« Dans les échanges que nous avons avec nos clients et les entreprises, la fraude documentaire représente un défi majeur avec des impacts financiers conséquents, des enjeux de réputation et de mobilisation de ressources. L’IA générative agit comme un accélérateur dans cette fraude avec par exemple des modèles d’usurpation d’identité difficilement détectables par les solutions traditionnelles », constate Charles Viez, directeur général grands comptes France, Belgique et Luxembourg chez Xerox. « Le faux document n’est pas quelque chose de nouveau mais avec l’IA générative, la qualité de ces faux documents s’est effectivement fortement améliorée, et leur prolifération, aidée par les réseaux sociaux, se répand largement. Le constat est assez clair, l'IA a professionnalisé la fraude documentaire, en plus de l'industrialiser », ajoute de son côté Pierre Vanhoutte, directeur détection et traitement risques fraudes chez Itesoft et ancien gendarme au sein du service AnaCrim. En effet, depuis l’arrivée de la GenAI, notamment les dernières versions de LLM mises sur le marché par les éditeurs, les possibilités de créer des faux documents se sont décuplées, rien n’est par exemple plus simple que de générer des fausses notes de frais depuis ChatGPT ou encore des faux documents d’identité. En exemple, le spécialiste américain de la sécurité Cato Networks a publié dans un blog comment une personne sans expérience en cybercriminalité peut créer facilement un faux passeport depuis le générateur d'images de ChatGPT avec une grande précision. Et ces faux deviennent presque impossibles à détecter par les systèmes actuels et même par des professionnels expérimentés. « La plupart des faux générés par l'IA ont une qualité telle qu'elle dépasse les capacités des technologies traditionnelles de détection », confirme sur ce point Pierre Vanhoutte.
Pour l’ESN Tessi spécialisée dans l'accompagnement des entreprises et des institutions dans la numérisation de leurs parcours clients et qui a publié son premier observatoire sur la fraude documentaire en compilant plusieurs études (une trentaine de rapports sectoriels), l’IA générative a effectivement industrialisé la fraude aux documents de tout type. Chiffres à l’appui : 42,5 % des fraudes sont désormais générées par l'IA atteignant un taux de réussite préoccupant de 29 %. Entre 2023 et 2024, la falsification de documents numériques a connu une hausse vertigineuse de 244 %, démontrant l'industrialisation rapide de ces pratiques frauduleuses. Dans ce rapport, il est mentionné que 32 % des personnes ayant déjà falsifié des documents ont eu recours à une solution d'IA générative contre 34 % un logiciel de retouche d'image et 30 % un site internet spécialisé. Marc de Beaucorps, co-fondateur et président de Finovox, reconnaît bien sûr que l’IA fait progresser la fraude et le fera plus à l’avenir mais il tempère en indiquant que la très grande majorité des fraudeurs s’aide toujours aujourd’hui de logiciels de retouche pour falsifier un document.
L’assurance fortement touchée mais pas uniquement
La fraude documentaire est partout dans tous les domaines, dans le secteur de l’assurance par exemple, sur les 695 millions d'euros de fraudes avérées et déclarées à l'Alfa (Agence de lutte contre la fraude à l'assurance) 73 % de fraudes sont réalisées à l'aide de faux documents. « Pour un taux de fraude de 10 % dans l’assurance, chaque français paye finalement aux fraudeurs l’équivalent d’un mois d’une police souscrite annuellement », précise Marc de Beaucorps, co-fondateur et président de Finovox.
Et que dire des faux moyens de paiement (IBAN frauduleux, chèques falsifiés et contrefaits, etc.), ils se multiplient en France à tel point que l'Assemblée Nationale a adopté le 31 mars dernier une proposition de loi renforçant la lutte contre la fraude aux moyens de paiement. Pour Marc de Beaucorps, hormis l’assurance et la finance, d’autres secteurs sont également touchés comme les prestations sociales, le retail (fraude au remboursement, faux colis, etc.), sans oublier l’immobilier (location et logements sociaux). Fin 2020, plus de 2,1 millions de demandes de logement social étaient en cours d’instruction, or, selon Finovox, près d’une demande sur deux (47 %) serait frauduleuse, principalement via de fausses fiches de paie ou des avis d’imposition modifiés pour simuler une éligibilité.
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