Le cœur de la compétition actuelle entre les nations et les entreprises (dont Google et IBM) pour démontrer la suprématie quantique s'est déplacé vers une université chinoise où non pas un, mais deux ordinateurs quantiques expérimentaux auraient démontré que la primauté quantique était réalisable. On parle de suprématie quantique quand un ordinateur quantique parvient à résoudre des problèmes de calcul qui dépassent les capacités des superordinateurs « classiques », prisonniers de leur pittoresque système de 1 et de 0. Mais ne nous méprenons pas : les ordinateurs classiques ont rempli très honorablement leurs tâches pendant longtemps. Comme le boulier, en son temps. Cependant, à mesure que les défis informatiques de nos sociétés se complexifient - par exemple, partager l'addition d'un restaurant entre les onze membres d'une assemblée radine et querelleuse - ce mode de calcul archaïque a fini par céder la place à la calculatrice numérique.

Aujourd’hui, le saut technologique se situe bien au-delà. Au point que Barry Sanders, directeur de l'Institute for Quantum Science and Technology de l'université de Calgary au Canada, qualifie le travail des équipes de recherche de l'université des sciences et technologies de Chine de « tour de force spectaculaire ». Selon lui, les chercheurs chinois « dont les expériences démontrent la primauté quantique dans deux systèmes distincts, l'un photonique, l'autre supraconducteur, pourraient avoir franchi une étape difficile à remettre en question ». Pour situer le contexte, les précédentes affirmations de suprématie quantique avaient suscité quelques critiques de la part de sceptiques qui se demandaient si les calculs quantiques en question avaient été comparés aux meilleurs algorithmes ou implémentations que l’ordinateur classique avait à offrir. Un peu comme si l'on opposait un robot de combat à un développeur de logiciels en surpoids, d'âge moyen, souffrant du syndrome du canal carpien. Si la machine l'emporte, peut-on légitimement conclure à la « primauté du robot », opposaient-ils.

Des avancées indéniables 

Barry Sanders estime que la série d'expériences menées par le professeur de physique et physicien quantique Jian-Wei Pan peut lever ces doutes, parce qu’il est allé très loin. Les deux principaux résultats obtenus par l’équipe du professeur Jian-Wei Pan poussent l'informatique quantique expérimentale vers des problèmes de taille beaucoup plus importante, si bien qu’il est beaucoup plus difficile de trouver des algorithmes classiques et des ordinateurs classiques capables de suivre. « Ces résultats nous permettent de croire davantage aux affirmations selon lesquelles nous avons effectivement atteint l'ère de la primauté quantique en matière de calcul », a déclaré le directeur de l'Institute for Quantum Science and Technology de l'université de Calgary.

Mais la primauté quantique est-elle vraiment importante ? Des chercheurs d'IBM soutiennent que non. En 2019, ils s’étaient moqués de Google quand le géant technologique avait affirmé qu’il avait atteint la « suprématie quantique ». Dans un billet de blog, ils avaient écrit : « Google soutient que son dispositif a atteint la « suprématie quantique » et qu'un superordinateur de pointe aurait besoin d'environ 10 000 ans pour effectuer la tâche équivalente. Nous soutenons qu'une simulation idéale de la même tâche peut être réalisée sur un système classique en deux jours et demi et avec une fidélité bien supérieure. C’est même une estimation prudente, car nous pensons qu'avec des perfectionnements supplémentaires, il est possible de réduire davantage encore le temps de la simulation sur une machine classique ». Il ne faut pas oublier qu'IBM est lui-même très impliqué dans des recherches sur l'informatique quantique, et qu’il ne s'accroche donc pas vraiment au passé. Big Blue affirme simplement qu'il y a de la place dans le monde pour le moteur à vapeur et le cheval.

Coexistence sur le long terme

« Les ordinateurs quantiques ne régneront jamais « en maître » sur les ordinateurs classiques », a encore écrit IBM. Ils travailleront plutôt de concert, « puisque chacun a ses propres qualités ». Ce n'est pas un point de vue déraisonnable, surtout si l'on considère que les ordinateurs quantiques sont extrêmement difficiles à construire et à mettre à l'échelle et qu'ils sont incroyablement sensibles au « bruit » ambiant. On peut donc estimer que la commercialisation d'ordinateurs quantiques n’est pas pour demain, et qu’il y a peu de chance qu’on en trouve un jour sur les sites d’e-commerce. Néanmoins, les résultats des deux expériences menées par les chercheurs chinois montrent des avancées dans ce domaine. Il sera intéressant de voir qui revendiquera la prochaine percée.