Au premier tour de l'élection présidentielle, le 22 avril prochain, les habitants d'Issy-les-Moulineaux ne glisseront aucun bulletin dans l'urne. Toutes seront en effet remplacées par des machines à voter, achetées par la municipalité auprès de la société Election Systems & Software. « Le ministère de l'Intérieur a incité les communes à aller vers cette solution, explique Paul Subrini, le 1er adjoint au maire, au mondeinformatique.fr. Elle a l'avantage de la simplicité, elle permet de maîtriser les opérations, d'éliminer les bulletins de vote et d'obtenir les résultats plus rapidement. Nous avons saisi cette occasion d'aller vers plus de modernité ». Issy a acquis 60 machines de modèle iVotronic, dont plusieurs sont prévues pour pallier d'éventuelles défaillances, et les installera dans tous les bureaux de vote. Paul Subrini insiste sur l'ergonomie et la facilité de l'usage : « la machine présente un panneau très simple comportant des boutons sur lesquels le citoyen appuie. Il a la possibilité de revenir en arrière s'il presse une mauvaise touche ». Le vote blanc est prévu, mais les possibilités de vote nul disparaissent. Issy / Floride : un « paradoxe cocasse » L'apparition des appareils iVotronic à Issy relève d'un « paradoxe cocasse » pour Pierre Muller, l'animateur du site ordinateurs-de-vote.org : « le jour où le conseil municipal validait l'adoption de ces machines, le gouverneur de Floride débloquait plusieurs millions de dollars pour envoyer ces mêmes modèles à la casse ». De fait, explique Pierre Muller, les machines à voter présentent des qualités mais certainement pas celle de la sécurité des opérations. « Des doutes planeront continuellement sur la sincérité des résultats : il est difficile de connaître le logiciel qui tourne dans l'appareil ; les assesseurs ne peuvent pas savoir si la machine est intègre le matin quand ils la mettent en marche ». D'autres modèles que celui choisi par Issy-les-Moulineaux ont d'ailleurs donné lieu à plusieurs cas de fraude aux Etats-Unis et, explique Pierre Muller, « des militants américains ont acheté trois machines et sont parvenus à modifier le programme pour attribuer des voix d'un candidat à un autre ». Sur le modèle choisi par la commune des Hauts-de-Seine, il existe des expertises américaines également inquiétantes montrant qu'il est facile de modifier le logiciel (qui n'est protégé que par un mot de passe de trois caractères). Des réserves sur la sécurité L'argument du manque de sécurité ne tient cependant pas pour remettre en cause l'usage des machines à voter, selon l'édile d'Issy. « Aux Etats-Unis, chaque Etat pouvait choisir son type de machine, il n'existait donc pas de matériel harmonisé. Je comprends les réserves mais il faut savoir que, dans les bureaux de vote américains, les machines sont connectées par WiFi au boîtier détenu par le président du bureau, ce qui apporte de la fragilité ». Et l'adjoint au maire de rappeler que les modèles adoptés en France ne laissent pas transiter les données qu'ils stockent : à l'issue du vote, elles sont recueillies sur une clé USB avant d'être acheminées vers le bureau centralisateur. L'agrément donné par le ministère de l'Intérieur constitue l'autre argument fort de Paul Subrini en faveur des machines de vote : « le ministère a défini les types d'appareils pouvant être utilisés, en définissant 114 conditions. De plus, la Cnil a été associée à ces conditions ». Cet argument laisse Pierre Muller perplexe : « si iVotronic a bien été agréé en 2005, il faut savoir que le cadre définissant les conditions d'agrément date de 2001-2002 et n'a été que très légèrement modifié depuis », estime-t-il avant de rappeler que « tout ce qu'on sait, c'est que les machines sont agréées. Dès qu'on veut en savoir plus sur les appareils et ce qu'ils renferment, on se heurte au secret industriel ». Loin de se soucier des éventuels problèmes liés à la sécurité, le premier adjoint du maire André Santini déborde d'enthousiasme et prend des accents d'évangéliste des technologies : « avec cette petite modernité, on incite les gens à être curieux de ce qui se passe en informatique, tout cela participe de la modernité, on essaie de faire évoluer la population ». Au risque de retirer au vote, et à son cérémonial, ce qu'il comporte de sacré et d'universel. Pierre Muller explique ainsi qu'il existe un quasi-consensus, au sein de la communauté scientifique, sur l'obligation de garder dans le processus une trace physique - en l'occurrence un bulletin - et ne pas passer à une démarche 100% électronique. « Les citoyens perdent le contrôle de l'élection en même temps qu'on passe d'une urne transparente à un système opaque », estime le responsable d'ordinateurs-de-vote.org.