protection de la peinture et des films pour vitrages avec plus de précision et d'efficacité. Core fournit des modèles de pièces de véhicules - par exemple, des pare-chocs, des ailes ou des rétroviseurs - pour des marques et des modèles spécifiques. L'installateur peut utiliser les fonctions d'édition pour personnaliser ces modèles, puis les placer sur une machine de découpe numérique, où ils peuvent être préparés à façon avant d'être installés sur le véhicule.

« L'objectif est d'imbriquer les différentes découpes de modèles le plus efficacement possible afin de faire gagner du temps aux clients et de leur faire économiser des matériaux lorsqu'ils découpent un film pour l'appliquer sur un véhicule », détaille Kate Horan. « Nous disposons d'algorithmes d'imbrication pour y parvenir. Cela aide les installateurs à faire leur travail, qui est à la fois un art et une science. Nous essayons d'apporter notre contribution pour installer le film plus rapidement et plus efficacement possible. ».

Aldo Noseda, vice-président et DSI du chimiste Eastman. (Photo : Eastman)

L'imbrication est une idée empruntée à l'industrie de l'habillement, où le défi consiste à produire un ensemble de formes irrégulières sur une bande de matériau aussi petite que possible. L'IA et des algorithmes analytiques sophistiqués sont utilisés pour minimiser le gaspillage de matériau, ce qui représente des économies importantes lorsque de grands volumes sont concernés. Les outils de conception assistée par ordinateur (CAO), qui sont souvent utilisés pour modéliser les formes irrégulières, peuvent alimenter les algorithmes d'imbrication à partir des modèles. Une petite industrie s'est développée non seulement autour de la fourniture de la meilleure technologie en la matière, mais aussi autour de la fourniture des meilleures offres commerciales, un peu à l'image de ce qu'on trouve dans le logiciel avec des applications sur site concurrencées par des services SaaS basés sur l'abonnement.

Stimuler la vente de produits maison ? Pas seulement

Dans le contexte du film pour les véhicules, l'imbrication est le processus qui consiste à placer les modèles sur la planche de découpe - et finalement sur le film - de la manière la plus efficace possible. L'imbrication permet non seulement d'optimiser l'utilisation du film, mais aussi d'améliorer l'esthétique d'une voiture. Pour cet usage, Eastman a mis au point un ensemble de techniques uniques sur le marché de la revente d'automobiles.

Le service stimule les ventes de produits, et les ventes de produits amènent davantage de personnes à recourir au service. Mais Aldo Noseda insiste sur le fait que le service Core fonctionne tout aussi bien avec des produits concurrents et qu'il peut être considéré comme une offre indépendante. « Le défi avec ce service consiste à disposer de modèles pour les voitures le plus rapidement possible après leur mise sur le marché », explique Aldo Noseda. « Vous devez produire ces modèles rapidement et avec la plus haute qualité. Pour y parvenir, nous utilisons des algorithmes en instance de brevet, des analyses, l'intelligence artificielle et d'autres techniques. Imaginons qu'une Ferrari arrive sur le marché et qu'un propriétaire de ce type de véhicule veuille un film de protection de la peinture. Le concessionnaire entre dans un système pour trouver la bonne découpe. Si la voiture n'y figure pas ou que la qualité de la coupe n'est pas satisfaisante, l'effet sera désastreux. Nous faisons donc en sorte que ces informations soient disponibles très rapidement et qu'elles soient d'une qualité irréprochable. »

Une start-up embarquée dans la DSI

Au début, Eastman s'est interrogé sur le positionnement de cette activité numérique au sein de son organisation. Aujourd'hui, cette activité de services fonctionne sans problème... au sein même du service informatique. Un choix assez inhabituel. « Nous fonctionnons comme une start-up », dit Kate Horan. « Nous organisons des réunions de l'équipe de direction pour recueillir les avis de tous les pans de l'organisation, mais c'est la voix des clients qui demeure la plus importante. »

Selon Aldo Noseda, l'organisation en charge des services digitaux se développe avec différents horizons stratégiques. L'un d'entre eux consiste à augmenter le nombre d'abonnés aux services, principalement via la commercialisation sur de nouvelles zones géographiques. Les services ont très bien fonctionné en Amérique du Nord et l'entreprise vise maintenant d'autres marchés. Les autres horizons concernent l'augmentation des capacités fournies, afin de mieux répondre aux attentes des clients existants.

Le DSI estime qu'environ 80 % de son rôle relève de ce que d'autres entreprises appelleraient l'informatique traditionnelle : assurer la cybersécurité, la veille stratégique et tout ce qui est nécessaire pour assurer le support au fonctionnement de l'organisation. Mais, lorsqu'il sort de cette fonction classique, Aldo Noseda dirige l'organisation des services digitaux, qui dispose d'une équipe complète comprenant des responsables de la communication, du marketing, du service à la clientèle, de la conception des produits et de l'ingénierie. Autant de compétences qui dépendent de la DSI dirigée par Aldo Noseda, qui, en tant que vice-président et CIO, rend compte au directeur financier du groupe.

Pour Aldo Noseda, ce rôle de direction d'une entité en charge des produits digitaux pourrait, à l'avenir, concerner de plus en plus de DSI. « Le département informatique jouera un rôle qui ne se limitera plus au support de l'organisation en interne », assure-t-il. « Il apportera également de la valeur au monde extérieur et générera de nouveaux revenus. »